Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 7 septembre 2020
Coronavirus

Généralisation du masque : le « oui, mais » du Conseil d'État     

Le Conseil d’État a rendu hier deux ordonnances très attendues sur le port du masque : saisie par le gouvernement, la juge des référés devait statuer sur les arrêtés préfectoraux pris dans le Bas-Rhin et le Rhône pour imposer le port du masque généralisé dans les agglomérations. Verdict : si le port du masque peut être imposé dans les zones les plus denses, le Conseil d’État juge que la mesure est disproportionnée dans les communes moins peuplées des agglomérations. 

Maires et préfets
Le Conseil d’État et le port du masque, c’est une histoire qui dure depuis quelques mois… et qui n’est pas forcément facile à suivre. On se rappelle qu’en avril dernier, en pleine épidémie, le Conseil d’État avait validé la suspension d’un arrêté pris par le maire de Sceaux, Philippe Laurent, qui imposait le port du masque sur toute la commune des Hauts-de-Seine. 
Cinq mois plus tard, le même Conseil d’État a rendu hier une décision radicalement différente, allant dans le sens d’une généralisation du masque. Mais avec une différence de taille : dans le premier cas (Sceaux) la décision concernait les pouvoirs de police du maire ; ici, on parle de décisions du préfet, c’est-à-dire de l’État. Et c’est toute la différence. 
Rappelons la chronologie : le 28 août, la préfète du Bas-Rhin a pris un arrêté imposant le port du masque pour tous les piétons de onze ans et plus dans les communes de plus de 10 000 habitants de l’Eurométropole de Strasbourg et du département. Attaqué par des associations au nom de la « défense des libertés », cet arrêté a été retoqué par le tribunal administratif de Strasbourg, le 2 septembre. Celui-ci a ordonné que la préfète modifie son arrêté, jugé trop général, en excluant certaines communes ou certaines heures « qui ne sont pas caractérisées par une forte densité de population ». Le ministère des Solidarités et de la Santé a aussitôt déposé une requête devant le Conseil d’État pour faire annuler cette décision du TA de Strasbourg. 

Circonstances locales
Le Conseil d’État a rappelé, hier, le contexte : depuis la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre peut prendre des mesures réglementant la circulation des personnes, « aux fins de lutter contre la propagation du virus ». Et, si ces mesures doivent être prises à une échelle infra-départementale, habiliter les préfets à les prendre eux-mêmes. Ces mesures doivent être prises « après avis du directeur général de l’Agence régionale de santé »  et « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». 
Par ailleurs, le décret du 10 juillet 2020 précise clairement que « le préfet de département est habilité à rendre (le masque) obligatoire, sauf dans les locaux d'habitation, lorsque les circonstances locales l'exigent. » 
Le Conseil d’État rappelle ensuite les « circonstances locales »  dans le Bas-Rhin : le nombre de nouveaux cas de covid-19, qui était de 3 pour 100 000 à la mi-juillet, est passé à 43 pour 100 000 fin août, et même 56 pour 100 000 dans l’Eurométropole de Strasbourg. Le département a été placé en zone rouge le 5 septembre. « Cette situation impose aux pouvoirs publics de prendre les mesures adaptées pour contenir la propagation de l’épidémie », estime la juge des référés du Conseil d’État. 
Néanmoins, de l’avis des autorités scientifiques, le risque de transmission du virus, déjà relativement plus difficile en plein air que dans les lieux clos, est surtout prégnant « en cas de forte concentration de population ». Or une « forte concentration de population »  ne peut être constatée à toutes les heures et en tous lieux des communes concernées par l’arrêté préfectoral. C’est ce qui a justifié la première décision du TA de Strasbourg. 
De son côté, le gouvernement avait répondu en parlant de nécessaire « lisibilité et simplicité »  des décisions prises. La manière dont les choses se sont déroulées à Paris, notamment, lorsque la préfecture de police a rendu le masque obligatoire dans certaines rues et pas dans d’autres, a conduit le gouvernement à estimer qu’il valait mieux, pour simplifier les choses, édicter des interdictions valables sur tout le territoire d’une commune.

Nuances
Le Conseil d’État se montre très nuancé et pèse soigneusement l’avis de chacun : il reconnaît que la « simplicité »  doit être prise en considération, et que les préfets peuvent à bon droit « délimiter des zones suffisamment larges (…) de sorte que les personnes puissent avoir aisément connaissance de la règle et ne soient pas incitées à enlever puis remettre leur masque au cours d’une même sortie ». Il juge donc que la décision de la préfète du Bas-Rhin ne porte atteinte à aucune « liberté fondamentale », mais en revanche que « certaines zones »  des communes concernées, peu denses, pourraient être exclues de l’obligation du port du masque sans nuire au « souci de cohérence »  de la mesure. 
Le Conseil d’État demande donc à la préfète du Bas-Rhin de modifier son arrêté d’ici le mardi 8 septembre à midi, en limitant l’obligation du port du masque aux lieux « caractérisés par une forte densité de personnes ou une difficulté à assurer le respect de la distance physique ». 
Dans le Rhône, où une situation similaire se présente, le juge des référés du Conseil d’État a validé, en revanche, la décision du préfet d’imposer le port du masque en tous lieux des communes de Lyon et Villeurbanne, eu égard à la densité de population de ces communes (plus de 10 000 habitants au kilomètre carré). Il a uniquement demandé au préfet de modifier son arrêté pour prévoit une dérogation concernant les personnes « pratiquant des activités physiques ou sportives ».

Franck Lemarc

Télécharger l’ordonnance Bas-Rhin et l’ordonnance Rhône.

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