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Édition du lundi 14 novembre 2022
Laïcité

Laïcité : le ministère de l'Éducation nationale appelle à la vigilance sur les tenues vestimentaires

Le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, a publié une circulaire consacrée aux atteintes à la laïcité en milieu scolaire. Une réaction à « la montée des phénomènes d'atteinte à la laïcité » notamment en matière vestimentaire. 

Par Franck Lemarc

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L’Éducation nationale fait face à une certaine recrudescence des atteintes à la laïcité, notamment via le port par certains élèves de tenues vestimentaires telles que les abayas, pour les filles, ou les qamis , pour les garçons. Quelle est la réalité de ce phénomène ? et comment y faire face ? Ce sont les questions auxquelles tente de répondre le ministre dans une circulaire adressée aux recteurs d’académie. 

Relative augmentation des signalements

En juin dernier, une note des renseignements territoriaux, qui avait fuité dans la presse, évoquait un certain nombre de faits concernant le port de tenues « islamiques »  dans les établissements. Sans aller jusqu’à l’« épidémie »  dénoncée alors par plusieurs journaux, le phénomène est réel, avec environ 140 faits remontés depuis le début de l’année. S’il faut relativiser ce chiffre, par exemple en le rapprochant des plus de 1 300 faits d’atteintes à la laïcité recensés à l’automne 2020, après l’assassinat de Samuel Paty, la note évoquait une augmentation de 22 % des faits liés au « port de signes et de tenues »  religieux dans l’espace scolaire, et dénonçait le rôle des réseaux sociaux (notamment TikTok), où certains activistes encouragent les élèves à porter ce type de tenue ou donnent des conseils pour détourner la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires. 

En octobre dernier, interrogé sur ce phénomène, le ministre de l’Éducation nationale reconnaissait que « depuis un an, le nombre de signalements relatifs à des tenues, disons ‘’islamiques’’, augmente ». Reste que beaucoup de chefs d’établissements sont en difficulté pour répondre à ces faits, dans la mesure où une robe longue de type abaya n’est pas aussi facilement identifiable à un « signe religieux ostentatoire »  qu’un voile, une kippa ou une croix très visible. 

Juger les « intentions » 

Dans la circulaire publiée dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye évoque le problème en affirmant que la loi du 15 mars 2004 vise non seulement « les vêtements et les signes religieux »  mais aussi « le port de tenues qui, par intention, ont clairement un objectif de signifier ou revendiquer l'appartenance ou à faire du prosélytisme religieux ». Il a donc décidé le lancement d’un « plan laïcité »  dans les établissements scolaires, dont le premier principe est de « sanctionner systématiquement et de façon graduée le comportement des élèves portant atteinte à la laïcité lorsqu'il persiste après une phase de dialogue ». 

Cette « phase de dialogue », préalable à toute sanction, est indispensable, détaille le ministre : « Ce seul dialogue peut à lui seul, dans de nombreux cas, permettre de dissiper toute tension ou incompréhension et ainsi de débloquer des situations. »  Si ce n’est pas le cas, « le chef d’établissement doit engager une procédure disciplinaire », même si elle peut « s’avérer délicate »  lorsque « les manquements sont difficiles à qualifier ». Le ministre invite les chefs d’établissement à s’appuyer en la matière sur « l'expertise des équipes académiques des valeurs de la République (EAVR) ». Il publie, en annexe de la circulaire, une fiche détaillant « la conduite de l’action des chefs d’établissement en cas de port de tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». 

Il s’agit notamment de répondre à l’argument brandi par certains élèves et leur famille défendant que certaines tenues ne sont pas d’ordre « cultuel »  mais « culturel ». Le ministère rappelle les deux cas jugés par le Conseil d’État : certains signes ou tenues manifestent, « par nature », une appartenance religieuse – ce sont les plus simples à juger. Mais d’autres tenues « ne sont pas par nature des signes d’appartenance religieuse mais peuvent le devenir indirectement et manifestement en raison du comportement de l’élève ». S’ils sont plus difficiles à juger, ils sont également interdits par la loi de 2004. 

C’est dans ce cas que la phase de « dialogue »  est importante, puisqu’elle doit permettre au chef d’établissement de juger des « intentions »  de l’élève et permettre de juger « au regard de son comportement »  si sa tenue a, ou non, « une signification religieuse ». Par exemple, « le fait de refuser d’ôter un vêtement ou un accessoire alors que leur port pourrait porter atteinte aux règles d’hygiène et de sécurité constitue un indice important sur la signification qui lui est donnée par l’élève ». 

Réseaux sociaux

La circulaire met également l’accent sur les atteintes à la laïcité commises sur les réseaux sociaux, un phénomène « en constante progression », note le ministère. Dans une fiche dédiée à ce problème, le ministère rappelle qu’un chef d’établissement peut être amené à sanctionner un élève même si les faits ont été commis à l’extérieur de l’établissement, si ceux-ci « sont susceptibles de perturber le fonctionnement de l’établissement ». La fiche donne une liste exhaustive de tous les faits qui peuvent être visés, certains appelant une sanction disciplinaire et d’autres pouvant avoir une qualification pénale. 

Formation

Le ministre semble conscient que les personnels de l’Éducation nationale, et en particulier les chefs d’établissements, se sentent relativement démunis face à ces situations, et sont « très fortement demandeurs d’indication pour cadrer leur action ». Il annonce donc qu’une formation « spécifique des chefs d’établissements »  va être organisée, « visant à permettre la construction d'un cadre collectif et protecteur au sein des collèges et des lycées ». Cette formation sera dispensée par les EAVR, « dans les meilleurs délais », indique le ministre sans plus de précision. 

Elle sera certainement bienvenue, dans la mesure où même cette circulaire publiée par le ministre n’apporte pas, loin de là, des réponses réellement précises aux chefs d’établissements face à des situations forcément complexes à gérer. 

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