Beauvau des polices municipales : quel est le véritable objectif du gouvernement ? 

08/04/2024
Polices municipales

La première réunion du 5 avril au ministère de la Justice « avec tous les acteurs concernés » laisse un goût amer aux participants. Les divergences de vue se sont multipliées, sur des sujets de fond. La conclusion de ces travaux, attendue pour le mois d'octobre, semble très lointaine.

« Je ne sais pas quelle suite donner à cette première réunion », s’interroge, auprès de Maires de France, Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF, qui portait la parole de l’association lors du Beauvau des polices municipales, qui a débuté le 5 avril au ministère de la Justice. « Je ne sais pas s’il s’agit d’une vraie concertation ou si les choses sont déjà actées ». Le moins que l’on puisse dire est que les participants à ce premier rendez-vous, dédié aux polices municipales et aux gardes champêtres, n’en sont pas ressortis en ayant le sentiment d’avoir beaucoup avancé sur les questions abordées : statut des polices municipales, revalorisation du métier, compétences, missions, judiciarisation (donner au policier municipal des pouvoirs de police judiciaire ou lui permettre à tout le moins d’accéder à certains fichiers et réaliser certaines procédures). 

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’a d’ailleurs vertement souligné : « Vos différences sont assez fortes. La position de l’Association des maires de France est assez éloignée de ce que disent les parlementaires [le député des Bouches-du-Rhône, Lionel Royer-Perreaut, co-auteur du rapport sur les missions et l’attractivité des polices municipales en juillet 2023, l’ancien député de Seine-et-Marne, Jean-Michel Fauvergue, co-auteur de la proposition de loi qui a conduit à la loi sur la sécurité globale du 25 mai 2021, le député des Alpes-Maritimes, Éric Pauget, président d’un groupe de travail sur les policiers municipaux à l’Assemblée nationale ndlr], de ceux qui prennent la parole comme Christian [Estrosi, maire de Nice, qui s’est exprimé en qualité de président de président de la commission consultative des polices municipales ndlr], et même de Jean-François Copé [maire de Meaux, également présent lors de la réunion et qui a proposé que la sécurité devienne une compétence obligatoire des communes de plus de 10 000 habitants, ndlr]. »

Un débat pour converger

« Le débat va peut-être permettre de converger vers des positions communes car, là, il est assez complexe d’imaginer une évolution » en six mois, a constaté Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur avait lui-même fixé le calendrier en préambule de la rencontre en donnant le mois d’octobre comme date butoir de ce Beauvau des polices municipales. Cette échéance permettrait que des dispositions soient éventuellement intégrées dans le futur projet de loi fonction publique prévu pour l’automne et dans la loi de finances 2025.     

L’accueil par quatre ministres (Justice, Intérieur, Transition écologique et Cohésion des territoires, Collectivités territoriales et Ruralité) témoignait de l’intérêt que porte l’État « aux polices municipales dans la sécurité du quotidien », comme l’indique le communiqué du gouvernement publié à l’issue de la rencontre. Une formulation quelque peu édulcorée par rapport à de nombreux propos tenus le matin. 

Dès l’ouverture, Éric Dupond-Moretti, constatait que les policiers municipaux « sont fréquemment les premiers à intervenir sur les lieux d’une infraction, quelle que soit sa gravité », qu’ils « participent plus régulièrement aux opérations de sécurité publique conduites par la police ou la gendarmerie nationale », qu’il est désormais recouru aux brigades cynophiles municipales « pour des missions de police judiciaire » et que « les directeurs et chefs de service de police municipale sont devenus des interlocuteurs privilégiés des procureurs de la République ». Les polices municipales font « désormais parties intégrantes des relations dites « police-justice », [elles] apparaissent comme une nouvelle force de sécurité, participant activement au continuum de sécurité. » 

Troisième force de sécurité ou police de la tranquillité ? 

Bien des participants ont en effet évoqué et voient les polices municipales comme « une troisième force de sécurité », après la police et la gendarmerie nationales. Christian Estrosi en tête, pour qui les policiers municipaux sont « un maillon de la chaîne de sécurité. Il est fini le temps où ils étaient des supplétifs. Nous ne sommes plus dans le débat de la légitimité ! » Celui qui est également président de la commission consultative des polices municipales a dit « ne pas partager du tout la position de l’AMF », en réaction aux propos de la secrétaire générale de l’Association, Murielle Fabre. 

L’association considère en effet la sécurité « comme une mission régalienne pour laquelle les maires font des efforts », en « augmentant les effectifs de policiers municipaux et de gardes champêtres » et craint « un glissement » de cette mission régalienne vers les communes si les policiers municipaux récupèrent des missions de police nationale. 

Liberté du maire

Pour ce débat, l’AMF pose quatre principes : la liberté du maire de mettre en place ou non une police municipale ; le fait que cette police de proximité opère sur les voies publiques pour assurer la tranquillité publique ; qu’elle appuie et accompagne les forces de sécurité intérieure dans le cadre précis des conventions de coordination ; et enfin, que les policiers municipaux restent dans le statut de la fonction publique territoriale. L’association sera par ailleurs vigilante sur trois points. Elle ne veut pas de fusion entre policiers municipaux et garde champêtres. « Les deux sont nécessaires aux maires », a expliqué Murielle Fabre. Elle émet « une réserve » sur l’accès aux fichiers. « Il faut poser la question du mode opératoire et des effets » et propose un « groupe de travail spécifique sur ce sujet ». L’AMF n’est, enfin, « pas favorable » à ce que les policiers municipaux acquièrent des compétences de police judicaire. « Cela poserait des difficultés au regard de la libre administration des collectivités territoriales car ils seraient de facto sous l’autorité du procureur de la République », a fait remarquer Murielle Fabre. 

Statu quo intenable

La conférence nationale des procureurs ne partage pas cet avis. « Le statu quo est intenable, a-t-elle indiqué. Nous sommes favorables à une évolution du cadre juridique, par exemple pour le flagrant délit. Le cadre [actuel] est insuffisant et problématique. Pour le délictuel, nous avons besoin d’étendre les pouvoirs de police judiciaire. Au quotidien, nous travaillons avec les policiers municipaux et des petites affaires peuvent déboucher sur de très grosses affaires. Il faut sécuriser les procédures, les agents, et assurer aux citoyens que les policiers municipaux agissent dans un cadre. Nous n’avons pas vocation à remplacer les maires sur la tranquillité publique et ne souhaitons pas augmenter les pouvoirs des procureurs de la République ».

Contrôle et formation 

Mais c’est une autre proposition de la part des procureurs qui a semé le trouble. Ils suggèrent de réfléchir à la création d’une inspection générale pour les policiers municipaux, qui serait chargée de les contrôler en cas de dérapage. Le maire de Vitry-le-François, Jean-Pierre Bouquet, référent sécurité pour l’Association des petites villes de France (APVF), a trouvé que cette proposition allait « dans le bons sens ». Le ministre de l’Intérieur a profité de cette suggestion pour relancer son idée de création d’une école nationale de police municipale : « s’il y a une inspection générale, la question de la formation se pose alors, a embrayé Gérald Darmanin. Est-ce que le CNFPT est le mieux placé pour les former ? » « Nous savons qu’il n’y a aucun intérêt [à faire une école nationale spécifique], a commenté Murielle Fabre auprès de Maires de France. Cela me laisse dubitative ». Ce sujet pose, finalement, la question du véritable objectif du Beauvau.

« Les associations d’élus n’ont pas eu véritablement de place pour s’exprimer de manière complémentaire [Seules l’AMF, l’APVF et Villes de France se sont exprimées, ndlr]. Au-delà de l’attractivité du métier et de la revalorisation, le débat a surtout porté sur les compétences des policiers municipaux et la judiciarisation, sur laquelle nous sommes très réservés, même si nous avons entendu le besoin de simplification. Nous attendons des éléments plus précis sur les tenants et les aboutissants de ce Beauvau. Le débat doit être clair et précis avec les associations d’élus ! »

Dans la soirée du 5 avril, l’AMF réagissait par voie de communiqué pour demander « d’agir efficacement dans le respect de la libre administration des communes. (…)  La prochaine séance prévue le 16 mai doit être une véritable concertation. Elle doit permettre un échange libre et respectueux des organisations représentatives des collectivités et des fédérations professionnelles avec l’État. À défaut, ce processus ne pourra aboutir à des conclusions partagées ».   


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