Maire-info
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Édition du mardi 18 janvier 2022
Laïcité

Déféré-suspension laïcité : la circulaire est parue

La création d'un déféré-suspension préfectoral contre les actes des collectivités portant atteinte au principe de laïcité a fait l'objet, récemment, d'une instruction relativement discrète du ministère de l'Intérieur. Décryptage.

Par Franck Lemarc

Le texte n’a pas été publié sur le site circulaires.gouv.fr, mais au Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur (Bomi) daté du 14 janvier. Il s’agit d’une instruction aux préfets pour l’application du nouveau déféré-suspension en matière de laïcité, prévu par la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021.

Disposition initialement controversée 

Cela avait été un long processus législatif ponctué de nombreux rebondissements. Dès le départ, le gouvernement avait souhaité intégrer dans son texte initialement intitulé « contre le séparatisme »  une mesure de déféré-suspension : en cas « d’atteinte grave au principe de neutralité d’un service public », le préfet pourrait demander la suspension de l’acte, à effet immédiat, avec obligation pour un juge de se prononcer sous 30 jours. 

Les associations d’élus avaient aussitôt dénoncé ce qui ressemblait fort à un retour du contrôle a priori par le préfet, c’est-à-dire un retour du pouvoir de tutelle. Et s’étaient émues d’une forme claire de « défiance »  vis-à-vis des élus. Le Conseil d’État, début décembre 2020, avait donné raison aux associations d’élus, estimant que ce dispositif « modifi[ait] de façon excessive l’équilibre du contrôle administratif et du respect des lois par les collectivités territoriales ». Il demandait que cette mesure soit remplacée par un « déféré accéléré », permettant au juge de statuer sous 48 heures. 

Comme l’expliquait le gouvernement lui-même en juillet dernier, il s’agit donc, dans le texte voté, du « même régime de déféré-suspension que (pour) les actes de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle. ». En cas d’atteinte grave aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, c’est donc le juge qui peut en prononcer la suspension dans les 48 heures. 

Les actes concernés

La circulaire publiée le 14 janvier est signée des ministres de l’Intérieur, des Relations avec les collectivités territoriales et de la Citoyenneté. Elle donne d’abord aux préfets la liste des domaines dans lesquels ils peuvent faire jouer cette nouvelle prérogative : organisation de services publics locaux ; marchés ayant pour objet l’exécution du service public et les délégations de service public ; subvention ou soutien aux associations ; recrutement au sein de la FPT. Dans tous ces domaines, le ministre de l’Intérieur demande aux préfets « d’être particulièrement attentifs aux actes susceptibles de porter atteinte à la laïcité et à la neutralité des service publics ». Dans le domaine de la commande publique en particulier, l’attention des préfets est appelée sur le respect des nouvelles dispositions définies au II de l’article 1er de la loi du 24 août 2021 : il s’agit du respect des obligations de laïcité et de neutralité des salariés participant à l’exercice d’un service public, y compris lorsqu’ils sont salariés d’une entreprise délégataire. 

Par ailleurs, la circulaire précise que le préfet peut exercer cette nouvelle prérogative y compris sur des actes « qui ne seraient pas couverts par l’obligation de transmission au contrôle de légalité », mais dont il aurait eu connaissance « par un tiers »  (presse, particuliers, entreprises, etc.). Le préfet peut alors exiger de se voir communiquer ces actes et si besoin de les déférer devant le tribunal administratif. 

Peuvent aussi être concernées « les décisions implicites de rejet ou d’acceptation »  ou les décisions « révélées », c’est-à-dire « déduites de circonstances de fait ». Par exemple, « la décision révélée de ne recruter que des agents provenant d’une communauté en particulier ». 

Appréciation « délicate » 

Concernant les « moyens d’agir », la circulaire précise bien que dans la mesure où un déféré pour annulation peut prendre « plusieurs mois, voire plus d’un an », les préfets peuvent l’assortir « d’une demande de suspension de l’acte ». Un telle décision ne doit toutefois être prise que dans la mesure où l’acte porte « gravement »  atteinte aux principes de laïcité ou de neutralité. L’appréciation de la « gravité »  de l’atteinte à ces principes peut être « délicate », reconnaissent les ministres. Elle doit s’appuyer « sur la jurisprudence ». En annexe, la circulaire fournit quelques exemples d’actes « méconnaissant les principes de laïcité et de neutralité » : subvention à une association cultuelle, menu confessionnel dans une cantine municipale, vœu émis par un conseil municipal pour encourager la pratique d’un pèlerinage… L’annexe de la circulaire illustre parfaitement le caractère extrêmement « délicat », en effet, de cette appréciation, puisque les exemples donnés démontrent que le juge, cas par cas, pourra statuer sur une « atteinte au principe de laïcité » … ou pas. Exemple : des horaires différenciés à la piscine selon le sexe de l’usager. Une telle décision n’est « pas nécessairement une atteinte au principe de neutralité et de laïcité »  si elle est « clairement justifiée par des considérations relatives à la protection des publics ». En revanche, elle pourrait être suspendue si elle reposait sur des motifs « de nature religieuse ». 

La circulaire mentionne le même type de nuances sur l’installation des crèches de Noël dans un bâtiment public, « en principe interdite »  sauf si elle présente « un caractère culturel, artistique ou festif ». 

Délais 

Pour les actes concernant les services publics, le juge aura bien, comme avait demandé le Conseil d’État, 48 heures pour statuer sur la demande de suspension déposée par le préfet. « Ce délai court laissé au tribunal administratif pour se prononcer permet d’éviter que les effets produits par l’acte se prolongent », en particulier dans les équipements publics tels que « équipements sportifs, cantines, bibliothèques… ». 

Pour les actes concernant l’urbanisme, les marchés et les délégations de service public, en revanche, la suspension préfectorale est immédiatement exécutoire et le juge disposera d’un mois pour statuer sur celle-ci. 

Le dispositif apparaît, au final, d’une grande complexité et soumis à une appréciation juridique très délicate. D’autant que, dès le début de ce débat, les associations d’élus avaient souligné la « disproportion »  de ce dispositif au regard du nombre de cas susceptibles de le déclencher : de l’aveu même des services de l’État, on en compte à peine une dizaine par an. 

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