Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 23 septembre 2022
Aménagement numérique du territoire

Raccordements à la fibre optique : le mécontentement des élus subsiste

Les rencontres Territoires connectés organisées par le régulateur des télécoms, l'Arcep, ont eu lieu hier. Opérateurs, élus et représentants de l'État ont pu faire le point sur les avancées des réseaux fibre. Sans surprise, de nombreux dysfonctionnements sont encore constatés par les élus qui sont de plus en plus las de cette situation.

Par Lucile Bonnin

« La situation urge sur une bonne partie du territoire » , déclare Patrick Chaize, sénateur de l’Ain, dans son propos introductif à la conférence annuelle Territoires connectés 2022. Le président de l’Avicca(1) a d’ailleurs déposé une proposition de loi en juillet dernier pour mettre la pression sur les opérateurs qui tardent à régler les problèmes sur les réseaux (lire Maire info du 22 juillet). 

Car le sujet est encore et toujours le même : les opérateurs se renvoient la balle et tardent à régler les difficultés que rencontrent quotidiennement les maires dans les territoires (dégradation des armoires, coupures sauvages, branchements non conformes). 

Ce jeudi, tous les acteurs de l’aménagement numérique des territoires et les opérateurs étaient réunis pour faire le point sur les avancées du réseau fibre. L’occasion d'entendre le témoignage d’élus qui vivent ce déploiement au plus près du terrain. 

L’engagement des collectivités 

Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, a introduit la conférence. Pour le ministre, « le déploiement de la fibre, pour être une réussite complète, impose désormais une exemplarité en termes de qualité. En près de 9 ans, nous avons contribué à raccorder 72 % des locaux d’ores et déjà éligibles à une offre fibre. N’oublions pas que nous avons mis plus de 30 ans à établir un réseau cuivre en France. »  Le rythme de déploiement est soutenu et c’est la grande fierté de tous les acteurs des télécoms. 

Cette réussite, le gouvernement la doit en grande partie aux collectivités. Le ministre a d’ailleurs salué hier « l’engagement des collectivités, et des opérateurs »  pour les réseaux d’initiative publique (Rip). « C’est un franc succès de mobilisation des territoires qui a permis de déployer 3 millions de lignes fibre en zone rurale en près de 10 ans. Il ne faut pas relâcher les efforts ou se laisser porter par une forme d’angélisme. Nous sommes en bonne voie, restons concentrés. » 

Si les collectivités jouent le jeu, nombreux sont les élus qui se sentent abandonnés face aux problèmes que les citoyens rencontrent. Le ministre dit entendre « ce mécontentement »  lié aux « mauvaises expériences de raccordements et malfaçons »  qui, selon lui, « sont limitées, certes, mais malgré tout très présentes et vivaces à l’esprit de nos concitoyens. »  

Fermeture du réseau cuivre

Impossible de parler de la fibre sans évoquer le plan de fermeture du réseau cuivre d’Orange. Concrètement, ce plan prévoit l’abandon du réseau cuivre (téléphonie et internet) au profit de la fibre d'ici à 2030 (lire Maire info du 7 avril 2022). Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange a dressé un panorama plutôt positif de ce chantier qui se fait en deux temps : d’abord avec la fermeture commerciale jusqu’en 2025 (phase de transition) puis avec la fermeture technique définitive entre 2026 et 2030. 

La commune de Lévis-Saint-Nom (Yvelines), a fait l'objet d'une expérimentation réussie en 2021 à l'issue de laquelle le réseau cuivre a été totalement fermé. Six communes font l'objet d'une nouvelle expérimentation depuis plus d’un an. De ces différents cas de figure, Nicolas Guérin retient une seule chose : « Le rôle du maire est primordial dans ce plan. »  Pour lui, « impliquer les élus »  est indispensable car « ils sont à portée d’explications » , et peuvent notamment « rassurer le consommateur »  sur certaines questions. Beaucoup de consommateurs seraient en effet encore réticents à passer le cap de la fibre. L’Arcep propose d’ailleurs des guides sur le sujet à destination des élus.

Le ministre fait tout de même une piqûre de rappel : « La transition du réseau cuivre vers la fibre doit s’accompagner des garanties nécessaires de disponibilité, de qualité et d’abordabilité des services. »  Mais la continuité des services pourra-t-elle être assurée ? Pour le moment, c’est loin d’être le cas. 

« Les naufragés de la fibre » 

Si, comme le dit Nicolas Guérin, « tout le monde doit jouer un rôle »  dans ce défi d'aménagement, les élus sortent perdants de cette opération de déploiement. Ils sont démunis face à des dégradations qui s’accumulent et des problèmes qui ne font que s’intensifier malgré les nombreuses mises en alerte. 

Évidemment, il a été rappelé que « la question de la qualité des réseaux se pose de façon contrastée en fonction des territoires »  et que « 8 réseaux cumulent la grande majorité des pannes – ce qui représente 2 % du parc en 2022 » , explique Olivier Corolleur, directeur général adjoint de l’Arcep. 

Marie Guévenoux, députée de l’Essonne et première questeure de l’Assemblée nationale, témoigne de l’ampleur que peuvent prendre les malfaçons dans un territoire : « L’Essonne est raccordé à 93 % et donc la fibre y est particulièrement déployée. Pour autant, les plaintes enregistrées auprès des élus locaux sont en hausse. Les armoires sont dégradées, les interventions sont bâclées… Notre territoire fait partie de ces naufragés de la fibre. » 

En cause : la multiplicité des réseaux et des acteurs et un recours jugé « excessif »  à la sous-traitance. Tout cela donne aux élus « un sentiment de dilution de la responsabilité » . La députée observe également que « les élus locaux sont confrontés de plus en plus à la colère des usagers car lorsqu’un problème se résout, très souvent un autre se crée. En 2021, à Soisy-sur-Seine (commune qui compte 3 100 ménages), 3 200 incidents ont été constatés sur un an ! » 

Et les problèmes de raccordements ne sont malheureusement pas uniquement liées à la vétusté du réseau. André Mellinger, maire de Figeac, président du syndicat mixte Lot numérique et vice-président du département du Lot, chargé du numérique explique que le réseau d'initiative publique du Lot est neuf et « que le raccordement final pose souci car il y a un jeu de ping pong entre le fournisseur d’accès et l’opérateur d’infrastructures. On fait venir plusieurs équipes pour raccorder et cela prend du temps. In fine, les habitants se retournent vers celui qui est "à portée d’engueulade"… » 

Un accord collectif 

Des réponses ont été apportées par les acteurs de la filière, notamment par la voix de Philippe Le Grand, président d’InfraNum. Ce dernier a annoncé la mise en place d’un accord collectif « remis la semaine dernière au ministre et à l’Arcep. » 

Dans les faits, les grandes lignes de cet accord avaient déjà été dévoilées en juin dernier lors du colloque de l’Avicca par Liza Bellulo, président de la Fédération Française des Télécoms (FFT) (lire Maire info du 3 juin). 

Beaucoup d’attentes envers cet accord reposaient sur la question de la sous-traitance. La colère des élus est en effet grandissante face à la recrudescence d’interventions expéditives et mal réalisées. Dominique Vérots, maire de Saint-Pierre-du-Perray et conseiller communautaire délégué chargé des infrastructures et de l’innovation numériques de Grand Paris Sud, s’est exprimé sur le sujet, dénonçant le travail de « gougnafier »  effectué par les sous-traitants et le ras-le-bol général des maires de la communauté d'agglomération. 

L’accord détaillé par Philippe Le Grand prévoit une intensification du contrôle avec la mise en place de plannings d’intervention, l’obligation de réaliser un compte rendu d’intervention conforme et aussi la mise en place d’un permis à points pour les intervenants. Ces derniers pourraient perdre leur droit d’exercer si une malfaçon est constatée.

S'il est clair que l’ubérisation de la filière est un des grands maux du chantier de la fibre, il est tout de même surprenant que la question des salaires pour ces techniciens n’ait pas été abordée (lire Maire info du 11 mars). Comme le rappelle Philippe Le Grand, « il ne faut pas mettre au pilori tous les raccordeurs [car] tout un pan de la profession mérite beaucoup plus de respect. »  La revalorisation des salaires est donc un point sur lequel il aurait été intéressant que les opérateurs s'expriment.

La reprise des points de mutualisation défectueux est aussi prévue par l’accord. Espérons que ces annonces prennent effet rapidement même si les contrats ne sont pas encore signés et si Philippe Le Grand « ne promet pas encore le grand soir d’ici la fin de l’année ».
 

(1) Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel.

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