Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 14 mars 2022
Ecole

Les « importantes dérives » des écoles privées hors contrat 

Le Comité national d'action laïque a compilé 164 rapports d'inspections dont les conclusions sont particulièrement inquiétantes. Il demande que le droit qui régit ces établissements soit aligné sur celui de l'instruction en famille.

Par A.W.

Un enseignement « en deçà des standards éducatifs », mise sous silence du rôle du Régime de Vichy dans l’extermination des Juifs, des règles orthographiques éludées... Dans une enquête inédite publiée la semaine dernière, le Comité national d'action laïque (Cnal) dénonce les « importantes dérives »  qui ont cours dans certains établissements privés hors contrat (EPHC), tant sur « les conditions de la scolarité des enfants et des adolescents »  que sur « les contenus d'enseignement et leur mise en œuvre ».

Certaines écoles continuent d’accueillir des enfants, malgré des dérives alarmantes. 

Défaillances éducatives

Pour parvenir à ce constat, la fédération - qui rassemble cinq organisations* visant à défendre et promouvoir la laïcité, notamment à l’école – a mené un travail de recherches de près d’un an en demandant à l’Inspection académique de chaque département le dernier rapport de visite des établissements privés hors contrat implantés sur leur territoire. 

Malgré « les réticences de l’institution à transmettre ces informations »  (le Cnal a dû saisir à plusieurs reprises la Commission d’accès aux documents administratifs pour obtenir certains rapports), le Cnal a pu recueillir et compiler 164 rapports sur les quelque 1 700 établissements recensés (selon les chiffres du gouvernement), ce qui représente un peu moins de 10 % de retours, et concerne surtout les écoles catholiques, traditionnalistes et alternatives Montessori. Le comité n'a, en effet, obtenu qu’un nombre très restreints de rapports concernant les écoles musulmanes, juives, Espérance Banlieue ou encore Steiner-Waldorf, et donc peu représentatifs.

Sur les 164 rapports étudiés, « seulement trois rapports sont positifs [...] et plus de la moitié des autres font état de manquements sérieux ». Résultat, les auteurs de l’enquête pointent de nombreuses « défaillances »  dans l’enseignement délivré par les établissements privés hors contrat, aboutissant « trop souvent »  à ce que la scolarisation de certains enfants se fasse « en deçà des standards éducatifs ». 

Des élèves se retrouvent ainsi « dans une situation de sous-enseignement ou d’enseignement problématique », a alerté, sur RMC, Rémy-Charles Sirvent, enseignant et secrétaire général du Cnal, alors que ce type d’enseignement concerne environ 80 000 élèves sur les 12 millions d’élèves scolarisés en France. 

Vichy et la Shoah oubliés

Concrètement, dans un établissement de Gironde, un rapport note ainsi que « les valeurs de la République n’apparaissent pas dans les traces écrites des élèves du 1er degré », « le général de Gaulle n’est pas une figure historique à retenir », contrairement au Maréchal Bugeaud qui « apparaît comme le personnage grâce à qui les Arabes ont pu apprendre à développer leur agriculture en Algérie ». 

« Le rôle de Vichy dans l’extermination des Juifs est mis sous silence, et ce génocide n’est d’ailleurs pas mentionné dans le traitement de la Seconde Guerre mondiale », parmi les 14 écoles rattachées à « la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et communautés amies »  étudiées. 

Dans ces écoles, les classes sont parfois « non mixtes »  et certaines responsabilités proposées aux garçons sont refusées aux filles. Une « interdiction signifiée par [le] directeur d’aborder l’éducation à la sexualité (en 3e notamment) »  est également recensée dans un rapport.

Sur 26 établissements catholiques hors contrat étudiées, « trop nombreux sont ceux qui ne dispensent pas l'enseignement moral et civique de manière satisfaisante, et ne permettent donc pas aux élèves d'acquérir les connaissances et les compétences leur donnant la possibilité de s'émanciper et de construire un esprit critique », juge également le rapport. 

Pas de « règles orthographiques » 

Le Cnal a, en outre, constaté des « dérives importantes »  dans une autre grande catégorie analysée : les écoles alternatives. Dans les 45 établissements Montessori étudiés, « ce qui est observé par les inspectrices et inspecteurs diffère fortement de l’image que ces établissements mettent en avant auprès des parents », observent les auteurs de l’enquête. 

Ainsi, « le terme d’innovation annoncé dans le projet d’école ne correspond à aucune réalité effective dans l’établissement », relève un rapport concernant une école du Var, « les choix pédagogiques [y] laiss[a]nt à désirer ». « Madame T. a évoqué la nécessité pédagogique de laisser la créativité littéraire s’exprimer, sans imposer de règles orthographiques qui pourraient la restreindre », relate-t-on par exemple dans un établissement de Meurthe-et-Moselle. Dans les Vosges, un rapport explique que, « en lecture, seul un élève présente un niveau acceptable pour son âge ». Ou encore... « une éducation cosmique est mise en place ».

Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale au SE-Unsa, qui a participé à l’enquête, rappelle sur Twitter qu’il faut bien garder à l’esprit que « ces rapports internes n’ont pas été rédigés pour être diffusés, ce qui donne à ces commentaires un relief particulier ». Sur son fil Twitter, elle a d’ailleurs publié une longue litanie de citations complémentaires issues de ces rapports (ici, et  par exemple). 

20 établissements fermés depuis 2019

Malgré « la résistance à transmettre des informations »  de la part de l'administration et alors que le Cnal n’a obtenu qu’un seul rapport d’école musulmane et qu'un seul d’école juive, « on sait que les dérives [y] existent »  également, a rappelé le secrétaire général du Comité.

Plusieurs cas ont fait l'actualité récente. A Bobigny, une école coranique vient d’être fermée par la préfecture pour non-respect des règles de sécurité d’accueil du public et pratiques communautaristes « contraires aux valeurs de la République ». Un rapport de l’inspection académique de Toulouse, cité par France 2 en 2017, détaillait également les pratiques d'une école musulmane hors contrat : « Pas d’enseignement des sciences, de l’histoire et de la géographie », « enseignement moral et civique réduit à l’éducation islamique », « l’étude quotidienne du Coran oblitère le temps de façon importante et réduit les séances consacrées aux connaissances et compétences minimales à faire acquérir », la chaîne publique assurant également que la mixité y était « feinte  ». 

A Bussières, en Seine-et-Marne, 16 responsables d’une école talmudique ont également été placés en garde à vue, en début d'année, pour des soupçons de maltraitances et de dérives sectaires. L'établissement aurait accueilli des mineurs dans des conditions abusives : « Enfermement, confiscation des documents d’identité, conditions de vie dégradées, actes de maltraitances, absence d’accès à l’éducation et aux soins, et sans possibilité de revenir dans leurs familles ».

Dans un communiqué publié jeudi, le gouvernement a d'ailleurs rappelé qu’un « contrôle systématique de chacun de ces établissements »  est prévu « dès la première année de fonctionnement (les 100 % seront atteints en 2022) »  et que, depuis le mois de septembre 2021, une campagne de contrôle a été menée dans « une cinquantaine d’établissements repérés en Clir [cellules de lutte contre l'islamisme radical et le repli communautaire] ». 

Des « refus d’ouverture de nouveaux établissements »  et des « fermetures d’établissements existants »  ont ainsi été prononcés et ont « concerné 20 établissements au total depuis 2019 ». Cette semaine, deux établissements ont encore été fermés, « l’un dans l’Académie de Lyon et l’autre dans l’Académie d’Aix-Marseille », d’autres fermetures devant intervenir « dans les prochaines semaines ». 

Le nombre de contrôles a été multiplié par trois entre les années scolaires 2015-2016 (190) et 2020-2021 (568), selon les chiffres du gouvernement.

« Le régime d'autorisation doit devenir la règle » 

Reste que, devant les dérives, le Cnal réclame que « le régime d’autorisation lors de l’ouverture d’un établissement privé hors contrat doit devenir la règle », à l’instar de la règlementation qui régit l’instruction en famille.

Il demande, en outre, « la fermeture d'un établissement dès lors que l'acquisition du socle commun et des valeurs de la République est défaillante », mais aussi « une information des familles »  qui souhaitent consulter les rapports d'inspection et que « le projet pédagogique [fasse] partie intégrante du dossier de demande de création d'un établissement privé sous contrat ». 

Enfin, le Cnal a saisi la Cour des comptes pour « éclairer les concitoyens sur le montant des financements »  défiscalisés perçus par ces établissements, notamment « en provenance de fondations reconnues d'utilité publique », et qui « permettent des dépenses d’investissement et de fonctionnement à destination des établissements religieux ». 

Aux yeux du Comité national d'action laïque, « le financement public de ces établissements, même indirect via ces fondations, contrevient au deuxième article de la loi de 1905, qui précise que la République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ».

Le nombre d'écoles a doublé depuis 2015

Depuis 2015, les établissements privés hors contrat sont en vogue puisque leur nombre a doublé, celui-ci ayant encore crû de 12 % à la rentrée 2021, selon les données du gouvernement. 

Parmi ces écoles, 71 % des établissements (soit 1 211) sont déclarés comme non confessionnels, quand 29 % d’entre elles (soit 498 établissements) déclarent avoir un caractère confessionnel. Dans le détail, 266 établissements se déclarent catholiques (53,41 % des écoles hors contrat déclarées comme confessionnelles, soit 22 % du total des établissements privés hors contrat), 98 musulmans (19,68 %, soit 8 % du total des EPHC), 74 protestants (14,86 %, soit 6 % du total des EPHC), et, enfin, 60 établissements se déclarent juifs (12,05 %, soit 5 % du total des EPHC).

Le gouvernement rappelle que ces données sont « indicatives »  car « purement déclaratives ». En effet, « l’administration n’a pas le droit d’établir un fichier des établissements en fonction d’un caractère propre qu’elle leur attribuerait », les données relatives au caractère propre s’appuient donc « exclusivement sur celles déclarées par les établissements eux-mêmes (et seulement s’ils ont estimé devoir le faire) ». Elles sont donc reprises tels quels par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).


*La Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), la Fédération des délégués départementaux de l'Éducation nationale (DDEN), la Ligue de l’enseignement, l’Unsa Education et SE-Unsa (enseignants de l’Unsa).
 

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