| Édition du mardi 16 décembre 2025 |
Agriculture
Colère des éleveurs : le gouvernement maintient sa position, le mouvement se durcit
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Alors que la ministre de l'Agriculture a répété hier que la situation épidémique est « sous contrôle » en matière de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), la colère des éleveurs ne retombe pas, au contraire. Les actions s'amplifient et aucun compromis ne se dessine pour l'instant.
« Le protocole mis en place est soumis et fonctionne. » En déplacement à Toulouse, hier, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a douché les espoirs des éleveurs qui espéraient une inflexion de la stratégie du gouvernement en matière de traitement de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Elle a par ailleurs annoncé une action de vaccination massive d’un million de bovins en Occitanie.
Abattage ou vaccination ?
Deux visions s’opposent dans ce dossier. Celle défendue par le gouvernement, sur la base des recommandations des scientifiques et des vétérinaires – et qui a le soutien du syndicat agricole FNSEA : tenter d’empêcher la diffusion de la DNC en abattant la totalité du troupeau dès qu’un cas est repéré. Une fois l’abattage réalisé, les autres bêtes sont vaccinées dans un rayon de 20 kilomètres autour de l’exploitation concernée. Enfin, la stratégie gouvernementale repose sur une limitation drastique des mouvements des bovins dans le pays, là encore pour éviter tout risque de diffusion.
Les experts scientifiques qui s’expriment sur le sujet répètent que cette stratégie de l’abattage systématique est la seule susceptible de bloquer la diffusion du virus, et que si les restrictions sur les déplacements d’animaux sont respectées, il sera possible de faire disparaître entièrement la maladie du pays. Selon eux, cette stratégie doit être appliquée tant que la maladie n’est pas devenue endémique. Dans ce cas-là, elle deviendra obsolète et il faudra appliquer d’autres modalités – l’abattage des seules bêtes malades.
Si cette stratégie, on l’a dit, a le soutien de la FNSEA, elle est en revanche vivement combattue par une alliance étonnante entre deux syndicats que tout oppose, la Coordination rurale, marquée à droite voire à l’extrême droite, et la Confédération paysanne, très à gauche. Ces deux organisations se retrouvent sur leur opposition frontale à l’abattage systématique des troupeaux. Elles demandent que seuls les bovins contaminés soient abattus et que l’ensemble du cheptel soit vacciné. Ces deux syndicats ont indiqué qu’ils poursuivraient – et amplifieraient – leurs actions tant que le gouvernement n’aura pas renoncé à l’abattage des troupeaux.
Extension des zones de surveillance
Hier, la ministre leur a une fois encore opposé un refus, rappelant que le gouvernement « s’en tient aux recommandations des scientifiques » et expliquant que si la maladie s’étend, ce ne sont pas quelques exploitations, mais des milliers, qui seront frappés par une maladie susceptible de faire des ravages dans les troupeaux.
L’abattage systématique, en effet, pour traumatisant qu’il soit pour les éleveurs, ne concerne en effet qu’un nombre très limité d’animaux. Pour mémoire, depuis le début de la crise en juin, ce sont 3 300 animaux qui ont été abattus, sur un total de 15,7 millions – soit 0,02 %.
La maladie continue pourtant de se diffuser. Hier, c’est dans l’Aude qu’un nouveau foyer a été repéré dans une petite ferme, à Pamas, ce qui a conduit à l’abattage d’une dizaine d’animaux.
La ministre a annoncé hier que le périmètre de vaccination autour des exploitations touchées va passer de 20 à 50 km – mesure qui n’a pas encore été officialisée par une publication au Journal officiel. Une campagne de vaccination qui va toucher entre 600 000 et un million de bêtes va débuter en Occitanie. Mais la ministre a répété son opposition à une vaccination générale du cheptel, arguant des difficultés économiques que cela provoquerait. C’est également la position de la fédération Culture viande, qui regroupe les entreprises d’abattage et de découpe, qui a mis en garde hier contre une vaccination généralisée qui ferait perdre à la France son statut « indemne de la DNC » et entraînerait une « complexification accrue des conditions d'exportation ».
Le mouvement s’étend et se durcit
Quoi qu’il en soit, les actions de protestation des éleveurs se multiplient : alors que dimanche, le ministère de l’Intérieur recensait une trentaine d’actions impliquant un millier de personnes, il en comptait, hier, quarante impliquant 3 000 manifestants.
L’autoroute A64 reste coupée par les éleveurs entre Toulouse et Tarbes. D’autres blocages ont lieu en Gironde, en Dordogne, en Aveyron, en Haute-Vienne, dans les Landes… Des manifestations ont eu lieu devant les préfectures à Tours, Boulogne-sur-Mer, Albi, Angoulême, Montauban, Pau… Pour la journée d’aujourd’hui, des actions de blocage sont prévues sur les autoroutes A9 et A54 autour de Nîmes, sur l’A8 près de Nice, sur l’A34 ans les Ardennes, ainsi qu’aux alentours de Cahors, Ussel, Brives ou Châtellerault.
Plus inquiétant encore, à l’approche du début des vacances de Noël, un porte-parole de la Coordination rurale a annoncé hier que la ministre allait « payer cher » son refus d’entendre les éleveurs, et que le syndicat allait « passer à la vitesse supérieure » en « en bloquant les voies ferrées et les aéroports dans tout le grand sud ».
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Agriculture
Dermatose : 200 maires de l'Ariège se réunissent pour débattre de la situation et demander au gouvernement de renouer le dialogue
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L'association départementale de l'AMF en Ariège et l'Association des maires ruraux de France ont organisé, hier, une réunion en urgence pour débattre de la situation des éleveurs. Les maires demandent que toute la stratégie du gouvernement soit remise à plat.
« Quand vous envoyez un mail le samedi pour une réunion le lundi, et que 200 maires sur 320 sont présents, cela donne une idée de l’inquiétude des élus ». Jean-Jacques Michau, ancien maire de Moulin-neuf, sénateur de l’Ariège et président de l’Association des maires et élus de l’Ariège, semble lui-même impressionné de l’affluence à cette réunion, organisée à l’initiative de l’association départementale de l’AMF et de l’AMRF, à Foix. Premier objectif : « Montrer publiquement le soutien des maires à l’élevage et aux éleveurs », dans un département où le nombre d’éleveurs – et en particulier de petits éleveurs – est considérable, et où bien des maires exercent d’ailleurs eux-mêmes cette profession. « Nous avons tous un éleveur dans la famille », ajoute Jean-Jacques Michau.
« Quand ça ne fonctionne pas… »
Deuxième objectif, explique le sénateur à Maire info : « Demander au préfet et au ministère de l’Agriculture d’étudier un nouveau protocole et de mettre en œuvre très rapidement un soutien économique ».
Le président de l’AD de l’Ariège est très clair : il ne s’agit pas de remettre en question la parole des scientifiques : « Nous ne sommes pas des scientifiques et nous ne voulons pas parler à leur place. Mais si quelque chose ne fonctionne pas, il faut le remettre en question. » Pour l’ancien maire de Moulin-Neuf, « la stratégie d’abattage des troupeaux fonctionnerait si l’on était sûr et certain que les transports d’animaux ne se font pas. Hélas, ils se font. » À preuve, l’épidémie a démarré en Savoie, y a été éradiquée… et a « sauté » en Occitanie (Hautes-Pyrénées, Ariège, Aude). La ministre elle-même a évoqué des transports « clandestins » qui auraient pu jouer un rôle dans ce déplacement de l’épidémie. « Ce sont peut-être les insectes, aussi, qui jouent un rôle – on ne sait pas, ajoute Jean-Jacques Michau. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a des transferts. »
Dans ces conditions, les maires de l’Ariège estiment qu’il est indispensable de remettre en question le protocole, d’autant plus que l’abattage systématique pourrait avoir des effets de bord extrêmement dangereux : « Ce qui risque d’arriver, redoute Jean-Jacques Michau, c’est que les éleveurs ne déclarent plus la maladie, pour ne pas voir leur troupeau abattu. Ils creuseront un trou au fond d’un champ, enterreront la bête malade et voilà. » Ce qui constituerait, évidemment, une situation extrêmement préoccupante.
L’AD de l’Ariège souligne que « de nombreux experts ainsi que les GDS [groupements de défense sanitaire] d’Occitanie appellent à une modification du protocole ». Il ne s’agirait pas, explique le sénateur, de renoncer entièrement à l’abattage systématique, mais d’avoir « une approche différenciée », afin de « préserver les cheptels tout en maintenant les efforts nécessaires pour maintenir l’épidémie ».
Questions économiques
Les maires réunis hier ont également posé la question des innombrables difficultés économiques qui découlent de la situation – difficultés que le gouvernement ne semble pas avoir toutes anticipées. Exemple : si un éleveur voit son troupeau abattu et se fait indemniser, le montant de l’indemnisation sera-t-il comptabilisé comme un revenu, qui pourrait lourdement modifier la situation fiscale de l’éleveur ? Comment vont vivre les éleveurs dont le troupeau est bloqué pendant des mois du fait des restrictions de circulation, « sans revenus mais avec des dépenses liées à l’alimentation de troupeaux plus importants que prévu » ? Quid des aides de la PAC ? Dans la mesure où celles-ci sont octroyées par tête de bétail, seront-elles coupées pour les éleveurs dont le troupeau a été abattu ? Et, au contraire, pour ceux qui seront obligés de garder leur troupeau à la ferme du fait des interdictions de déplacement, et auront donc plus de têtes que prévu, les aides vont-elles être recalculées ?
Certaines de ces questions ont déjà des réponses, mais elles sont suspendues à … l’adoption du budget, plus qu’incertaine. En effet, pour l’instant, l’indemnisation de l’État en cas d’abattage – entre 2 000 et 3 500 euros par bête – est bien censée être fiscalisée, ce qui pourrait représenter des sommes considérables à verser aux impôts l’an prochain. Le gouvernement s’est engagé à ce que le PLF actuellement en discussion intègre une mesure d’exonération fiscale et sociale de ces aides et, en effet, un amendement a été voté en ce sens dans le PLF. Mais si le budget n’est pas voté… la mesure disparaîtra, et ne pourra pas être intégrée à une loi spéciale.
Population « traumatisée »
On le voit, les motifs d’inquiétude pour les éleveurs – et en particulier ceux, nombreux en Ariège, qui n’ont que de petites exploitations et de faibles revenus – sont nombreux. « Le nombre de maires présents à cette réunion montre à quel point la préoccupation des élus est grande, souligne Jean-Jacques Michau, et les maires reçoivent en direct l’inquiétude et la colère des éleveurs. »
Et même celle de la population elle-même, plutôt solidaire des agriculteurs. « Je peux vous le dire, la population ariégeoise a été traumatisée par les moyens et les forces de l’ordre déployés à Bordes-sur-Arize [le 11 décembre] ». Les forces de l’ordre avaient, ce jour-là, déployé des véhicules blindés Centaure et fait usage de nombreuses grenades lacrymogènes et tirs de LBD pour accéder à une ferme, bloquée par les éleveurs en colère, où un abattage devait avoir lieu. « Cela a profondément choqué les habitants, insiste le sénateur. Que l’on emploie de tels moyens contre des gens qui nous nourrissent… ce n'est pas passé ».
Les maires de l’Ariège ont transmis au préfet toutes ces questions, en lui demandant instamment de les faire « remonter » au plus vite au gouvernement et mettre, enfin, en œuvre un « dialogue constructif ».
Une nouvelle démonstration du rôle indispensable de proximité et de la réactivité dont font preuve les maires face aux crises.
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Budget de l'état
Budget 2026 : le Sénat adopte un texte plus favorable aux collectivités, en attendant un improbable compromis vendredi
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Les sénateurs ont adopté hier l'ensemble du projet de budget après avoir sérieusement réduit l'effort réclamé aux collectivités en 2026. Ils ont aussi validé la « prime régalienne » pour les maires et voté ce week-end une mesure permettant d'assurer les biens des collectivités en cas d'émeutes. Une commission mixte paritaire se tiendra vendredi, mais l'avenir du texte reste plus qu'incertain.
Après l’avoir largement remanié, le Sénat a approuvé, hier, en première lecture, sa version du projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Une mouture plus favorable pour les collectivités que le texte initial, mais qui leur impose toujours de participer à l’effort de redressement des comptes publics du pays.
Le sort définitif du texte va désormais se jouer vendredi lors d’une commission mixte paritaire (CMP), durant laquelle sept députés et sept sénateurs vont tenter de trouver un compromis.
Compromis improbable
Si l'Assemblée nationale devrait définitivement adopter aujourd’hui l’autre texte budgétaire pour 2026 portant sur la Sécurité sociale (PLFSS), une issue tout aussi favorable pour celui de l’État semble, pour l’heure, largement improbable. Même si tous les regards sont désormais braqués sur les tractations qui ont cours entre parlementaires.
En l’état, difficile d’imaginer un accord entre sénateurs et députés au regard de leurs divergences. D’autant que ces derniers sont eux-mêmes déjà très divisés et ont rejeté à la quasi-unanimité le « budget Frankenstein » (comme l'avait surnommé le président de la commission des finances, Éric Coquerel) qu’ils avaient modelé à l’Assemblée, en première lecture.
Sans compter que les sénateurs ne sont pas parvenus à redresser le déficit dans la copie du budget qu’ils ont adoptée. Pire, ils le porteraient à 5,3% du PIB alors que le gouvernement a placé l'objectif à 5 %. Résultat, le ministre de l’Économie Roland Lescure a d’ores et déjà jugé « inacceptable » ce texte avec un tel niveau de déficit en 2026, et a donc appelé le Sénat à « faire des concessions ».
Or même si l'ancien socle commun, majoritaire au sein de la CMP, arrivait à trouver un accord, il lui faudrait encore le faire adopter la semaine prochaine à l'Assemblée, avec des socialistes qui promettent au mieux de s'abstenir, et des écologistes qui comptent voter contre. Dans ce contexte, l’hypothèse d’un recours au « 49.3 », sans censure de l’exécutif, a ainsi refait surface ces derniers jours, sans réellement convaincre pour l’instant.
Régime d’assurance en cas d’émeutes
D’ici là, les parlementaires qui se réuniront à huis clos vendredi en CMP vont donc, dans un premier temps, devoir remanier le texte adopté hier par les sénateurs pour espérer atteindre un accord. Un texte que la Chambre haute a amendé encore ce week-end en adoptant une mesure défendue par le gouvernement visant à créer un régime d'assurance pour les collectivités en cas de dommages résultant d’émeutes et un fonds de mutualisation pour les indemniser.
Plus précisément, le but est de permettre aux « entreprises, particuliers et collectivités de s'assurer contre ce risque », a expliqué la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin en séance : « Au fond, c’est nous assurer que la réalité des risques soit bien couverte et que les assureurs ne puissent pas exclure de leur propre police d’assurance des phénomènes qui malheureusement coûtent cher. »
Alors que les assureurs ont, ces dernières années, « durci les conditions de couverture de ce risque partout sur le territoire et ont retiré leurs garanties dans les zones qu’ils jugent les plus exposées », l’amendement adopté introduit ainsi des garanties de l’État destinées à « restaurer l’assurabilité de ce risque sur l’ensemble du territoire ». Il prévoit notamment que « la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie puissent conclure avec l’État des conventions pour bénéficier du fonds de mutualisation »
En parallèle, dans la fonction publique, le Sénat a pérennisé le dispositif de rupture conventionnelle et allongé la durée maximale de deux à trois semaines du « congé pathologique prénatal pour les femmes enceintes ».
Dilico réduit et « prime régalienne » de 500 euros
Mais surtout, les sénateurs ont réduit, comme ils l’avaient promis, l’effort réclamé aux collectivités en réduisant la ponction qui leur était imposée dans le cadre du nouveau dispositif d'épargne forcée. Ils ont ainsi abaissé le montant du Dilico de 2 milliards d’euros à 890 millions d'euros et en ont exonéré entièrement les communes. Ils sont aussi revenus aux modalités de reversement de la version 2025 de ce prélèvement.
S’agissant des dotations d’investissements, la Chambre haute a aussi rejeté la très critiquée fusion de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l’investissement local (Dsil) et de la dotation politique de la ville (DPV) dans un nouveau fonds d’investissement pour les territoires (FIT). Les sénateurs sont, enfin, revenus sur la réduction des allocations compensatrices relevant des locaux industriels et sur le resserrement du FCTVA.
Ils ont approuvé, par ailleurs, sans grand enthousiasme, la « prime régalienne » de 500 euros destinée aux maires. Visant à compenser – très partiellement – le temps passé par ces derniers à agir en tant qu'agents de l'État, cette prime a été jugée largement insuffisante, voire « méprisante » pour les maires.
Pêle-mêle, on peut aussi rappeler qu’ils ont allégé la ponction sur les bailleurs sociaux tout en créant un statut spécifique du bailleur privé, débloqué des financements pour les 92 Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) menacés de disparition ou encore confirmé la suppression de 4 000 postes d'enseignants (mais ont cependant renoncé à proposer le doublement du nombre de postes supprimés).
Si la CMP de vendredi venait à échouer ou que l’accord qui en sort venait à être rejeté par l’une des deux chambres, le gouvernement devrait selon toute vraisemblance recourir à une « loi spéciale » pour prélever les impôts, avant d'engager des dépenses pour faire fonctionner le pays, le temps d'adopter un véritable budget courant 2026.
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Fonction publique
Élections : les cadres dirigeants des collectivités expriment leurs craintes
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Le CNFPT a consacré ses 28e Entretiens territoriaux de Strasbourg aux binômes élus/cadres dirigeants en vue des municipales de 2026. La construction de bonnes relations repose beaucoup sur une communication et des échanges sincères et réguliers. Mais les potentiels basculements politiques en mars prochain et en 2027 inquiètent.
[Article initialement publié sur le site Maires de France]
La relation élus-cadres dirigeants est un élément clé qui fait partie intégrante de la fonction publique territoriale. « C'est le moteur du fonctionnement d'une collectivité et des politiques locales », pour Raphaëlle Pointereau, directrice de l'Inet et directrice générale adjointe du CNFPT, en préambule des 28e Entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS), le grand raout annuel des managers territoriaux organisé par le CNFPT et l’école des cadres territoriaux qu’il chapeaute, l’Inet (Institut national des études territoriales, l’équivalent de ENA/INSP aujourd’hui pour le versant territorial).
Facteur de stabilité... ou d'instabilité
Facteur de stabilité... ou d'instabilité, un binôme maire-directeur général des services (DGS) ou secrétaire générale de mairie (SGM) est une relation complexe que même les plus concernés ont du mal à définir. Et pour cause, s'il s'agit d'une relation professionnelle, celle-ci repose sur une relation humaine, en face à face, qualifiée parfois de binôme, de tandem, de duo, de couple, de partenariat, etc. Le politologue, psychanalyste et professeur émérite à l’Université de Strasbourg, Philippe Breton, remet dans le contexte : « Dans l'Antiquité, le magistrat assurait à la fois le rôle politique et l'administration. » De là provient peut-être la difficulté de définir cette relation si particulière.
La dissociation des rôles se superpose à une dissociation temporelle qui revient à devoir faire preuve de « bilinguisme » pour Valentin Rabot, vice-président de l'Eurométropole de Strasbourg (522670 habitants, Bas-Rhin, 33 communes), chargé du personnel, de la politique des ressources humaines et du dialogue social. « Les élus sont sur du court terme quand l'administration s'inscrit dans du long terme, mais les deux doivent partager la stratégie. Il faut arriver à comprendre la langue de l'autre, dans la confiance et le respect. » Ainsi que dans « la reconnaissance mutuelle », de l'élu vers le cadre, mais aussi, du cadre vers l'élu, ce qui « est trop peu souvent le cas », estime l'élu qui conseille de tenir des points réguliers et de remettre de « l'émotion, de la vulnérabilité, et une forme d'humilité » dans cette relation.
Ne pas se taire
Renforcer le dialogue élus/dirigeants constitue en tout cas un levier d’efficience de l’action publique. « L’administration est là pour mettre en œuvre le projet politique », rappelle Murielle Fabre, maire de Lampertheim, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, chargée de la Culture, secrétaire générale de l’AMF et ancienne directrice générale des services en collectivité. Autant donc bien s’entendre.
Mais bien s’entendre ne signifie « pas se taire », estime Patrick Pincet, DGS de la ville de Lille. Le DG « doit tout dire à son maire et en a même le devoir, y compris quand il s’agit de lui dire qu’il fait une bêtise. Mais il faut le faire en tête à tête pour ne pas remettre en cause son autorité ». Un point de vue partagé par Murielle Fabre : « J’attends de l’administration qu’elle dise ce qu’elle a à dire. J’attends de la transparence et de la sincérité. En cas de désaccord, j’attends qu’elle me dise pourquoi, ses arguments. Et ensuite on dialogue. » Si les arguments sont pertinents, Murielle Fabre assure qu’elle peut alors changer d’avis car « ce que l’on partage avec les agents, c’est l’utilité [de l’action publique] pour les habitants ».
Un cadre, une méthode, des relations claires
Comment bien travailler ensemble ? Le Syndicat national des directions générales des collectivités territoriales (SNDGCT) a apporté quelques conseils lors d’un atelier consacré au sujet et construit sur la base d’une étude menée auprès des DGS en 2024 sur leur quotidien, leur posture et leur relation avec les élus (1545 répondants de DG issus à 80 % des communes dont 50 % dans des moins de 10000 habitants). Principal enseignement, dès le début de la relation, « apprendre à se connaître et poser un cadre de travail, une méthode et clarifier les relations ».
Pour Alaric Berlureau, DGS de Saint-Sulpice-la-Pointe (9674 habitants, Tarn), cela signifie faire preuve « d’assertivité, c’est-à-dire savoir dire les choses en restant sur les faits mais s’autoriser à tout dire. Avoir une alchimie avec le maire, ce n’est pas être dans l’émotion. Il y a besoin de poser un cadre de travail, de clarté. Il ne faut pas qu’il y ait de non-dits dans la relation. Si le maire va voir les équipes, pas de problème s’il me le dit. Quand un collaborateur va le voir pour se plaindre du DGS, il me renvoie le cadeau [sic]. Le fonctionnement doit être très fiable. Comme cela les agents ne peuvent pas jouer et la confiance est là ». Pour sa collègue Karine Icard, DGS mutualisée de Luberon Monts de Vaucluse Agglomération et de la ville de Cavaillon, il ne s’agit pas « de simples relations interpersonnelles. La coopération se construit. Pour cela, il faut des espaces de dialogue réguliers » où les choses sont dites et les « feedbacks » réguliers.
« Le DG a un rôle d’entonnoir », décrypte par ailleurs Anne-Sophie Dournes, DGS de la ville de Saint-Denis (115 237 habitants, Seine-Saint-Denis), qui se résume à une sorte de filtre entre « le cheminement itératif vers une décision », toute la réflexion qu’il a pu y avoir entre le maire et son DGS dans le cadre de leurs échanges en tête-à-tête et la décision que le DG doit mettre en œuvre et donc communiquer à ses équipes.
Quand la politique percute les valeurs
Les ETS ont aussi abordé les questions des valeurs individuelles parfois perturbées par la décision politique. Autrement dit, que se passe-t-il quand le cadre dirigeant n’est pas tout à fait aligné avec son maire ? Si les principes de neutralité, de loyauté résument assez ce que doivent être ces relations de travail si particulières, des tensions peuvent toutefois apparaître quand la relation percute les valeurs. Un basculement politique lors des élections peut en être à l’origine. « Si on n’accepte pas la décision pour des raisons liées à nos valeurs, il vaut mieux partir. Le statut nous le permet », estiment les DG. La décharge de fonctions, la mutation demeurent autant de possibilité confortables… si elles demeurent choisies.
Les transitions en cours (écologique notamment) peuvent parfois exacerber certaines tensions et toucher la corde plus sensible des valeurs individuelles, surtout si des décisions pourraient nuire à l’environnement. Murielle Fabre clarifie les choses : « Les maires doivent respecter la loi, sans quoi ils s’exposent à des sanctions juridiques, pénales… Un DG peut aussi refuser d’appliquer une décision manifestement illégale ».
La question pourrait toutefois se poser autrement après 2027, craignent les dirigeants administratifs, notamment si le cadre de référence qu’est l’État de droit venait à bouger. Que devraient-ils faire si cette référence commune venait à créer par exemple des discriminations, des inégalités d’accès au service public, ou plus ? Beaucoup se posent la question, mais personne ne souhaite pour le moment chercher la réponse. « Faisons en sorte que cela n’arrive pas », conclut une DGS. Le souvenir de 1940 hante tous les esprits et les conversations…
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Démographie
Les écarts d'espérance de vie entre les catégories sociales se creusent
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Entre 2012 et 2024, l'écart d'espérance de vie entre les plus aisés et les plus modestes s'est accru. Le constat fait par l'Insee, dans sa dernière publication, est inquiétant : l'espérance de vie des 25 % de Français les plus modestes diminue.Â
« Plus on est aisé, plus l’espérance de vie est élevée. » Ce constat est hélas presque banal tant il est connu – mais ce qui l’est moins, c’est que l’écart se creuse au lieu de se résorber.
C’est pourtant la conclusion d’une étude de l’Insee publiée hier et baptisée De 2012-2016 à 2020-2024, l’écart d’espérance de vie entre les personnes modestes et aisées s’est accru.
Des causes connues
L’écart d’espérance de vie entre les personnes les plus pauvres et les plus aisées s’élève aujourd’hui à 13 ans chez les hommes et 9 ans chez les femmes : un homme bénéficiant d’un revenu mensuel de moins de 1 000 euros a une espérance de vie de 72 ans, contre 85 ans pour un homme ayant 6 000 euros et plus de revenu mensuel. Chez les femmes, l’écart va de 80,1 ans à 88,7 ans.
Les causes de ces écarts sont connues : les difficultés financières peuvent limiter l’accès aux soins et le suivi médical. Les ménages les plus modestes ont souvent des métiers qui les exposent à des risques professionnels (accidents, maladie) qui n’existent pas chez les « CSP+ ». Par ailleurs, de faibles revenus sont souvent synonymes d’une alimentation de moindre qualité, et les personnes les plus modestes fument davantage que les autres (21 % des adultes sans diplôme sont fumeurs, contre 13 % des diplômés du supérieur, indique l’Insee).
Les graphiques de l’Insee sont clairs : c’est dans les tranches de revenus les plus faibles que l’espérance de vie est la plus basse et, passé un certain seuil (autour de 2 000 euros par mois), l’espérance de vie se stabilise : elle continue de croître en fonction des revenus, mais de façon bien plus modérée.
Les différences provoquées par le milieu social se creusent avec l’âge : si, à 20 ans, un homme aux très faibles revenus a déjà trois fois plus de chances de mourir dans l’année, ce rapport monte à sept à 50 ans (sept fois plus de chance de mourir dans l’année).
Inégalité hommes-femmes
L’étude de l’Insee montre l’important décalage entre les hommes et les femmes en termes d’espérance de vie, une inégalité pour une fois au bénéfice des femmes. Couplée au critère socio-économique, cela donne des différences vertigineuses : « Les femmes les plus aisées vivent en moyenne 17 ans de plus que les hommes les plus modestes », détaille l’Insee.
Les différences d’espérance de vie entre hommes et femmes s’expliquent par des faits bien documentés : les femmes sont deux fois moins nombreuses à boire de l’alcool quotidiennement que les hommes, et elles bénéficient d’un meilleur suivi médical du fait des grossesses. Leur durée de travail est en moyenne inférieure à celle des hommes, « ce qui, à poste égal, réduit leur exposition à des risques professionnels ».
Diminution de l’espérance de vie chez les plus pauvres
L’Insee constate enfin que ces écarts se creusent. D’un point de vue général, l’espérance de vie n’a que très faiblement augmenté dans la période 2020-2024, notamment du fait de l’épidémie de covid-19 et de « l’arrivée à des âges de forte mortalité des générations nées de 1941 à 1945 ».
Si l’on compare la période 2012-2016 et 2020-2024, on constate que l’espérance de vie a un peu augmenté dans les catégories sociales des 70 % les plus aisés. En revanche, chez les 30 % les plus pauvres, elle a diminué. Ce phénomène est constaté dans les mêmes proportions chez les hommes comme chez les femmes. Globalement, l’écart d’espérance de vie entre les 5 % les plus modestes et les 5 % les plus aisés s’est accru de 0,4 an chez les femmes et 0,3 an chez les hommes.
Cet accroissement « signifie que la part des causes de décès les plus inégalitaires socialement a augmenté entre 2012-2016 et 2020-2024 et/ou que certaines causes de décès sont devenues davantage marquées socialement. Cela pourrait s’expliquer par l’épidémie de covid-19 ou par d’autres maladies, sans que l’on puisse déterminer lesquelles », conclut l’Insee.
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Journal Officiel du mardi 16 décembre 2025
Ministère chargé des Transports
Ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative
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