Maire-info
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Édition du vendredi 11 juin 2021
Sécurité

Le Conseil d'État juge illégales quatre dispositions du schéma national du maintien de l'ordre 

La plus haute juridiction administrative a, notamment, annulé l'utilisation de la technique de la nasse par les forces de l'ordre ainsi que l'obligation de dispersion des journalistes en fin de manifestation.

Par A.W.

Nouveau revers pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Après la censure par le Conseil constitutionnel de plusieurs points du projet de loi sur la Sécurité globale, c’est au tour du Conseil d’État d’annuler quatre dispositions du « schéma national du maintien de l’ordre »  (SNMO) dans une décision rendue hier.
Un schéma qui visait à « adapter »  la doctrine de gestion des manifestants par les forces de l’ordre en la rendant « plus protectrice pour les manifestants »  mais aussi « plus ferme avec les auteurs de violences », à la suite de nombreux mois d’affrontements avec les Gilets jaunes et « l’infiltration plus systématique de casseurs au sein des cortèges ». Mais, à peine paru en septembre dernier, ce texte avait été largement critiqué par les syndicats et les associations qui pointaient notamment la pratique de la nasse.

Nasse : des conditions d’utilisation trop imprécises

Bien que le SNMO jugeait « utile, sur le temps juste nécessaire, d’encercler un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d’interpellation ou de prévention d’une poursuite des troubles », la plus haute juridiction administrative a décidé d’annuler cette possibilité. Elle a ainsi jugé que les conditions durant lesquelles pouvait être utilisée cette technique n’étaient pas « suffisamment précises ».
« Si cette technique peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances précises, elle est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir », soulignent  les membres du Conseil d’État qui expliquent que « le texte ne précise toutefois pas les cas où il serait recommandé de l’utiliser », raison pour laquelle ils ont préféré annuler ce point. « Rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances », selon eux.

« Atteinte à la liberté de la presse » 

Trois mesures encadrant le travail des journalistes durant les manifestations ont également été retoquées par le Conseil d’État qui a annulé, d’abord, l’obligation faite à ces derniers de quitter les lieux lorsqu’un attroupement est dispersé par les forces de l’ordre. 
Afin qu’ils puissent « continuer d’exercer librement leur mission », il considère que les journalistes n'ont pas « l'obligation d'obéir aux ordres de dispersion »  des forces de l'ordre et ne sont pas « tenus de quitter les lieux », « dès lors qu’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne fassent obstacle à l’action des forces de l’ordre ». Les observateurs indépendants bénéficient également de cette décision. Le SNMO assurait jusqu’à présent que le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation constituait un « délit »  qui ne comportait « aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations ».
De même, le schéma prévoyait que les journalistes puissent porter des équipements de protection à condition qu’ils soient identifiables et soient « exempts de toute infraction ou provocation ». Des termes jugés « ambigus et imprécis », aux yeux du Conseil d’État, pour qui « il n’appartient pas au ministre de l’Intérieur […] d’édicter ce type de règles à l’attention des journalistes comme de toute personne participant ou assistant à une manifestation ».
Enfin, l'accréditation des journalistes, qu'ils possèdent ou non une carte de presse, lors des manifestations a également été annulée. Celle-ci permettait à ceux qui s’y pliaient d’avoir un accès privilégié au canal d'informations mis en place par les forces de l’ordre en temps réel. En réservant ce dispositif aux seuls journalistes accrédités, le SNMO a porté « atteinte de manière disproportionnée à la liberté de la presse », selon le Conseil d’État. La « rédaction floue »  définissant cette mesure - qui « ne précise ni la portée, ni les conditions, ni les modalités d’obtention d’une telle accréditation »  - serait ainsi « susceptible de conduire à des choix discrétionnaires ».

Le Conseil d'État a fait « prévaloir la liberté » 

« C'est une vraie victoire et la démonstration que le Conseil d'État a fait prévaloir la liberté, la liberté de manifester, la liberté d'information, sur les demandes des forces de police. C'est une vraie grande décision qui a été rendue », s’est félicité, hier, sur franceinfo.fr, l'avocat du Syndicat national des journalistes (SNJ) et de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), Patrice Spinosi, qui voit en cette décision « un avertissement [d]es juges [qui] disent aux politiques : "Ne cédez pas à la surenchère sécuritaire, prenez en considération les libertés qui doivent être garanties à l'ensemble des citoyens, et en particulier s'agissant des questions de manifestations" ».
De son côté, le ministère de l'Intérieur a fait savoir que des « modifications seront apportées »  au schéma du maintien de l'ordre « tout en respectant les orientations de la décision du Conseil d'État », notamment concernant la technique de la nasse, pour laquelle il assure que « le gouvernement va s'employer » à préciser « les conditions d'emploi ».

Télécharger la décision du Conseil d’Etat.
 

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