Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 16 septembre 2022
Crise énergétique

Bouclier tarifaire pour les petites communes : des annonces qui prêtent à confusion

Le gouvernement a annoncé cette semaine une prolongation du « bouclier tarifaire » en 2023, afin de protéger, outre les ménages et les petites entreprises, « les petites communes ». Mais contrairement à ses affirmations, ces dernières ne sont pas protégées sur le prix du gaz. 

Par Franck Lemarc

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« Pour éviter (des) augmentations qui ne seraient pas soutenables, nous allons prolonger en 2023, le mécanisme du bouclier tarifaire pour tous les ménages, pour les copropriétés, les logements sociaux, les petites entreprises et les plus petites communes », a déclaré la Première ministre, Élisabeth Borne, mercredi 14 septembre. En 2023, ce « bouclier »  permettra de plafonner la hausse des prix « de l’électricité et du gaz »  à 15 %, a précisé la Première ministre. Hier, en clôture des Assises de l’APV, la ministre chargée des Collectivités territoriales, Caroline Cayeux, a été encore plus directe : « Le bouclier tarifaire est prolongé en 2023 afin de limiter à 15 % la hausse du prix de l’électricité et du gaz pour les plus petites communes ». 

Déclaration surprenante : pour les communes, qu’elles soient grandes ou petites, le bouclier tarifaire ne s’applique plus au gaz. Explications.

Le TRV

Quand on parle de « bouclier tarifaire », on évoque en fait le plafonnement de l’augmentation des TRV, c’est-à-dire des tarifs réglementés de vente. Ce « bouclier »  ne concerne donc que ceux qui peuvent bénéficier de ces tarifs. 

Depuis qu’a commencé l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, il a été acté que le marché serait divisé en deux : d’un côté, les fournisseurs dits alternatifs, dont les tarifs sont libres ; de l’autre, un fournisseur historique, dont les prix sont fixes, c’est-à-dire « réglementés ». Au fil des années, le nombre de catégories de consommateurs autorisés ou non à se fournir au TRV a diminué, jusqu’à une extinction totale (c’est-à-dire l’impossibilité, pour tout consommateur, de bénéficier de ces tarifs régulés) programmée à des dates différentes pour le gaz et l’électricité.

Le gaz naturel

Pour le gaz, les TRV (applicables uniquement par Engie et quelques entreprises locales de distribution) coexistent depuis 1999 avec une offre de marché. Depuis le 1er décembre 2020, les collectivités – y compris les petites communes – ne peuvent plus bénéficier des TRV, qui ne profitent plus qu’aux seuls particuliers. À partir du 1er juillet 2023 – sauf évolution législative qui interviendrait d’ici là – les TRV sur le gaz disparaîtront totalement, y compris pour les ménages. 

Entre octobre 2021 et février 2022, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour bloquer le tarif réglementé du gaz. Mais – et c’est un « mais »  qui a une importance considérable pour les communes – ces décisions ne s’appliquent qu’à ceux qui peuvent bénéficier de ces tarifs réglementés, c’est-à-dire aux seuls ménages (logements individuels, logements sociaux, copropriétés…). Autrement dit, les communes, même les plus petites d’entre elles, ne sont toujours pas éligibles au TRV gaz, et ne sont donc nullement concernées par le plafonnement à 15 % annoncé par la Première ministre. 

L’électricité

Il n’en va pas de même pour l’électricité, car le calendrier est différent. 

Depuis le 1er décembre 2020, les collectivités en général n’ont plus droit au TRV, sauf les plus petites d’entre elles : la loi prévoit en effet que ceux-ci restent accessibles aux « consommateurs professionnels qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires, recettes ou total de bilan annuel n’excède pas 2 millions d’euros ». Les collectivités qui emploient moins de 10 agents et ont des recettes inférieures à 2 millions d’euros restent donc éligibles au TRV depuis le 1er janvier 2021. Elles ont donc bénéficié du blocage des prix (4 % maximum d’augmentation en 2022) et seront concernées par celui qu’a annoncé la Première ministre avant-hier (plafond à 15 % l’année prochaine). 

Les propos de la Première ministre et de Caroline Cayeux semblent donc devoir donc être nuancés : les « petites communes »  seront donc bien un peu protégées pour l’électricité, mais, en l'état actuel de la législation, pas pour le gaz. 

Faut-il voir dans la déclaration de Caroline Cayeux l’amorce d’une réforme à venir ? C’est en tout cas ce qu’espère la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), dont un expert, interrogé ce matin par Maire info, veut voir dans ces déclarations « de bonnes intentions », qui doivent « maintenant être suivies d’effet ». La FNCCR souhaite le rétablissement du TRV gaz pour les collectivités, et « pousse »  pour qu’une telle mesure soit intégrée dans le projet de loi pour l’accélération du développement des énergies renouvelables. 

Incertitude sur les chiffres

Reste à savoir combien de communes ou d’intercommunalités sont concernées par ce bouclier tarifaire électricité – c’est-à-dire celles qui ont moins de 10 agents et moins de 2 millions d’euros de recettes.

Un certain flou règne sur la question, puisque des chiffres allant jusqu’à 33 000 ont été évoqués. Bruno Le Maire, dans son audition devant les députés, avant-hier, a parlé de « 30 000 ». Quant à la ministre chargée des collectivités territoriales, Caroline Cayeux, en clôture des Assises de l’APVF, hier, elle a parlé de « 28 000 collectivités ». Quels qu’ils soient, ces chiffres étonnent par leur ampleur. À la FNCCR, on se dit « surpris », les estimations menées par la fédération sur ce sujet ayant abouti à un nombre de communes nettement moins important.

Il serait pour le moins utile de connaître le chiffre précis. Et de lever l’ambiguïté entre « communes »  et « collectivités ». Est-ce que, dans ces chiffres, le gouvernement ne compte que les communes, ou d’autres types de structures comme les syndicats ? Et quel est, par ailleurs, le nombre de communes répondant aux critères, c’est-à-dire ayant droit au TRV, mais étant volontairement sorties du système, après avoir cédé aux sirènes des fournisseurs alternatifs qui leur promettaient monts, merveilles et économies faramineuses ? 

Charges de centralité

Enfin, plus généralement, il faut souligner que, même pour l’électricité, le fait de réserver les tarifs réglementés aux plus petites communes laisse de côté la plus grande partie du problème. Le chiffre de « 30 000 communes »  brandi, par exemple, par Bruno Le Maire, est fait pour donner l’impression que la presque totalité des 35 000 communes du pays sont « protégées ». Sauf que celles qui ne le sont pas, si elles sont minoritaires en nombre, sont celles qui sont le plus durement frappées par la crise : villes, petites villes, bourgs-centres, ce sont eux qui portent l’essentiel de ce que l’on appelle les « charges de centralité », c’est-à-dire les services publics qui irriguent leur territoire et les communes alentours : piscines, bibliothèques, installations sportives, écoles, etc. Étrange « bouclier », donc, qui ne protège pas ceux qui en ont le plus besoin.

Pour résoudre le problème, l’AMF a réitéré, hier, lors de sa conférence de presse de rentrée, sa demande de rétablissement de l’accès aux TRV pour le gaz et l’électricité et pour toutes les communes et intercommunalités, quelle que soit leur taille. 

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