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Édition du vendredi 27 mai 2016
Interview

Rapport de Philippe Laurent sur le temps de travail : « Ni à charge, ni à décharge »

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Philippe Laurent, maire de Sceaux et président du CSFPT, a finalement remis hier à la ministre de la Fonction publique son rapport sur « le temps de travail dans la fonction publique », après que le Premier ministre eut envisagé le report à une date ultérieure en raison des conflits sociaux. Première analyse du temps de travail depuis la mise en place des 35 heures, ce rapport émet 34 recommandations pour corriger les dérives, améliorer l’organisation.

La remise de votre rapport a failli être annulée. Est-ce un sujet si sensible politiquement ? Ou cela tient-il à vos préconisations ?
Cela aurait été une erreur de reporter la remise officielle car cela pouvait donner matière à interprétation qu’il s’agissait d’un document explosif. Ce n'est pas le cas. Cela aurait aussi entretenu les fantasmes sur les fonctionnaires qui travaillent moins que les salariés du privé.

Justement, la première réponse attendue est celle de savoir si les agents territoriaux travaillent moins que dans le privé ?
La réponse est très difficile car une moyenne ne veut pas dire grand-chose. Les situations sont très diverses dans la fonction publique, comme dans le privé d’ailleurs. Il faut se souvenir que la mise en place des 35 heures ne concernait pas la fonction publique à l’origine. Dès lors, on s’est contenté de plaquer les 35 heures sur une organisation existante. Cela a abouti à ce que dans des collectivités territoriales, où l’on travaillait déjà à 32 heures, cette organisation soit maintenue. Dans ces cas-là, effectivement, les agents travaillent moins, mais c’est le droit.

Vous dites qu’il faut revoir cela tout de même ?
Je dis qu’il faut engager la discussion. Le temps de travail doit faire l’objet d’un dialogue social qui ne peut être déconnecté de l’organisation du travail lui-même. 1607 heures ou pas, ce n'est pas cela qui importe. On peut être plus efficace en revoyant l’organisation du travail et en l’adaptant aux besoins des usagers.

Pensez-vous qu’il faille revenir sur la durée du travail ?
Je ne me prononce pas sur la durée légale qui, je le rappelle tout de même, est aussi un maximum. J’entends dire que les fonctionnaires devraient travailler plus. Une telle affirmation n’a pas de sens si l’on n’est pas précis. Il y a des fonctionnaires qui travaillent plus de 35 heures, sauf qu’ils bénéficient de RTT. Le problème, c’est que peu à peu, on a confondu les jours de RTT et les jours de congé. Or, si l’on ne peut pas négocier une baisse de congés, on peut négocier les RTT, qui dépendent du rythme de travail. C’est pour cela que nous demandons que les jours de RTT soient crédités mensuellement.
Il ne faut pas non plus oublier qu'un grand nombre d’agents publics (près de 40 %) travaillent régulièrement le week-end et les nuits. Soit beaucoup plus que dans le privé. Mais sans les avantages en heures supplémentaires. Dans la fonction publique, la contrepartie à ces sujétions particulières, c’est un volume d’heures inférieur à la durée légale de 1607 heures. C’est le cas par exemple des infirmières ou des policiers.

Qu’est-ce qu’il faut revoir, alors ?
Je crois que ce qui vient perturber le système, c’est une somme de petits éléments. C’est cela qui fait que la durée légale peut ne pas être respectée. C’est pourquoi je recommande de revoir la compensation des sujétions particulières, pas toujours en temps en moins, mais en argent en plus. Il faut aussi supprimer les jours de fractionnement (bonus quand les congés sont étalés dans l’année). Cette pratique a été justifiée mais elle ne l’est plus que pour les agents à 35 heures qui n’ont pas de RTT. Autre pratique à revoir, celle des autorisations spéciales d’absence où l’on observe des exagérations. Cela représente deux jours par agent dans la territoriale et trois dans l’hospitalière. Ce n’est pas rien. Il faut élaborer une norme commune. Dire, par exemple, qu’un mariage c’est un jour ou trois, peu importe, mais il faut que cela soit clair pour tout le monde. Dernier point, et sans doute le plus important, l’organisation du temps. Il faut inciter tous les responsables hiérarchiques, les managers et dirigeants territoriaux à avoir une réflexion en profondeur pour adapter l’organisation du temps de travail aux besoins de services, en réponse à ceux des usagers. C’est pourquoi nous proposons que soit élaboré un guide de bonnes pratiques pour accompagner les collectivités territoriales qui souhaiteraient faire évoluer les protocoles de temps de travail.

L’occasion de fusions ou de regroupements est-elle justement mise à profit pour revoir ces temps de travail ?
Sans doute pas assez, c’est pourquoi nous demandons qu’en cas de fusion ou de regroupement, un régime de travail uniforme soit adopté dans les deux ans. Cette réflexion doit faire partie du management. La difficulté est que cela ne fait pas partie de la culture de la fonction publique. Le CSFPT va sans doute s’auto-saisir de cette question des conséquences de l’organisation du temps de travail en cas de fusion.

Est-ce que les contraintes budgétaires sont un argument ? Y-a-t-il aussi un gain financier pour les collectivités à revoir ces protocoles ?
C’est très difficile à mesurer car rien n’est généralisable. Ce gain ne peut avoir une réalité financière que dans des cas précis, quand beaucoup de personnes font la même chose. Or dans les collectivités, les métiers sont très divers. La vraie façon d’économiser intelligemment, c’est de revoir l’organisation pour s’adapter aux besoins des usagers, de même qu’améliorer la qualité de vie au travail.

C’est ce qui vous fait dire qu’il serait préférable parfois de travailler mieux 30 heures que davantage, mais moins bien ?
Oui, car tout est affaire d’organisation, de process, d’outils de travail, de procédures... Prenons un exemple sur lequel nous nous sommes penchés : les courriels. Ils occupent un temps considérable dans une journée de travail. Nous avons été frappés par le nombre de personnes à qui on en envoie, sans gérer les copies, etc. Cela parait anecdotique, or c’est loin de l’être car on perd ainsi beaucoup de temps...

Comment résumeriez-vous votre rapport ?
Ni à charge, ni à décharge.
Propos recueillis par Emmanuelle Stroesser

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