« Je n’ai pas été choqué par ce que vous avez dit l’un et l’autre, David, André. » Dès l’entame de son discours, le Premier ministre a voulu donner un ton apaisé, voire amical à son intervention, après les interventions offensives d’André Laignel et David Lisnard. Comme il est de coutume dans cet exercice, le Premier ministre a rendu hommage aux maires. « Nous sommes responsables ensembles, État et communes, du plus petit village jusqu’aux plus grandes villes, je n’oublie jamais que les maires sont les représentants de l’État sur le terrain. Sans eux, la République est privée de ses bases. » Les responsables de l’AMF ayant été « francs » avec lui, il s’est engagé à être « franc avec eux ».
Maigres annonces financières
Très attendu sur le terrain des finances, Michel Barnier n’avait, à vrai dire, pas grand-chose à offrir aux maires, dans un contexte de « colère » exprimée tout au long du congrès contre les quelque 10 milliards d’euros de ponction prélevés sur les budgets communaux. S’il s’est gardé de reprendre les accusations du précédent gouvernement contre les collectivités (« Vous ne m’entendrez pas dire que la France est en déficit à cause des collectivités »), il a toutefois confirmé que ces dernières devraient « prendre leur part » au redressement des finances publiques. Même en reconnaissant que le projet de budget, élaboré dans des conditions inédites, peut comporter « des injustices », le Premier ministre n’a pas gommé celles-ci. Les concessions accordées en matière budgétaire tiennent en peu de mots : la baisse du taux de remboursement du FCTVA ne sera pas rétroactive – ce qui avait déjà été dit au congrès des départements la semaine précédente. Et la hausse de 12 % de la cotisation employeur à la CNRACL, qui devait se faire en trois ans, sera étalée sur quatre. Autrement dit, on devrait passer de trois augmentations successives de 4 % à quatre augmentations successives de 3 %.
Deux autres mesures ont été annoncées sans faire l’objet de beaucoup de détails : une « évolution » du dispositif de prélèvement sur les recettes des plus grandes collectivités – mais le principe restera en vigueur – et une « fusion des dotations d’investissement ». La DETR et la Dsil, notamment, devraient donc fusionner en un seul « Fonds territoire », ce qui devrait simplifier l’instruction des dossiers.
Même si ces annonces sont toujours bonnes à prendre, on est donc très loin de la demande exprimée la veille par les associations du bloc communal (lire Maire info du 21 novembre) de voir supprimées la plupart des mesures de ponction financière.
Différenciation
Le Premier ministre s’est montré en revanche plus disert sur des mesures de « simplification » qui ont l’avantage de ne rien coûter à l’État. Il a notamment voulu répondre en partie à la demande formulée dans la résolution finale de donner une forme de pouvoir réglementaire aux collectivités : « Là où la situation est différente, la règle peut être appliquée différemment », a reconnu Michel Barnier, pour qui il est possible de laisser aux collectivités « des marges pour interpréter les règles ». Il souhaite également « faire évoluer le rôle du Conseil national d’évaluation des normes [Cnen] pour en faire l’organe de la vérification, bien en amont de leur présentation au Parlement, du respect de l’exigence de clarté et d’intelligibilité des lois. » Reconnaissant – ce qui figure presque chaque mois dans le compte rendu des réunions du Cnen – que la saisine de cet organe est souvent « trop tardive » et « trop formelle », le chef du gouvernement souhaite en faire « un organe de conception partagée des lois ». Cette annonce, si elle toutefois suivie d’effet, ne pourra que satisfaire les associations d’élus.
Tout comme celle, qui a suivi, d’intégrer aux études d’impact des projets de loi un volet plus « spécifique » permettant « l’analyse des effets de la loi sur les collectivités territoriales ».
Vers une réforme du ZAN
Sur le très controversé dispositif du ZAN, le Premier ministre veut « renverser la pyramide ». Dans un premier temps, des décrets seront pris pour modifier le dispositif à la marge, mais sur des sujets particulièrement irritants pour les maires. Par exemple, « les jardins pavillonnaires ne seront plus considérés comme des espaces artificialisés, ce qui dégagera des marges de manœuvre localement », a annoncé le Premier ministre, déclenchant les applaudissements immédiats des maires.
Dans un second temps, la loi devrait évoluer sur le fond. « Le ZAN ne doit pas se développer en cascade, de façon mécanique, de la région jusqu’à la plus petite commune. Une fois l’objectif fixé, (…) il faut laisser le territoire discuter de la façon dont il veut prendre sa part à l’effort, en partant du terrain ». « Nous allons donc réfléchir en termes de trajectoire plutôt qu’avec des dates couperet ». Cette « nouvelle liberté, cet oxygène », sera mis en place « dès le premier semestre 2025 », a promis le Premier ministre.
Statut de l’élu
« Nous allons remettre en chantier le statut de l’élu », a déclaré Michel Barnier, dès le début de l’année 2025. Le véhicule législatif utilisé sera la proposition de loi de Françoise Gatel, déjà adoptée par le Sénat, qui sera mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale « en février », « complétée » par des éléments pris dans le texte de Violette Spillebout, Sébastien Jumel et Stéphane Delautrette. « Nous allons avancer, pas dans trois ans mais dans quelques semaines ». Point important – demandé tant par l’AMF que par Violette Spillebout, comme elle l’expliquait à Maire info pendant le congrès – ce statut de l’élu « figurera en tête du Code général des collectivités territoriales.»
Autre point extrêmement important : le Premier ministre a exprimé le souhait que cette loi puisse intégrer la réforme du mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants : il souhaite « discuter ensemble » de l’extension à ces communes du scrutin de liste paritaire, et se dit « prêt à des évolutions », tout comme sur le sujet « de la taille des conseils municipaux ». Au passage, Michel Barnier s’est également dit « ouvert » à une « évaluation » de la loi sur le non-cumul des mandats. « Parmi les centaines de parlementaires, aujourd’hui, il n’y a plus de maires. Je suis ouvert sur cette question, sans tabou et sans idéologie. »
En conclusion, le Premier ministre a dit sa volonté de conclure un « contrat de confiance » avec les collectivités, afin que les maires « n’aient plus l’impression d’être des sous-traitants de l’État, (…) mais des partenaires ». « J’ai envie qu’ensemble on relève la ligne d’horizon », a conclu Michel Barnier, qui a demandé aux maires de l’aider à construire une trajectoire de « progrès », qui n’est « pas un mot archaïque ».
« La France est concrète par ses communes, par ses villages, par ses quartiers. Chaque commune est une petite république dans la grande. (…) Et c’est pourquoi sans communes, il n’y a pas de nation. Et sans communes, il n’y a pas d’État ! » C’est par ces mots que le président de l’AMF, David Lisnard, a entamé son discours de clôture du 106e congrès de l’AMF, jeudi 21 novembre.
« Praticiens »
Le maire de Cannes a tenu à longuement développer le thème choisi comme fil conducteur du congrès, « les communes, heureusement » : « La réalité des communes, c’est une réalité de praticiens. Notre réalité, c’est de trouver tous les jours des solutions sous contrainte. » Cette action quotidienne des maires, elle est « la solution pour le pays », a martelé David Lisnard, y compris sur la question des comptes publics, « qui nous préoccupent, tous, et dont nous nous sentons responsables, tous », a-t-il insisté.
« Nous ne sommes pas là pour quémander (ni) pour pleurnicher », a rappelé le maire de Cannes, ni pour être « flattés », a-t-il ajouté. « Nous ne défendons pas un intérêt corporatiste, nous sommes une association reconnue d’intérêt public et nous défendons l’intérêt du pays, qui doit reposer (…) sur la liberté locale ».
David Lisnard a relevé que le nouveau gouvernement, depuis son arrivée, n’a « pas eu une parole irrespectueuse » à l’égard des collectivités, ce qui tranche avec le gouvernement précédent. Il a également salué la « réactivité » du Premier ministre sur certains dossiers, comme celui du contrat de présence postale (lire Maire info du 7 octobre), lors duquel Michel Barnier a répondu rapidement et positivement aux craintes des maires.
De même, le maire de Cannes a salué la décision du Premier ministre de renoncer au transfert obligatoire de l’eau et de l’assainissement, et rappelé que les maires « ne veulent plus de transferts contraints ».
Perte de confiance
David Lisnard a regretté « des années de perte de confiance » entre les collectivités et l’État. Depuis des années, a-t-il rappelé, l’AMF alerte sur « les excès du centralisme », la perte de l’autonomie fiscale des communes, la nationalisation des impôts locaux. « On ne nous a pas écoutés. »
« La réalité, c’est que les collectivités ne sont pas le problème des comptes publics », a rappelé le président de l’AMF, qui a égrené les chiffres pour le prouver. « Il n’y a eu aucune dérive de la dette des collectivités territoriales en 30 ans (…) quand la dette de l’État a été multipliée par trois dans la même période ».
David Lisnard a affirmé que les dispositions du projet de budget vont « accentuer le problème des comptes publics » : « Le fait de s’attaquer (…) à nos capacités d’autofinancement est une attaque sur nos capacités d’investissement. Cela aura un effet récessif. »
La « volonté indéfectible » des maires
Le maire de Cannes a également fustigé l’amoncellement des normes, des schémas, « des contraintes et des obligations », et les « injonctions contradictoires », citant un maire qui s'est vu, la même semaine, refuser par les services de l’État l’installation de panneaux photovoltaïques, et a reçu un courrier lui demandant d’accélérer le développement des énergies renouvelables. « Ça agace », a lancé David Lisnard sous les applaudissements.
« Chaque maire ici présent a une somme d’exemples d’absurdités dans sa besace ! ». Comment en sortir ? « Pas avec des impôts supplémentaires », estime David Lisnard. « Nous proposons un moratoire, pour faire des milliards d’économies, sur toutes les normes qui s’appliquent à nos communes et nos intercommunalités », citant en exemple « le décret tertiaire, le décret sur le calorifugeage… ».
« Il faut également arrêter de nous transférer des charges qui ne sont pas compensées. » Le trait de côte, la Gemapi, le service public à la petite enfance, « comment on va faire » sans moyens supplémentaires ? – a demandé David Lisnard.
D’autres sujets ont été évoqués sur « ce que peuvent construire ensemble » les collectivités et l’État si la « confiance » est rétablie : le statut de l’élu, l’amélioration de la loi ZAN, la problématique de l’assurabilité des communes, mais aussi l’insertion des personnes en situation de handicap, le « défi écologique », la crise économique et sociale… « Nous avons tant de défis à relever ! Vous pouvez compter sur la volonté indéfectible des maires de France », a lancé le David Lisnard au Premier ministre.
Le dernier défi évoqué par le maire de Cannes est le défi démocratique, qui doit passer par « la revitalisation civique ». « Notre combat, c’est la liberté. Ce qui nous rassemble, c’est la liberté ! Il faut donner toute sa place à la liberté (…), à la liberté de proximité. Oui, il faut libérer l’action des communes et des intercommunalités, mais c’est ainsi aussi que nous libèrerons l’État. Nous devons libérer les collectivités des normes et des procédures, libérer les Français des charges bureaucratiques. »
« Aujourd’hui l’enjeu c’est de faire en sorte que les communes de France soient prospères pour que la France soit prospère », a conclu le président de l’AMF.
C’est toujours l’un des moments les plus solennels du Congrès : André Laignel a donné lecture, lors de la séance de clôture, de la résolution finale adoptée « à l’unanimité » par le Bureau de l’association, avant le discours de clôture du président de l’association David Lisnard.
« Spirale infernale »
« Rien ne serait possible en France sans l’engagement des communes », rappelle l’AMF au début de la résolution, dans un contexte de « fragilisation des institutions » et de « crises qui s’enchaînent ». « Pôles de stabilité », « socles de proximité », les communes sont « un repère pour les Français ». Elles sont pourtant « attaquées », ce qui a provoqué « la colère » des maires, exprimée pendant le congrès lors du rassemblement des « écharpes noires ». « Il n’est pas un maire qui ne se soit senti exaspéré car injustement mis en cause par la dénonciation calomnieuse de certains représentants de l’État nous accusant de mauvaise gestion », a martelé André Laignel. Pour l’AMF, cette situation n’est que le résultat d’un « long processus » venant d’un État qui a « perdu ses moyens d’agir, se veut omnipotent mais devient impotent » et a reculé partout sur le territoire.
En même temps que l’État « se retire » des territoires, « il se donne l’illusion de la puissance en corsetant l’action des collectivités » – comme en témoigne, par exemple, le ZAN, « caricature de la technocratie, dispositif descendant et souvent abscons ». Cette « impuissance » de l’État conduit à des « blocages », voire à la « colère populaire »… face à laquelle l’État fait appel aux collectivités pour tenter de recoudre le tissu social. Cette « spirale infernale » doit être brisée, martèle l’AMF, car « il n’est ni souhaitable ni responsable de laisser prospérer l’impuissance publique » – l’association redoute que le pays finisse par « être livré aux aventures que les crises portent en elles ».
Renouer avec la décentralisation
L’association demande donc « un renouveau de la puissance et de l’action publiques au service des citoyens », à travers un nouveau mouvement de décentralisation.
Pour cela, l’AMF estime qu’il faut refondre « les relations entre l’État et les collectivités ». Comme elle le prône depuis des années, elle demande que l’État se « recentre » sur ses missions régaliennes et « laisse s’épanouir l’action des collectivités ». L’association demande « une concertation nationale sur la répartition des compétences et des financements ». Dans l’immédiat, elle demande immédiatement « la suspension des normes supplémentaires sur les équipements municipaux ».
L’AMF répète également sa volonté que les collectivités se voient confier « un pouvoir réglementaire » : pour elle, la loi doit « renvoyer directement aux collectivités la définition des modalités pratiques d’organisation ». Elle réitère également son exigence de l’instauration d’une « véritable autonomie fiscale » : « Nous avons besoin de réfléchir sereinement à des leviers fiscaux à la main des communes pour retrouver des marges de manœuvre », plaident les dirigeants de l’AMF, qui rappellent leur proposition d’instaurer une nouvelle « contribution territoriale universelle », mais « sans augmenter le niveau global des prélèvements obligatoires ». « Le contribuable local doit retrouver un pouvoir de contrôle sur l’action des élus », et le maire doit pouvoir « engager sa responsabilité devant l’électeur ».
Liberté d’action
L’AMF demande également la fin de la tutelle des préfets sur les décisions des communes, avec « la suppression définitive du déféré préfectoral » – d’autant plus que les préfectures n’ont aujourd’hui « plus les moyens de contrôler les actes ». L’association demande, en revanche, le développement du rescrit, c’est-à-dire la possibilité pour les maires de demander en amont au préfet un avis sur la légalité d’un acte.
Enfin, sujet cher à l’AMF, l’association demande une fois encore « l’entrée dans l’ère des compétences choisies » et la fin des transferts obligatoires : « Chaque commune doit pouvoir décider de ce qui est le plus pertinent à mettre en commun au niveau intercommunal ».
Face à la gravité de la situation, l’AMF estime que ces propositions sont vitales et qu’il en va de l’avenir du pays en ces temps de crise. Au-delà du congrès, elle entend lancer « un vaste mouvement à travers tout le pays » pour les mettre en avant, et invite « l’ensemble des maires de France et leurs équipes à multiplier les actions de sensibilisation partout sur le territoire ».
Et de conclure : « La France, aujourd’hui comme demain, a plus que jamais besoin de ses communes, de la mobilisation de ses 498 000 élus locaux et de ses agents territoriaux. Ensemble, nous sommes une chance pour la France. »
A l’occasion du débat consacré aux finances locales qui s’est tenu hier, les élus locaux ont fait part de leurs inquiétudes face aux projets qui pourraient être remis en question à cause du budget prévu pour 2025, juste avant l’arrivée du Premier ministre sur place.
En ligne de mire, les quelque 10 milliards d’euros de prélèvements que le gouvernement souhaite imposer aux collectivités l’an prochain.
« Erreur stratégique »
Et, en premier lieu, les trois mécanismes inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 par l’exécutif visant à ponctionner de 5 milliards d’euros les recettes des collectivités : le gel de la dynamique de la TVA, l’amputation du FCTVA et la création d’un fonds de précaution.
Si Michel Barnier a annoncé, quelques heures plus tard, de manière encore évasive, que ces deux derniers dispositifs seraient « modifiés en lien avec le Sénat », les élus locaux présents ont largement ciblé les autres mesures défavorables aux collectivités dans ce projet de budget, telles que la baisse de 1,5 milliard d’euros du Fonds vert, la hausse de la cotisation à la Caisse de retraites des agents (CNRACL) pour 1,3 milliard d’euros ou encore la non-indexation de la DGF sur l’inflation.
Des mesures qui font peser des « menaces lourdes » sur les collectivités, ont à nouveau expliqué les deux co-présidents de la commission Finances de l’AMF, Antoine Homé et Emmanuel Sallaberry. Surtout au regard du contexte. Car après « une première alerte en 2023 », l’épargne brute des collectivités a déjà « chuté de 20 % en 2024 », et « cette dégradation va s’accentuer en 2025 avec ces prélèvements », a déploré le maire de Talence, en insistant bien sur le fait que « toutes les collectivités vont être impactées, pas seulement les 450 » qui seront ponctionnées de 3 milliards d'euros au titre du fonds de précaution.
« Est-ce que ça va au moins améliorer la situation financière du pays ? Pas du tout », a ironisé, de son côté, le maire de Wittenheim. « C’est une erreur stratégique » aux yeux d’Emmanuel Sallaberry qui s’inquiète du « risque d’effondrement de l'investissement » avec de probables conséquences importantes sur les entreprises et l’emploi.
« Comment j’agis aujourd’hui ? Je subis ! »
Des perspectives qui ont de quoi fortement « angoisser » et mettre « en colère » ce maire d’une petite commune rurale de 220 habitants venu apporter son témoignage et qui « ne supporte pas qu'on change les règles du jeu à partir du moment où l’on a mis en œuvre des projets ».
Depuis 2018, il a mis « toute son énergie » et sa « sueur » dans la rénovation de l’église de son village « dans les conditions financières des dernières années ». Un projet qui était « bien engagé », mais « voilà qu’on m’annonce qu’on va me réduire le FCTVA » alors qu’il comptait sur le retour de 170 000 euros de TVA pour ces travaux d'un million d'euros financés notamment par « la mission Bern » sur le patrimoine.
« Mais où va-t-on? Comment je fais, comment j’agis aujourd’hui? Je subis ! », s’est-il insurgé devant l’amputation de ses ressources, avant de s’interroger : « Qu’est-ce que je vais demander aux habitants ? »
Même analyse de la part de la maire de Savonnières (Indre-et-Loire), Nathalie Savaton, qui s’inquiète de « la rupture de confiance, depuis dix ans, entre l’Etat et la collectivité, et de fait entre les collectivités et (leurs) habitants ». « Les règles du jeu changent brutalement (...). Cela nous impacte systématiquement (...) et nous empêche d’aller jusqu’au bout de nos projets », a-t-elle dénoncé.
Sacrifier une école, un pont ou la santé ?
Avec l’importante diminution annoncée du Fonds vert, c’est l’édile de Noyal-sur-Vilaine, Marielle Muret Baudoin, qui se retrouve « au milieu du gué ». Si les études prévues pour la végétalisation des cours de ses écoles ont bien été prises en charge par ce dispositif, dorénavant « on ne sait pas si les travaux, qui est la partie la plus importante, le seront ». « On est un petit peu dans l’attente », dit-elle en cherchant déjà de nouvelles solutions pour faire aboutir ce projet.
Sans compter qu’elle a découvert que la hausse de cotisation à la CNRACL lui coûtera « entre 800 et 1 000 euros par ETP » (équivalent temps plein), soit « un total d’environ 70 000 euros » d’impact sur le budget de sa commune.
« Si nous n’avons pas ce levier de l'investissement, on ne pourra pas aménager nos territoires », s’inquiète Muriel Abadie, maire de Pujaudran (Gers) alors que sa commune devrait « perdre 20 000 euros » en 2025, ce qui représente « deux ans d’accompagnement des associations qui la font vivre ».
« Nous nous retrouvons donc à arbitrer des choix complètement aberrants : Est-ce que nous allons investir pour l'école ou pour le pont ? Et est-ce que nous allons arrêter d’investir pour soutenir la santé et l’arrivée de médecins ? », a mis en garde le maire de Saint-Martin-le-Vinoux (Isère), Sylvain Laval, également co-président de la commission Transports de l’AMF.
Suppression de 1,9 milliard d'euros de TVA pour 2024
A cela s’ajoute une autre mauvaise nouvelle relevée par le premier vice-président délégué de l’AMF et maire d’Issoudun (Indre), André Laignel : « La semaine dernière, on m’a averti que l’on me supprimait, pour 2024, 175 000 euros de TVA censée compenser la suppression de la CVAE. Au total, cela représente 1,9 milliard d’euros, dont plus de 500 millions d’euros pour le seul bloc communal ».
« Et ça ne va pas s’arrêter là car, bien entendu, pour l’an prochain nous allons repartir sur des bases nouvelles qui seront diminuées de 1,9 milliard d’euros », a fustigé celui qui a « le sentiment d’être dans le tonneau des Danaïdes ». « Ce sont les équilibres fondamentaux de nos budgets qui sont en jeu (...). On prendra toutes les avancées, mais on est très loin du compte malheureusement », s’est désolé le président du Comité des finances locales (CFL).
Le président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Bernard Delcros, a assuré que les sénateurs allaient « essayer d’améliorer la copie du gouvernement » . « L’objectif est d’obtenir un accord avec le gouvernement pour que ça aboutisse et que ce soit retenu dans le “49.3” » qui devrait être inévitable lors de l’ultime vote du budget à l’Assemblée, espère le sénateur du Cantal.
Il est ainsi prévu que la « chambre des territoires » retire complètement la mesure visant le FCTVA et de ramener le fonds de précaution - s’il n’est pas possible de le supprimer totalement - à « un milliard d’euros », au lieu de 3 milliards, en lui attribuant « des critères de richesse et non pas de taille ».
Afin d’éviter des « pertes sèches » aux petites communes, Bernard Delcros a annoncé qu’il déposerait un amendement pour améliorer la compensation de l'extension de l'exonération du foncier non bâti. Pour les petites communes rurales, c’est une ressource importante qui représente parfois « 50 % de recette fiscale », a-t-il expliqué.
Une dernière mise en garde a été faite par Emmanuel Sallaberry sur le « chiffon rouge » que représenterait la baisse du taux et le recentrage du FCTVA. « Il nous est donné pour essayer de faire passer l’ensemble des autres mesures », a-t-il prévenu, indiquant qu’il « faut vraiment que l’on se méfie de ça parce que, à la fin des fins, c’est ce qui va venir toucher à notre autofinancement. Attention donc à ne pas s’attacher à un seul combat, alors qu’il y en a d’autres derrière ».
L’arrivée de la fibre, l’arrêt de l’ADSL : ces chantiers ont bousculé au fil des années le quotidien des maires. Avoir une bonne connexion internet est aujourd’hui plus qu’essentiel. « Est-ce qu’on accepterait aujourd’hui que des citoyens soient sans eau courante ? », interpelle dans la salle Mickael Audegond, maire de Wailly (62).
C’est donc sans surprise que les questions ont été nombreuses durant le Forum consacré à la couverture numérique du territoire au 106e Congrès des maires de France et des présidents d’intercommunalité, le 20 novembre. L’occasion de faire remonter « le ressenti des élus locaux sur le terrain pour nourrir la réflexion dans les échanges avec les partenaires des collectivités », introduit Michel Sauvade, co-président de la commission numérique de l’AMF.
La priorité de la fibre pour tous
L'ADSL va définitivement disparaître en France d'ici 2030 avec la fermeture du réseau cuivre opérée par l’opérateur historique Orange. La fibre va ainsi devenir la nouvelle infrastructure de référence et devrait couvrir l’entièreté du territoire d’ci 2025 dans le cadre du Plan France très haut débit. Si le chantier avance, tout ne se passe pas toujours comme prévu dans les territoires et il reste beaucoup à faire avant de sereinement pouvoir dire adieu à l’ancien réseau et ne laisser personne sur le bord de la route.
« Nous sommes à neuf locaux sur dix en France qui aujourd’hui peuvent avoir la fibre, souligne Ghislain Heude, directeur « Fibre, infrastructures et territoires » de l’Arcep. Et évidemment, ce qui reste à faire à la fin est plus difficile ».
Il y a d’abord les retards de déploiement. Un adjoint au maire de Saint-Etienne rapporte que dans certains hameaux autour de la métropole, la fibre est attendue depuis quatre ans : « Pour nous élus, c’est inacceptable. On ne peut pas dire d’un côté « le cuivre va claquer » et de l’autre « la fibre va arriver » ». Dans les territoires d’outre-mer, notamment à Mayotte, les retards sont encore plus lourds. Hadel Laou Madi, directeur général des services de la commune de Bouéni, indique que la fibre est déployée « à moins de 10 % » sur l’île. « On est encore très loin », glisse-t-il.
Autre sujet qui visiblement inquiète les maires : les raccordements complexes en zone privée. Des travaux sont en effet parfois nécessaires chez les particuliers et ils peuvent être particulièrement coûteux. Les opérateurs ne souhaitent pas prendre en charge ces derniers. Les citoyens n’ont d’autre choix que de payer ces travaux, ou de renoncer à avoir une connexion.
Si la solution des technologies alternatives a été soulevée par le secrétaire général d’Orange, Nicolas Guérin, passer par satellite ou par un abonnement mobile n’est pas une solution acceptable pour les maires. Pour Frédérique Charpenel, maire de Soustons, ce sont « des réponses que nous ne pouvons pas donner aux citoyens ».
Comme l’a rappelé Michel Sauvade, le 100 % fibre est l’objectif souhaité par l’AMF et les autres associations d’élus : « Ça n’est pas négociable, modulo un accord local très ponctuellement. »
Les maires ne peuvent « pas tout faire »
Avec la fermeture du réseau ADSL, les élus sur le terrain se sont vu attribuer naturellement la lourde tâche d’expliquer aux administrés que la fibre sera le nouveau réseau de demain, et qu’il faudra l’adopter avant que le réseau cuivre ne soit fermé. « On ne peut pas tout faire », insiste Frédérique Charpenel. D’autant que les maires n’ont pas les moyens de faire une communication précise à leurs administrés. « La communication il n’y a que le maire qui la fait aujourd’hui, déplore Daniel Valéro, maire de Genas (69). Résultat : les administrés pensent que ce sont les maires qui sont à l’initiative de l’arrêt du cuivre. Cette absence de communication, pour un maire c’est très difficile à vivre. »
Sur cette question, l’État et les opérateurs se renvoient la balle. Alors que l’AMF demande depuis plusieurs années qu’une communication neutre soit mise en place, le gouvernement, représenté par le ministre délégué à l’Industrie, Marc Ferracci, estime avoir déjà fait sa part et « passe le bébé aux opérateurs ».
Du côté d’InfraNum- fédération qui représente l’ensemble de la filière avec les opérateurs, constructeurs intégrateurs, équipementiers, etc – on ne souhaite pas laisser les choses telles qu'elles sont. Son président, Philippe le Grand, explique à Maire info que les acteurs espéraient que cette communication prenne la même dimension que celle qui avait existé pour la TNT. « Malheureusement ce n’est pas le cas, alors la filière a décidé de s’organiser pour réaliser cette communication grand public qui débutera à partir de l’année prochaine ».
Pas de changement de méthode à l’horizon
Malgré les inquiétudes des maires, la remise en question du côté de l’État ne semble pas être à l’agenda en ce qui concerne le déploiement de la fibre. « On peut s’appuyer sur la méthode c’est-à-dire sur le triptyque qui lie l’État, les collectivités et les opérateurs, a indiqué le ministre Marc Ferracci. L’État a beaucoup investi sur le plan réglementaire et budgétaire. On ne doit pas remettre en question une méthode qui a fonctionné. »
Un paramètre a cependant changé depuis le lancement du plan France très haut débit en 2013, et les maires l’ont bien remarqué. L’objectif du 100 % s’est petit à petit métamorphosé en un objectif de raccordements à la demande. Le ministre parle « d’une logique de 100 % de ceux qui le souhaitent ». Si on ne peut pas forcer la main aux concitoyens, il ne faudrait pas que ces derniers se retrouvent sans solution une fois que l’ADSL aura complètement disparu. Le réseau cuivre aujourd'hui fournit la télévision et le téléphone fixe et les maires remarquent que c'est une information qui n'est pas claire pour tout le monde.
Le ministre a enfin évoqué l’enveloppe de 16 millions d'euros prévue dans le projet de loi de finances 2025 pour les raccordements à la fibre complexes sur la partie privative du réseau. Cette aide sera expérimentée dans les communes ayant entamé l'arrêt du cuivre sur demande, et à destination des foyers modestes.
Pour finir, aucun financement supplémentaire n’est prévu du côté de l’État, au contraire. Il est en effet prévu dans le projet de loi de finances 2025 de réduire de quasiment la moitié les crédits alloués au plan France très haut débit. Les territoires d’outre-mer vont être les premiers impactés par ces coupes budgétaires. A Mayotte, la subvention de l’État passera de 50 à 13 millions d’euros. Si le ministre a invité les acteurs à « faire le dernier kilomètre ensemble », les associations d’élus veilleront à ce que ces décisions politiques ne mènent pas à une aggravation de la fracture numérique des territoires.
Retrouvez notre interview de Marc Ferracci sur le sujet ci-dessous
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