| Édition du mardi 14 octobre 2025 |
Budget
« Suspension » de la réforme des retraites : des enjeux sociaux et politiques cruciaux
|
Journée cruciale aujourd'hui à l'Assemblée nationale, avec la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu. De ce que va dire ou ne pas dire le Premier ministre sur la réforme des retraites dépendra la survie, à court terme, de son gouvernement. Mais que signifie la « suspension » de la réforme des retraites ?Â
L’affaire a commencé mardi 7 octobre, quand l’ex-ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, a lancé un énorme pavé dans la mare en déclarant, dans une interview, que « si c’est la condition de la stabilité du pays, on doit examiner les modalités et les conséquences concrètes d’une suspension » de la réforme des retraites. Depuis cette question est au cœur de tous les débats et est même devenue le point qui déterminera l’avenir du gouvernement, dans un délai fixé en jours.
Les deux volets de la réforme
En effet, comme l’expliquait Maire info hier, le rapport des forces à l’Assemblée nationale implique que la survie du gouvernement tient à un fil : les partisans d’une censure automatique du gouvernement, au Palais-Bourbon, sont à une vingtaine de voix de la majorité absolue. L’attitude de la soixantaine de députés socialistes sera donc déterminante : s’ils ne votent pas la censure, le gouvernement restera en place et le débat sur le budget pourra s’engager. S’ils la votent, le gouvernement tombe, et il faudra s’attendre à une probable dissolution de l’Assemblée nationale.
Les socialistes ont annoncé que leur attitude serait déterminée par les positions du Premier ministre sur la réforme des retraites : ils exigent une « suspension complète et immédiate » de cette réforme – faute de quoi, ils censureront.
Depuis l’adoption aux forceps de cette réforme, en 2023, une partie de la gauche et des syndicats – ainsi, aujourd’hui, que le RN – demandent son abrogation complète. La CFDT, elle, plaide pour une « suspension », mais partielle, ce qui semble différent de la position adoptée par le PS de suspension « complète ». De quoi parle-t-on ?
Il faut se souvenir que la réforme Borne comprend deux volets. D’une part, le recul progressif de l’âge légal de départ en retraite : pour chaque génération, l’âge légal augmente de trois mois. Les salariés nés en 1961 peuvent partir à 62 ans et 3 mois, ceux nés en 1962 à 62 ans et 6 mois, etc. Toutes les personnes nées à partir de 1968 partiront à 64 ans.
Le deuxième volet, d’autre part, est l’augmentation du nombre de trimestres cotisés pour pouvoir partir à taux plein. Ce nombre augmente progressivement pour passer de 168 à 172 (43 années de cotisation). Cette augmentation de la durée de cotisations n’est pas une création de la loi Borne, elle figurait déjà dans la réforme Touraine de 2014. Le changement apporté par la réforme Borne, en la matière, est une accélération du processus, pour arriver plus vite aux 172 trimestres pour tout le monde.
La proposition de la CFDT est de suspendre uniquement le volet « âge légal », sans toucher au volet durée de cotisation. Le PS, en demandant la « suspension complète », souhaite apparemment aller plus loin et suspendre les deux volets.
Quelle suspension, pour quel coût ?
Il n’est pas simple de mesurer les conséquences concrètes de cette suspension, parce que les positions des uns et des autres ne sont pas très claires. Est-ce que « suspendre » veut dire geler la situation, en l’état, jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 ? Ou revenir à la situation antérieure, c’est-à-dire la réforme Touraine ? Dans le premier cas (le gel), on en resterait provisoirement à la durée actuelle (170 trimestres). Dans le deuxième (retour à la réforme Touraine), le nombre de trimestres continuerait d’augmenter, mais plus lentement.
Quant à la suspension de l’évolution de l’âge légal, elle conduirait à figer l’âge de départ à 62 ans et 9 mois pour les salariés nés à partir de 1963, ce qui pourrait, dès l’an prochain, faire gagner quelques mois de retraites à des centaines de milliers de salariés (600 000 selon la Drees) en 2026 et 2027.
La question du coût reste, elle aussi, nébuleuse. Le ministre de l’Économie, Roland Lescure, a parlé la semaine dernière de « centaines de millions d’euros en 2026 et de milliards en 2027 », ce qui n’est tout de même pas très précis. L’économiste Philippe Aghion, depuis hier prix Nobel d’économie, a, lui, déclaré sur France 2 que cela « ne coûte pas très cher », ce qui l’est encore moins. Olivier Dussopt, l’ancien ministre du Travail qui a porté la réforme, estime pour sa part qu’un gel de l’âge de départ coûterait « plus de 3 milliards d’euros dès 2026 ».
L’estimation du coût de cette éventuelle suspension dépend en réalité… de la suite. Si, comme le craignent le bloc central et les LR, une suspension est le prélude à une abrogation, les coûts ne seront pas les mêmes : le gouvernement affirmait, pendant le débat sur la réforme, en 2023, que ne pas réformer conduirait à un régime qui serait déficitaire à hauteur de 13,5 milliards par an à partir de 2030.
Une autre façon de voir les choses est d’estimer, comme semblent le faire certains députés macronistes, que la suspension serait un moindre mal, si l’on regarde le coup d’après : si Sébastien Lecornu n’annonce pas de suspension et se trouve, de ce fait, renversé, ce sera la dissolution et une possible victoire du Rassemblement national lors de législatives anticipées. Avec à la clé, si le RN tient ses promesses, une abrogation de la réforme des retraites. Il vaut donc mieux, jugent ces députés, lâcher un peu pour conserver l’essentiel en évitant la dissolution.
Contre-coup
La décision va donc être particulièrement difficile pour le Premier ministre, d’autant que céder à la demande du PS peut lui revenir, par contre-coup, en plein visage : plusieurs députés LR ont déjà annoncé que si le gouvernement Lecornu devait être le fossoyeur de la réforme des retraites… ils le censureraient eux-mêmes – et d’autres députés, du groupe Horizons, ne sont pas loin de la même ligne. En gagnant quelques dizaines de voix à gauche, le Premier ministre pourrait bien en perdre autant à droite, avec, à la fin, le même résultat.
Et tout cela sans compter que la nomination du gouvernement a légèrement affaibli le camp du bloc central et des LR. Une douzaine de membres du gouvernement étaient en effet députés avant leur nomination, avant-hier, et ne peuvent donc plus siéger ni voter. Et, comme l’impose la loi, ils ne seront pas remplacés par leur suppléant avant un délai d’un mois. Ce sont donc autant de voix qui vont manquer en faveur de Sébastien Lecornu, rendant le résultat encore plus incertain.
On connaîtra donc en milieu d’après-midi l’épilogue de ce énième épisode de la crise politique. Seule certitude : si le Premier ministre explique, au perchoir de l’Assemblée nationale, qu’il n’est pas possible de suspendre totalement la réforme des retraites, son gouvernement tombera, d'ici la fin de la semaine – les motions de censure LFI et RN sont déjà déposées sur le bureau de la présidente de l’Assemblée, et celle du PS suivra peut-être. Mais s’il dit l’inverse, on peut même pas être certain qu’il ne tombe pas quand même – ne serait-ce que parce qu’un certain nombre de députés socialistes sont prêts à voter la censure de toute façon, quelles que soient les consignes du parti.
D’autant que dans la perspective de législatives anticipées de plus en plus probables, à court ou moyen terme, le nombre de députés – de quelque bord que ce soit – prêts à assumer devant les électeurs d’avoir été les sauveurs d'un gouvernement macroniste en déroute semble se réduire de jour en jour.
Le « moine-soldat » Lecornu, comme il se définit lui-même, est devant des choix cornéliens – sans même pouvoir être sûr que choisir une option ou une autre pourra lui sauver la mise.
|
Outre-mer
Investissements en Outre-mer : les collectivités doivent être « mieux associées », selon un rapport sénatorial
|
Deux sénateurs font une série de recommandations pour améliorer l'investissement dans les territoires ultramarins. Les faiblesses des contrats convergence et de transformation – qui ont remplacés les contrats de plan État-régions depuis 2019 – sont une nouvelle fois pointées du doigt.
Comment mieux soutenir le développement économique des territoires ultra-marins ? Dans un rapport publié récemment, les sénateurs de La Réunion et de Guyane, Stéphane Fouassin et Georges Patient, ont mené un travail de contrôle budgétaire sur les dispositifs de l’État visant à soutenir l'investissement local ultramarin, dans lequel ils formulent une dizaine de recommandations visant à « mieux associer les collectivités » aux décisions de subvention et à « faciliter le recours » aux dispositifs de soutien à l'ingénierie locale.
Devant « l’impératif fort de convergence économique » de leurs territoires, les collectivités locales ultramarines consacrent ainsi en moyenne 1 519 euros par habitant à l'investissement, contre 1 155 euros dans l'Hexagone. Des dépenses d’investissements des départements et régions d’outre-mer (Drom) « particulièrement élevées » qui se répartissent entre les régions (822,5 euros), le bloc communal (622 euros) et les départements (75 euros).
Un « soutien réel » de l’État
Si les territoires ultramarins sont soumis à « des besoins forts d’investissements », les deux rapporteurs spéciaux de la mission Outre-mer rappellent que « les collectivités ne peuvent [y] répondre seules, sans un soutien spécifique de l’État, au vu des contraintes économiques et géographiques qui pèsent sur elles ».
Celles-ci sont ainsi soumises à « des contraintes fortes » en termes de recettes, en raison du coût élevé de la vie et des charges de personnel dues aux rémunérations spécifiques attachées aux fonctionnaires ultramarins. Le taux d’épargne brute du bloc communal est ainsi, en moyenne, de 11,7 % en outre-mer, alors qu’il est de 16,3 % dans l’Hexagone.
Sur ce point, Stéphane Fouassin et Georges Patient reconnaissent le « soutien réel » de l’État à l’investissement ultramarin, celui-ci consacrant près de 862 millions d'euros chaque année via des outils spécifiques à l'Outre-mer. Parmi eux, on retrouve le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) qui a été doté de 102 millions d'euros en 2025 et apporte une aide financière de l’État sur les équipements publics collectifs. Les deux sénateurs estiment que les préconisations d’un rapport de 2022 qui lui était consacré – et qui recommandait d’améliorer sa gouvernance – sont toujours d’actualité et doivent encore être mises en œuvre.
Autre outil spécifique, l'Agence française de développement qui a accordé plus de 540 millions d'euros de prêts aux collectivités ultramarines en 2024 pour des projets qui répondent à des critères d’impact social et environnemental, via un système de bonification des prêts de 38,1 millions d'euros. En outre, les contrats de convergence et de transformation (CTT) – qui ont remplacé à partir de 2019 les contrats de plan État-Région – ont permis de mobiliser 4 milliards d'euros entre 2019 et 2023, grâce à la première génération de ces dispositifs financés à 60 % par l'État et dont près de la moitié des crédits ont été consommés à l'issue de la période.
« Très faible marge de manœuvre » des collectivités
Bien que ces dispositifs soient « pertinents » aux yeux des deux rapporteurs, ceux-ci estiment que « l'État associe trop peu les collectivités locales au choix des projets soutenus » puisqu’une « très faible marge de manœuvre » est laissée aux collectivités locales dans la négociation des priorités et des projets financés.
« Si un plan de convergence a été défini en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, aucun n’a été signé à Mayotte et en Guyane, ainsi que dans les collectivités d’outre-mer », déplorent-ils, jugeant cette situation « regrettable », alors même que les collectivités sont « les mieux à même de déterminer les investissements les plus prioritaires sur leur territoire ».
Ils suggèrent donc de définir « un véritable projet de convergence porté par les collectivités locales pour chaque territoire ultramarin comportant un nombre limité de priorités structurantes d’investissement » dans les CTT. Et les rapporteurs d’insister sur le fait qu’il est « très difficile de faire aboutir un projet en l’absence de portage politique local ».
De plus, ils proposent de revoir le pilotage des projets pour que la concertation entre les acteurs soit « plus régulière, à tous les niveaux ». Devant la multiplicité des dispositifs de soutien à l’ingénierie locale existants, les deux sénateurs recommandent, par ailleurs, de mettre en place « un guichet unique d’ingénierie » ou une « cellule ingénierie », comme c’est le cas au sein de la préfecture de Guadeloupe. « L’objectif est de centraliser à la préfecture toutes les demandes d’aide en ingénierie locale et de les transmettre aux acteurs compétents pour le compte des collectivités », expliquent-ils.
Des contrats de convergence « déséquilibrés »
Stéphane Fouassin et Georges Patient critiquent également la répartition géographique des contrats de convergence qu’ils jugent « déséquilibrée ». « Les montants investis par habitant en Guyane, de 1 702 euros en moyenne entre 2019 et 2023, et de 1 949 euros entre 2024 et 2027, sont étonnamment bas, au vu des enjeux importants en termes d’investissement de ce territoire soumis à des contraintes géographiques très fortes », font-ils valoir.
Sans compter que les crédits dédiés restent encore « insuffisamment consommés ». Si le taux d’engagement se situe à « un niveau honorable » (76,6 % à la fin 2023) sur la période 2019 à 2023, il en est autrement du taux de consommation qui « n’est que de 48,6 % ». Avec, toutefois, une grande variabilité puisque la Martinique a le taux de consommation des crédits le plus faible avec à peine 27 %, tandis que Wallis-et-Futuna se distingue avec des niveaux culminant à plus de 96 %.
Une situation qui peut s’expliquer par « l’ampleur des travaux d’infrastructures engagés », souvent des constructions lourdes, des ponts ou des routes, dont « la réalisation nécessite de nombreuses années », assurent les sénateurs qui pointent aussi plusieurs « obstacles conjoncturels » (« signature tardive des contrats », « crise sanitaire », « l’engagement des crédits du plan de relance en priorité » ainsi que « les mouvements sociaux de fin d’année 2021 »).
Ils notent aussi d’« importantes difficultés structurelles », telles que la gestion d’un grand nombre d’opérations, la « pluralité des sources de financements » au sein de l’État même, le « manque de maturité » de certains projets ou encore « le défaut de structuration et d’organisation de l’ingénierie publique pour la réalisation des opérations, en particulier dans les collectivités territoriales ».
Les sénateurs de La Réunion et de Guyane ne sont pas d’ailleurs les seuls à blâmer ces contrats puisque la Cour des comptes les a sévèrement critiqués cet été. Selon les magistrats financiers, les CTT ont « hérité des faiblesses » des contrats de plan État-régions qu'ils ont remplacés depuis 2019, « sans amélioration significative ». Et ce malgré l'augmentation des crédits. Selon eux, ils s’apparentent à des « catalogues d’orientations » et ont un pilotage déficient.
Consulter le rapport.
|
Services publics
Les difficultés rencontrées par les usagers avec les services publics persistent, selon le Défenseur des droits
|
En 2016, 39 % des usagers déclaraient rencontrer des difficultés avec les services publics. En 2024 – et alors que la dématérialisation des services publics a fait son chemin – ils sont 61 % a rencontré des problèmes, soit 22 % de plus. C'est ce que pointe l'enquête publiée hier par le Défenseur des droits.Â
Le Défenseur des droits enquête sur l'accès aux droits en menant une série d'études « pour identifier et mesurer les atteintes aux droits dans ses domaines d'intervention ». Après une première édition en 2016, le Défenseur des droits renouvelle l'enquête en 2024 pour observer les évolutions dans 5 domaines différents. Hier ont été dévoilés les résultats de l’étude consacrée aux relations entretenues par les usagers avec les services publics. Au total, 5 030 personnes ont été interrogées par l’institut de sondage Ipsos entre octobre 2024 et janvier 2025.
Des difficultés d’accès aux droits qui concernent toute la population
En 2024, 61 % des usagers rencontrent des difficultés, qu’elles soient ponctuelles ou régulièrement, soit 22 % de plus qu’en 2016. Si cette augmentation est inquiétante, elle l’est d’autant plus qu’elle concerne toute la population, sans exception.
Entre 2016 et 2024, l’augmentation des difficultés à réaliser des démarches administratives touche aussi bien les employés et ouvriers (+ 54 %) que les cadres et professions intermédiaires (+ 86 %). De même, ces difficultés à réaliser des démarches administratives ont augmenté aussi bien pour les plus jeunes, les 18-34 ans, (+ 18 %) que pour les plus vieux (+ 95 %).
Le Défenseur des droits s’interroge inévitablement sur l’impact de la dématérialisation sur l’accès aux droits des citoyens. L’enquête montre « qu’une part non négligeable de la population n’arrive pas à faire ses démarches administratives en ligne seule » puisque « moins d’une personne sur deux parvient à faire ses démarches en ligne, sans aide » et que « 36 % déclarent avoir besoin d’une aide ponctuelle ». Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, ces difficultés à réaliser des démarches en ligne touchent les plus jeunes, comme les plus vieux : « les moins de 34 ans et les plus de 55 ans font majoritairement face à des difficultés sur les démarches en ligne : 51 % des 18-34 ans et 53 % de 55-79 ans ».
Le risque de la dématérialisation comme voie unique
Les résultats montrent sans détour que le principal problème rencontré est qu’il est devenu difficile – voire impossible – de contacter quelqu’un pour obtenir des informations ou – encore plus rarissime – un rendez-vous. C’est le principal souci rencontré par 72 % des sondés, suivi par le manque d’information déploré par 52 % des usagers. 47 % des sondés déplorent aussi l’absence de réponse ou une réponse trop tardive, 46 % des démarches trop complexes, 43 % une demande répétée de pièces justificatives et 39 % une erreur de traitement.
Parmi les usagers qui cherchent une solution face à ces difficultés, 88 % tentent une relance par téléphone ou aux guichets compétents. Le taux d’efficacité de ces relances sont variables pouvant aller de 72 % de succès sur place, à 67 % de succès via le téléphone et seulement 56 % de succès via un courrier. « Les contacts humains » sont recherchés par les citoyens.
Lorsque les usagers n’arrivent pas à surmonter les « obstacles rencontrés », une trop grande partie d’entre eux abandonne. Ainsi 23 % des usagers ont déjà renoncé à un droit au cours des cinq dernières années. En cause : la complexité des démarches et la difficulté à trouver une réponse adaptée après une relance.
Lors d’une audition au Sénat en mai, la Défenseure des droits Claire Hédon indiquait que si la dématérialisation se veut être un « outil de simplification » il comprend « des risques d’exclure une partie de la population ». Lorsque la dématérialisation « devient la voie exclusive, c’est un risque ». En 2024, 141 000 réclamations envoyées au Défenseur des droits portaient sur l’accès aux services publics. Elles avaient toutes, selon Claire Hédon, « pour origine commune, l’éloignement des services publics » (lire Maire info du 21 mai 2025).
Consulter l’étude.
|
Énergies renouvelables
L'agrivoltaïsme, eldorado rural ou bulle potentielle ?
|
L'agrivoltaïsme, « agriculture du futur » ou « bulle » incontrôlée ? Vu comme un nouvel eldorado énergétique, l'essor des panneaux photovoltaïques au-dessus de terres cultivées suscite des interrogations en terme d'impact agricole, d'accumulation des projets ou encore d'acceptation locale.
L’agrivoltaïsme, inscrit en 2023 dans la loi d’accélération des énergies renouvelables afin que la France puisse atteindre ses objectifs de décarbonation, consiste à produire de l’électricité en surplomb d’une culture agricole « significative ».
Seulement 200 projets agrivoltaïques sont actifs en France, sans représenter « de très grandes surfaces », relève Christian Dupraz, chercheur à l’Inrae de Montpellier, à l’origine du concept d’agrivoltaïsme en 2008. Mais plus de 2 000 projets sont en instruction, ajoute-t-il.
France Agrivoltaïsme, l’association représentative du secteur, évoque « plusieurs milliers » de projets potentiels pour cette « agriculture du futur ». Selon Christian Dupraz, 300 000 hectares d’agrivoltaïsme, soit 1 % de la surface agricole utile française, suffiraient à produire « autant d’électricité que nos 57 réacteurs nucléaires ».
Quels bénéfices ?
L’agriculteur peut espérer un revenu additionnel, ainsi qu’une protection du bétail et des plantes contre les aléas climatiques (grêle, chaleur, gel...). « Le kiwi jaune se plaît bien sous la serre photovoltaïque, il est bien à l’ombre », témoigne Maxime Pallin, agriculteur au Temple (Gironde). Sa serre de 4 hectares a été intégralement financée (5 à 6 millions d’euros) par un énergéticien, qui se rembourse avec l’électricité produite.
D’autres montages prévoient une rente pour l’agriculteur, entre 2 000 et 3 000 euros annuels par hectare sur plusieurs décennies, selon France Agrivoltaïsme. Les coûts de production électrique, à 70 euros environ le MW/h, sont très compétitifs, beaucoup plus par exemple que des panneaux installés sur des toits.
Quels risques ?
« Le rendement des cultures diminue avec l’ombre des panneaux », prévient Christian Dupraz, d’en moyenne 30 % en cas de couverture à 40 % d’une parcelle, plafond prévu par la loi de 2023. Or, ce texte impose une baisse de rendement maximale de 10 % pour éviter les cultures « alibis ». La Confédération paysanne, opposée à l’agrivoltaïsme, dénonce le risque d’une production alimentaire « mise de côté » comme « sous-produit de la production énergétique ».
Pour y remédier, Christian Dupraz suggère de « diminuer le taux de couverture » ou d’avoir des panneaux mobiles laissant passer la lumière aux périodes nécessaires.
L’autre risque est spéculatif : les énergéticiens multiplient les démarchages pour préempter le foncier agricole. Christian Dupraz décrit « un Far West », un « eldorado » avec plus d’un million d’hectares précontractualisés en France, soit dix fois plus que la surface probablement équipée dans les 25 prochaines années. « C’est une bulle qui va générer des déceptions », juge-t-il.
« Il y a un fort engouement » en Gironde sur fond de crise viticole, confirme Violette Chanudet, chargée de mission agrivoltaïsme à la chambre d’agriculture, qui alerte sur des « contrats pas très sécurisants » pour les exploitants et l’importance d’une juste répartition des revenus.
Dans la Vienne, près d’une centaine de dossiers portent sur 2 000 hectares. « Vous multipliez par cent départements, vous êtes à 200 000 hectares », pointe Pascal Lecamp, député (MoDem) et rapporteur d’une proposition de loi pour un agrivoltaïsme « raisonné » face à ses « effets pervers ».
Selon l’association Les Prés Survoltés, qui regroupe 300 opposants locaux, 600 hectares de terrain ont été rachetés à 7 000 euros l’hectare à Adriers, le double des prix habituels, au risque d’exclure les jeunes agriculteurs de l’accès au foncier.
Quels obstacles ?
France Agrivoltaïsme déplore la lenteur d’instruction des dossiers, entre 3 et 5 ans, et les longues listes d’attente pour un poste-source raccordant l’installation. Le Conseil national de la protection de la nature s’inquiète, lui, « du déploiement très rapide et non coordonné » de ces projets en raison de leurs « impacts (...) sur la biodiversité ».
Benoît Moquet, vice-président des Prés Survoltés, dénonce aussi « nuisances visuelles » et « puits de chaleur ». « Les panneaux oui, mais pas dans les champs. On a besoin des champs pour nous nourrir », souligne ce médecin retraité, lui-même démarché par un énergéticien lorgnant sa parcelle.
« Il faut maîtriser la taille » des projets, répond France Agrivoltaïsme, qui souligne que « ça se voit beaucoup moins que des éoliennes. »
Quel avenir ?
La proposition de loi Lecamp, pour l’heure adoptée en commission, veut limiter les projets à 10 mégawatts crête. « Le premier partage de la valeur, c’est la répartition sur le territoire », estime ce parlementaire, proposant aussi des prélèvements sur cette manne pour redistribuer à tous les agriculteurs.
France Agrivoltaïsme suggère des circuits courts locaux pour alimenter exploitations ou services publics. Sur les 85 % du territoire agricole éloigné des postes de raccordement, « on peut faire des petites centrales » en « autoconsommation collective », confirme Christian Dupraz. « L’agrivoltaïsme ne va pas sauver l’agriculture », conclut le chercheur, mais ça « peut aider certaines exploitations » et « consolider énormément le mix électrique français »,
|
Économie circulaire
Le Sénat demande que les éco-organismes arrêtent de « thésauriser »
|
Un rapport sur les filières REP présenté la semaine dernière par la commission des finances du Sénat porte un jugement sévère sur les éco-organismes, sommés « d'assumer leurs responsabilités » et de dépenser l'argent qu'ils gagnent à travers les écocontributions.Â
En quelques mois, deux crises majeures ont secoué le monde de l’économie circulaire. En juin, Le Relais annonçait une grève de la collecte des textiles usagés, se disant menacé de faillite, et accusant l’éco-organisme Re-fashion de faire de la rétention financière (lire Maire info du 117 juillet https://www.maire-info.com/collecte-textile-le-cri-d'alarme-du-relais-menace-de-mourir-avant-la-fin-de-l'annee-article2-29903). Fin septembre, une autre crise éclatait au grand jour dans la filière des déchets du bâtiment, conduisant notamment l’AMF à dénoncer des éco-organismes qui « désertent leur mission » alors « qu’ils continuent de percevoir l’écocontribution ».
La filière est bien « en crise », comme le constate Christine Lavarde, chargée par la commission des finances du Sénat de travailler sur ce sujet.
Bilan « décevant »
Premier constat de la sénatrice : le « poids économique » des filières REP (responsabilité élargie du producteur) ne cesse de grandir. Alors qu’en 2000, le montant total des écocontributions était inférieur à 200 millions d’euros, il dépasse les 2,2 milliards d’euros aujourd’hui et devrait atteindre les 8 milliards en 2029.
Mais malgré cette augmentation exponentielle, les subventions de l’État (à travers le Fonds économie circulaire) continuent d’augmenter. Alors qu’elles ne devraient concerner que les secteurs qui ne sont pas concernés par une filière REP, ce n’est pas le cas, constate la députée : « La création de nouvelles filières et la montée en puissance de celles déjà existantes avec la loi Agec auraient donc dû en toute logique s’accompagner d’une diminution des subventions publiques, mais c’est le contraire qui a été observé sur les dernières années. » Alors que les subventions publiques consacrées à l’économie circulaire n’étaient que de 236 millions d’euros en 2015, elles ont doublé aujourd’hui (434 millions en 2024). On est donc loin d’une stricte application du principe « pollueur payeur », remplacé dans bien des cas par un principe « État payeur », ce qui est contraire à la logique du dispositif.
La rapporteure propose donc que l’État se désengage, « progressivement », du soutien à l’économie circulaire. À une exception notable : celle des projets « portés par les collectivités d’outre-mer, car les filières REP y sont peu développées ».
Elle note également que dans la filière plastique, le trop faible taux de recyclage de la France coûte cher : chaque pays de l’Union européenne paye en effet une taxe appelée « ressource propre plastique », assise sur le taux de recyclage de chacun – moins on recycle, plus on paye. En 2022, la France a payé 1,46 milliard d’euros à l’Union européenne au titre de cette taxe, avec un taux de recyclage du plastique de 25,2 %. Si le taux avait été de 50 %, la taxe serait tombée à 724 millions d’euros, soit une économie substantielle pour le budget de l’État.
Une thésaurisation « incompréhensible »
Mais c’est sur les éco-organismes que la rapporteure a la dent la plus dure. Estimant le bilan des filières REP « décevant » (« 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte »), la sénatrice rappelle que seules trois filières sur les huit qui disposent d’un objectif de collecte l’ont rempli.
Mais en même temps, les finances des éco-organismes sont florissantes : sur l’ensemble des 18 éco-organismes pour lesquelles les données financières sont disponibles, « le montant total des provisions pour charges futures » atteint le milliard d’euros, soit « la moitié des écocontributions collectées ! ». Autrement dit, les éco-organismes se constituent un plantureux trésor de guerre, au lieu d’utiliser cet argent – payé par les consommateurs – pour ce à quoi il doit servir.
Comme le disait la Cour des comptes en 2016 déjà, « les éco-organismes n’ont pas vocation à être des gestionnaires de fonds, alors que les écocontributions pèsent sur la trésorerie des entreprises et, en bout de chaîne, sur le consommateur ». La rapporteure du Sénat va dans le même, estimant qu’il n’est « pas compréhensible qu’autant d’argent soit immobilisé alors que les objectifs des cahiers des charges ne sont pas atteints ». Elle demande donc que les taux de « provisions pour charge future » des filières soient « plus encadrés », « en prévoyant notamment des seuils plus contraignants que ceux qui sont mentionnés actuellement dans les cahiers des charges, et en renforçant les sanctions en cas de non-respect de ceux-ci. »
La sénatrice souhaite également que le contrôle et la supervision des filières soient renforcés, notamment en créant une structure administrative unique chargée de ce suivi – au lieu de cinq actuellement, allant de l’Ademe à la Direction générale des entreprises en passant par la DGCCRF. En passant, elle suggère que le hausse des moyens de contrôle ne soit pas financée par le budget de l’État, mais par les filières elles-mêmes, « en augmentant la redevance payée par les éco-organismes ». Elle recommande également « d’adapter et de simplifier ces procédures de contrôle, et de redéfinir les sanctions en cas de non-respect des prescriptions et des objectifs du cahier des charges pour les rendre efficaces et crédibles ».
La mise en œuvre de ces recommandations – dont certaines nécessiteraient une évolution législative – serait, selon la rapporteure, le seul moyen d’éviter dans les années à venir la multiplication de crises telles que celles qui ont éclaté cette année, et de permettre à la France de se rapprocher, enfin, de ses objectifs en matière d’économie circulaire.
Du côté de l’AMF, on juge, ce matin, ces observations « intéressantes », tout en estimant que certaines propositions de la sénatrice doivent maintenant être « expertisées ».
|
|