Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 3 septembre 2021
Gouvernement

À Marseille, Emmanuel Macron pointe du doigt élus et agents et ébauche une réforme profonde de l'école

Lors d'un long discours, à Marseille, hier, le chef de l'État a dévoilé, au-delà d'un plan pour la ville, un certain nombre d'idées sur les relations entre État et collectivités locales qu'il semble vouloir défendre à une échelle plus large. 

Par Franck Lemarc

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© Elysee.fr

La visite du chef de l’État – qui se terminera aujourd’hui – aura duré trois jours, une durée assez exceptionnelle pour un déplacement présidentiel dans une seule ville. L’Élysée justifie cette exception – « historique », a jugé le maire de Marseille – par la situation dramatique que connaît la ville. Pas seulement sur le terrain sécuritaire, avec la tragique multiplication des meurtres liés au trafic de drogue, ces derniers mois : plus généralement, le chef de l’État a rappelé, après plusieurs visites de terrain et rencontres avec les élus, la pauvreté, le délabrement de certains quartiers, l’enclavement des quartiers Nord, la situation catastrophique des écoles. Les chiffres qui ont circulé cette semaine sont éloquents : dans une ville « grande comme deux fois et demie Paris », a rappelé Emmanuel Macron, il n’y a que deux lignes de métro et 14 piscines, dont seulement trois étaient ouvertes cet été. « 174 écoles de la ville sont dans un état de délabrement tel que l’apprentissage y est devenu impossible », a constaté le chef de l’État. Sans parler du logement insalubre voire dangereux – comme l’a montré le dramatique épisode du 5 novembre 2018, rue d’Aubagne, où huit personnes ont perdu la vie dans l’effondrement d’un immeuble.

Pas de responsabilités pour l’État 

C’est cette situation qui justifie non seulement le déplacement du président de la République mais les moyens que celui-ci souhaite débloquer. Emmanuel Macron a d’ailleurs insisté pour dire que la situation marseillaise n’est pas comparable à celle d’autres métropoles. 

Il a annoncé un certain nombre de crédits qui devraient être débloqués en urgence, qui se chiffrent, au total, à quelque 1,5 milliard de financements : 200 policiers supplémentaires dès l'an prochain, un nouvel hôtel de police, 500 caméras de vidéosurveillance pour les quartiers Nord ; mais aussi une aide conséquente à l'investissement pour la création de quatre lignes de tramway et l'automatisation du métro, ainsi qu'une aide en vue de la création d'un « RER à la marseillaise ». Le chef de l'État s'est également engagé à aider les hôpitaux, avec en particulier près de 170 millions d'euros consacrés à la réhabilitation de la Timone. Des projets dédiés à la transition écologique et à la culture ont également été annoncés, avec notamment de grands projets évoqués sur le cinéma et l'audiovisuel (par exemple « le premier bassin de tournage en mer » ). 

Mais le chef de l’État a surtout déclaré qu’il n’apportait « ni un chèque ni un plan », mais un « changement de méthode ». Il ressort surtout de ce discours que le chef de l’État demande « fermement »  aux élus de changer de méthodes, en faisant reposer sur eux l’essentiel de la responsabilité de la situation. Le discours d’Emmanuel Macron a donné l’impression très nette que pour le président, l’État n’a pas de responsabilité directe dans la situation : il a pointé du doigt les élus locaux, la métropole, les agents municipaux, les enseignants… mais jamais l’État. 

Les écoles sont « délabrées » ? « Ce n’est pas la compétence de l’État », a dit Emmanuel Macron, qui a exclu une intervention directe de celui-ci : « On ne va pas créer un précédent, sinon tous les maires de France vont me dire ‘’moi aussi’’ (…), ‘’construisez-moi mes écoles’’. »  Et d’enfoncer le clou : « Si l’État se substitue aux collectivités quand cela n’a pas marché, c’est une prime à ceux qui font mal. » 

Autres « responsables »  pointés du doigt par le chef de l’État : les agents municipaux. « Vous avez un problème avec vos agents municipaux et vous avez trop de grèves. »  Dans les écoles, selon Emmanuel Macron, « il y a tant de pourcentage qui ne sont jamais là ». « L’État ne vient pas investir pour que certains viennent prélever leur dîme », a ajouté le chef de l’État en évoquant, apparemment, les agents municipaux. 

Enfin, le président a eu des mots très durs pour la métropole Aix-Marseille-Provence, dont il a appelé une réforme complète du fonctionnement et de la gouvernance : « Elle a une complexité trop importante », « des coûts de fonctionnement trop importants », « elle passe beaucoup trop de temps à redistribuer ». C’est la raison pour laquelle, selon lui, les projets de transports collectifs sont bloqués à Marseille. 

Ces critiques peuvent être entendues… mais on en oublierait presque que la création de cette métropole géante (c’est la plus grande de France) est le fruit d’une décision de l’État (loi Maptam de 2015), et qu’elle s’est construite contre la volonté de la plupart des maires concernés. 

Quoi qu’il en soit, le chef de l’État a conditionné l’octroi d’aides de l’État pour développer les transports collectifs à Marseille à une « réforme »  de la métropole : l’État mettra la main à la poche « à une condition claire : c’est que cet effort de la nation ne se disperse pas en redistributions inutiles, en paiements de fonctionnement indus. (…) La métropole doit faire évoluer sa gouvernance (…), c’est une condition indispensable et préalable ».

Big-bang pour l’école ?

En dehors des promesses concrètes sur le terrain de la culture, du développement économique, de la modernisation du port, du développement durable, le discours du chef de l’État a été marqué par des annonces sur l’école, qui ressemblent à une ébauche de programme pour le prochain quinquennat. Emmanuel Macron souhaite en effet faire de Marseille « le laboratoire de l’école du futur », où serait inventée « une méthode radicalement nouvelle pour l’éducation de nos enfants ». Son projet est de tester cette « nouvelle méthode »  dans 50 écoles de la ville – mais aussi dans « plusieurs autres quartiers de la République », dès la rentrée prochaine. Puis de la « généraliser »  si les résultats sont « concluants ». 

Cette « méthode »  reprend en partie des idées déjà mises en avant au moment du débat sur le projet de loi École de la confiance, mais qui avaient buté sur le rejet du Parlement. Il s’agit de donner « plus de libertés »  aux écoles, en individualisant l’organisation de celles-ci et en donnant plus de pouvoir aux directeurs d’école. Notamment, il a évoqué la possibilité pour les directeurs de « choisir leur équipe pédagogique »  et de leur donner plus d’autorité sur les professeurs – il n’en ont aujourd’hui aucune, les directeurs d’école étant des professeurs des écoles qui assument une tâche d’organisation supplémentaire. Conscient que ces idées constituent, pour les enseignants, des « gros mots », le chef de l’État les a justifiées, encore une fois, par le fait que « à tel endroit, les profs ne viennent plus ». 

Mais la réforme envisagée va plus loin : le chef de l’État envisage une forme de décentralisation, si l’on peut dire, des projets éducatifs et de l’organisation même de l’école, puisqu’il s’agirait que chaque école définisse, « avec les élus, les familles, les associations et les enseignants », « les projets d’apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, les durées des cours, les façons d’enseigner ». 

Ce projet, qui représenterait un véritable big-bang par rapport au fonctionnement actuel, centralisé, de l’Éducation nationale, n’a certainement pas fini de faire couler de l’encre. Les premières réactions au discours d’Emmanuel Macron sont d’ailleurs venues des syndicats enseignants, qui n’ont guère apprécié les allusions réitérées du chef de l’État à l’absentéisme des professeurs. Ainsi la secrétaire départementale de la FSU des Bouches-du-Rhône, Caroline Chevet, qui s’est dite ce matin « très en colère »  à cause des « insinuations du président de la République qui semble penser que les enseignants dans les écoles des quartiers les plus difficiles de Marseille sont responsables des difficultés, puisque, selon lui, ils ne viendraient pas en classe. »  La dirigeante syndicale a rappelé que dans les quartiers Nord de Marseille, « ce sont les enseignants qui, pendant le confinement, ont organisé l’aide alimentaire pour les familles et leurs élèves ». 

L’opposition peu convaincue

D’autres voix se sont exprimées pour évoquer la crainte de voir se développer « la concurrence entre les établissements », ce qui reviendrait, selon plusieurs députés de l’opposition qui se sont exprimés depuis hier, à « la destruction du service public de l’éducation ». 

Plusieurs responsables politiques de l'opposition se sont aussi exprimés pour dénoncer les « leçons »  du chef de l’État aux élus locaux ou encore le caractère tardif de ces annonces dans le quinquennat.

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