Maire-info
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Édition du vendredi 2 septembre 2022
Petite enfance

Le gouvernement autorise, sous conditions, des personnes non qualifiées à travailler dans les établissements d'accueil du jeune enfant

Un arrêté paru au Journal officiel du 4 août permet de déroger à certaines obligations en matière d'encadrement dans les établissements d'accueil de jeunes enfants. Certaines dispositions de ce texte suscitent des interrogations chez les professionnels et les élus.

Par Franck Lemarc

Comment faire face à la pénurie criante de personnel dans un grand nombre de crèches ? La pénurie de professionnels de la petite enfance (auxiliaires de puériculture, éducateurs jeune enfant, etc.), on le sait, concerne aujourd’hui tous les gestionnaires, qu’ils soient publics ou privés. En avril dernier (lire Maire info du 14 avril), la Fédération nationale des entreprises de crèche estimait à 30 000 le nombre de professionnels à former « en urgence absolue ». L’enquête de la CNAF, publiée avant l’été, a permis d’objectiver ces besoins et a révélé que près de 50% des établissements déclarent un manque de personnel. 8 908 postes seraient vacants, soit environ 8,5% des effectifs totaux auprès des enfants. Le gouvernement a apporté certains éléments de réponse, en publiant le 4 août cet arrêté « relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d'accueil du jeune enfant » 

Dérogations

Ce texte liste les professionnels susceptibles d’encadrer les enfants dans les EAJE (établissement d’accueil du jeune enfant). Mais la nouveauté réside à l’article 2 de l’arrêté : « À titre exceptionnel, dans un contexte local de pénurie de professionnels (…), des dérogations aux conditions de diplôme ou d'expérience (…) peuvent être accordées en faveur d'autres personnes, en considération de leur formation, leurs expériences professionnelles passées, notamment auprès d'enfants, leur motivation à participer au développement de l'enfant au sein d'une équipe de professionnels de la petite enfance et de leur capacité à s'adapter à un nouvel environnement professionnel ». 

Si un EAJE prouve qu’il ne dispose pas des profils adéquats, il est désormais autorisé, sous conditions, à employer des personnes ne disposant pas des diplômes habituellement exigés, voire, dans certains cas, des personnes sans qualification. Pour ces dernières, toutefois, le nombre ne doit en aucun cas dépasser « 15 % de l'effectif moyen annuel chargé de l'encadrement des enfants au sein de l'établissement ». 

L’arrêté donne des précisions sur l’expérience qui est exigée des professionnels dans le cadre de ces dérogations, par exemple pour des personnes titulaires d’un diplôme infirmier et justifiant d’une expérience dans des services hospitaliers pédiatriques ou des maternités. Mais le texte est clair : la possession d’un diplôme n’est plus une condition sine qua non pour exercer certains postes en EAJE, une « expérience auprès de jeunes enfants »  pouvant suffire. Dans ce cas, un encadrement strict des personnes est prévu ainsi qu’un accompagnement vers une formation. 

« Très grande inquiétude » 

Ces nouvelles dispositions inquiètent aussi bien les professionnels que les élus. L’AMF, qui a été consultée en amont de la parution de ce texte, a fait part « de ses réserves et de ses inquiétudes », rapporte à Maire info Clotilde Robin, première adjointe au maire de Roanne et co-présidente du groupe de travail Petite enfance à l’AMF. « Cela fait longtemps que nous alertons l’État sur la situation de pénurie, poursuit l’élue, mais nous avons toujours dit que cette pénurie ne pouvait être résorbée au détriment de la qualité de l’accueil des enfants ». L’AMF se positionne donc « plutôt défavorablement »  sur ces mesures, même si, « heureusement, ces dérogations sont accompagnées de conditions ». L’AMF a, par ailleurs, interrogé la Direction générale de la cohésion sociale pour savoir si ces dérogations sont uniquement des mesures de court terme, destinée à pallier l’urgence, ou si elles sont de plus long terme… sans obtenir de réponse claire. 

« Lorsque cette mesure a été évoquée dans le groupe de travail Petite enfance de l’AMF, souligne Clotilde Robin, les élus se sont montrés globalement défavorables. Et nous avons des incertitudes sur son efficacité : alors que des élus disent qu’il sont contraints de geler des berceaux, faute de professionnels pour les encadrer, nous sommes loin d’être sûrs qu’ils s’empareront de ces nouveaux dispositifs. »  L’adjointe au maire dit donc « entièrement partager la très grande inquiétude »  des élus qui voient, y compris ailleurs que dans la petite enfance d’ailleurs, l’État tenter de combler les trous en matière de personnel en embauchant des personnes insuffisamment formées. 

Plan métier

Dans une situation où existe, dans certains territoires, « une situation de tension extrême », comme le montre l’enquête de la Cnaf dont les résultats seront présentés  et commentés devant le groupe de travail de l’AMF le 22 septembre, les associations d’élus, en particulier l’AMF et Régions de France, demandent des mesures d’urgence pour résoudre le problème à plus long terme. En particulier : le déploiement de nouvelles filières de formation, « accessibles financièrement »  – Clotilde Robin insiste sur ce point – et créées, en priorité, là où les besoins sont les plus criants. Et, par ailleurs, « la mise en place d’un véritable plan métier de la petite enfance, afin de permettre de créer et de renforcer les liens et passerelles entre les différents métiers de la petite enfance. » 

Télécharger l’arrêté du 27 juillet. 

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