Édition du jeudi 10 octobre 2024

Eau et assainissement
Michel Barnier veut supprimer l'obligation de transfert de l'eau et l'assainissement en 2026
C'est un coup de théâtre, parfaitement inattendu, qui s'est produit hier au Sénat, avec l'annonce par le Premier ministre de son intention d'en finir avec le transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement aux intercommunalités en 2026. Reste à savoir si ce qui n'est, pour l'instant, qu'une déclaration d'intention, deviendra réalité.

C’est au détour d’une question au gouvernement sur « les économies demandées aux collectivités territoriales » que le Premier ministre, Michel Barnier, a lâché sa petite bombe sur le transfert obligatoire de l’eau et de l’assainissement en 2026. Interrogé par la sénatrice Cécile Cukierman sur les 5 milliards d’euros qui vont être ponctionnés sur les collectivités territoriales dans le projet de loi de finances – ponction jugée « honteuse » par la sénatrice qui demande à l’État « d’assumer sa dette » –, Michel Barnier a pris la parole pour défendre sa politique. 

« Il n’y aura plus de transfert obligatoire »

L’argent des collectivités a été « bien utilisé », et « nombre de (leurs) dépenses sont subies ou contraintes », a reconnu Michel Barnier. Mais ces dépenses ont « beaucoup trop augmenté » et « elles contribuent aussi au déficit de la France ». C’est pourquoi « un effort » sera demandé aux collectivités, « dans un esprit de partenariat ».

Mais Michel Barnier a aussitôt ajouté que cet effort doit s’accompagner d’un « allégement des contraintes qui pèsent » sur les collectivités, de davantage de « libertés locales », ajoutant que « cela coûte souvent moins cher et peut rapporter beaucoup ». Et de poursuivre, comme en passant : « Je voudrais juste prendre un exemple, celui de l’eau et de l’assainissement », question qui, dix ans après la loi Notre, reste « une difficulté, presque une blessure dans la confiance entre le gouvernement et le Sénat. Le gouvernement souhaite adopter une position de clarté. » Et le Premier ministre a annoncé, déclenchant les applaudissements nourris du Sénat : « On ne va pas revenir sur les transferts déjà réalisés, mais il n’y aura plus de transfert obligatoire en 2026 ». 

Le Premier ministre, dans ses propos, n’a pas vraiment caché que cet engagement – indolore financièrement pour l’État – est une concession faite aux communes pour faire avaler la potion amère des restrictions budgétaires : il a dit espérer que cette orientation « permettra de faire comprendre aux communes, malgré l’engagement que nous avons de faire cet effort ensemble, que nous souhaitons leur donner plus de liberté et leur faire davantage confiance ».

Cette annonce reste néanmoins une excellente nouvelle pour de nombreux maires qui ne souhaitent absolument pas transférer leur compétence eau et assainissement – annonce en rupture totale avec la position des précédents gouvernements, depuis 10 ans. C'est également une bonne nouvelle pour l’AMF qui défend, depuis des années, l’idée d’un transfert au strict volontariat – au nom des maires comme à celui des présidents d'intercommunalité, souhaitant que les communes comme les intercos soient libres de décider de qui fait quoi. « Liberté » et « confiance », les mots de Michel Barnier sont choisis – ils correspondent à ce que l’AMF ne cesse de demander. 

L’AMF satisfaite, IdF ulcérée

Le président de l’AMF, David Lisnard, a d’ailleurs aussitôt réagi sur X, saluant « la décision de Michel Barnier, (une) revendication de l’AMF pour que soient respectées la subsidiarité et la coopération au profit de la qualité du service ». L’AMF elle-même a également réagi sur X pour se réjouir d’une « mesure de liberté et d’efficacité » : « L’AMF a toujours porté cette proposition et salue cette mesure de liberté, respectueuse du principe de subsidiarité. Pour que le service de l’eau soit efficace et de qualité, les communes et leur intercommunalité doivent pouvoir choisir son mode d’organisation et déterminer librement du transfert ou non de cette compétence en fonction des réalités locales. » 

Sans surprise, la réaction est beaucoup plus glaciale du côté de l’association Intercommunalités de France dont le président, Sébastien Martin, dit avoir « rarement vu un tel niveau de mépris à l’encontre des intercommunalités ». Le président d’IdF rappelle que cette proposition devra passer par le Parlement. « Nous entendons bien agir auprès des députés pour que cette proposition n’aboutisse pas. »

Une proposition de loi à compléter

Quel sera le vecteur législatif de la proposition du Premier ministre, justement ? Il existe déjà, et Michel Barnier ayant salué « l’engagement » des sénateurs Jean-Michel Arnaud et Alain Marc sur ce sujet, auteur et rapporteur de ce texte, il ne fait pas de doute que c’est sur cette proposition de loi que le gouvernement va s’appuyer.

Il s’agit d’un texte « visant à assouplir la gestion des compétences eau et assainissement », déposé le 29 avril 2024. Il est à noter que ce texte non seulement ne propose pas la suppression du transfert obligatoire en 2026, mais qu’au contraire de ce qu’a déclaré le Premier ministre, il propose de revenir sur certains transferts opérés. 

Le gouvernement devra donc rédiger ses propres amendements à ce texte pour mettre en musique les annonces du Premier ministre, sauf si d’autres sénateurs le font avant lui. On le saura très rapidement, puisque ce texte va être débattu au Sénat en séance publique jeudi prochain, le 17 octobre. 




Budget
Cotisations CNRACL : un nouveau coup de massue pour les employeurs territoriaux
Après les mesures annoncées mardi dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, ce sont maintenant celles du projet de loi de financement pour la Sécurité sociale (PLFSS) qui commencent à être dévoilées. Avec à la clé une lourde addition pour les employeurs territoriaux. 

Le gouvernement va demander une hausse de quatre points de la cotisation employeur à la CNRACL (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales). Cette information est inscrite noir sur blanc dans l’avant-projet de loi de financement de la Sécurité sociale, encore non publié mais que Maire info a pu consulter. Cette hausse va représenter une dépense supplémentaire pour les employeurs territoriaux, selon les premières estimations, d’environ 1,3 milliard d’euros cette année, et 1,2 milliard pour les employeurs de la fonction publique hospitalière. 

Et ce n’est qu’un début : le texte prévoit également une augmentation de la cotisation en 2026 et 2027. Et certains parlementaires se préparent déjà à déposer des amendements pour alourdir encore la note. 

Le déficit et ses causes

Cela fait des années maintenant que la CNRACL – qui gère les retraites de quelque 1,3 million d’agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière – est déficitaire. Les causes en sont connues : allongement de l’espérance de vie, qui fait qu’il y a aujourd’hui environ 1,4 cotisant actif pour en retraité, contre 4,5 pour un au début des années 1980 ; part importante des femmes dans la FPT et la FPH, qui bénéficient plus souvent de départs anticipés ; emploi de plus en fréquent de contractuels et non de fonctionnaires, lesquels contractuels ne cotisent pas à la CNRACL mais au régime général… 

Par ailleurs, une cause majeure du déficit de la CNRACL est le fait que celle-ci, via un mécanisme de solidarité entre les différents régimes de retraite, est sollicitée pour compenser le déficit des autres caisses. Depuis 1974, elle a ainsi été ponctionnée de 80 à 100 milliards d’euros au bénéfice des autres régimes, via ce mécanisme dit de « compensation démographique »..

Pour réduire ce déficit, il existe plusieurs pistes, qui ont récemment été identifiées dans un rapport inter-inspections (lire Maire info du 1er octobre). Et il apparaît que la hausse des cotisations pour les employeurs publics est loin d’être la seule piste. En particulier, il semblerait possible, estiment les auteurs de ce rapport, de faire cotiser, pour tout ou partie, les agents contractuels à la CNRACL. Quant à l’AMF, elle souhaite elle aussi que la question ne soit pas envisagée uniquement sous l’angle d’une hausse des cotisations et plaide pour « une remise à plat complète du système »

Hausse massive

Ce n’est pas la voie que se propose de suivre le gouvernement. Et pour cause. Le problème du gouvernement, semble-t-il, n’est pas de réduire, en soi, le déficit de la Caisse… mais de demander aux employeurs territoriaux de contribuer à la diminution du déficit de l’État. 

Cela apparaît de façon parfaitement claire dans l’avant-projet de loi de financement de la Sécurité sociale. On se rappelle que les plans du gouvernement pour réduire de 60 milliards le déficit se décomposent en 40 milliards de baisse des dépenses et 20 milliards de recettes nouvelles. Parmi les recettes nouvelles, certaines seront inscrites non dans le projet de loi de finances mais dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale : d’une part, une diminution de certains allégements de cotisations patronales notamment sur les salaires proches du smic ; et, d’autre part, « une nouvelle hausse du taux de cotisation patronale à la CNRACL ». 

Rappelons qu’en 2012, ce taux était de 27,3 %. Il est aujourd’hui de 31,65 %, soit une augmentation d’environ 4 points en 12 ans (la dernière augmentation, d’un point, est intervenue l’an dernier), avec une grande stabilité entre 2014 et 2023. Pour 2025, la hausse prévue dans le PLFSS est de 4 points, ce qui est massif, puisque c’est, d’un coup, autant que l’augmentation des 12 dernières années. 

Cette hausse des cotisations est donc bien une nouvelle brique de la contribution directe des collectivités territoriales à la réduction du déficit de l’État – dont elles ne sont, ne cesse de rappeler l’AMF, nullement responsables. 

Il faut également souligner que cette augmentation importante va, mécaniquement et obligatoirement, augmenter les dépenses de fonctionnement des collectivités… au moment où le gouvernement ne cesse de répéter que celles-ci doivent diminuer. Et que par ailleurs,  cette hausse va probablement obérer toute possibilité pour les élus de jouer sur le régime indemnitaire pour augmenter le salaire des agents, ce qui est totalement contradictoire avec la volonté affichée du gouvernement d'augmenter l'attractivité des métiers de la fonction publique territoriale. 

Ce n’est qu’un début

On apprend à la lecture de l’avant-projet de loi que les hausses pourraient continuer – à supposer que le gouvernement qui a rédigé ce texte soit encore là l’an prochain. Le texte évoque en effet « deux nouvelles hausses du taux de cotisation à la CNRACL en 2026 et 2027 ». Aucun chiffre n’est pour l’instant publié. 

De plus, il n’est pas certain qu’à la sortie du débat parlementaire, la hausse du taux de cotisation soit encore alourdie. C’est en tout cas l’intention du groupe Ensemble pour la République (macronistes) à l’Assemblée nationale, qui a présenté, hier, lors d’une conférence de presse, ses « propositions » pour le budget 2025. On sait que ce groupe a décidé de batailler farouchement contre toute hausse d’impôts, y compris sur les ménages très riches et les plus grandes sociétés. En revanche, non seulement il ne voit pas d’inconvénient à ce que les employeurs territoriaux voient leurs cotisations augmenter, mais ils souhaitent les augmenter plus encore. C’est ce qu’a expliqué, hier, le député du Gers Jean-René Cazeneuve, qui a dit que son groupe était « en soutien » de ce que le gouvernement prévoit pour les collectivités territoriales (5 milliards d’euros de ponction dans le projet de loi de finances et une hausse des cotisations employeurs à la CNRACL), mais qu’il souhaite « aller un petit peu plus loin ». Sans donner de précisions sur les chiffres, le député du Gers a évoqué, dans les pistes pour aller « un peu plus loin », la question de la CNRACL, avec des propos qui en surprendront plus d’un : « Il n’y a pas de raison que l’État continue à supporter le déficit [de la CNRACL] », a-t-il déclaré. On peut se demander de quoi il parle, dans la mesure où l’État n’a jamais financé, en aucune manière, la CNRACL. « Il faut donc responsabiliser les collectivités territoriales » sur ce point, a ajouté le député. Le déficit de la CNRACL serait donc dû à l’irresponsabilité des élus ? Jean-René Cazeneuve, hier, a commencé son propos en expliquant qu’il n’était pas là pour « polémiquer avec les élus ». Mais c’est apparemment plus fort que lui. 




ZAN
ZAN : des évolutions à l'horizon
Devant la complexité d'application du « zéro artificialisation nette » sur le terrain, le groupe de suivi du Sénat propose déjà un réaménagement. Ses premières propositions, présentées le 9 octobre, vont dans le même sens que celles de l'AMF rendues publiques en juillet dernier.

[Article initialement publié sur le site Maires de France] 

On le sait, le zéro artificialisation nette (ZAN) irrite ! Il irrite tous les acteurs concernés : élus locaux, aménageurs, opérateurs… Le groupe de travail du Sénat sur le suivi des politiques de réduction de l’artificialisation des sols (lois Climat et Résilience de 2021 et ZAN 2 de 2023), qui a présenté ses premières conclusions le 9 octobre, le constate : il y a des « blocages », une méthode « centralisatrice », « arithmétique », « injuste », ont expliqué Guislain Cambier (Nord) et Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse), respectivement président et rapporteur du groupe. La consultation en ligne menée auprès des élus locaux (1 400 réponses) le confirme, les quelque 70 personnes auditionnées pendant six mois également.

« Se mettre à hauteur des maires »

Seul consensus : respecter l’objectif de sobriété foncière. Pour le reste, les sénateurs proposent de « desserrer l’étau » réglementaire et législatif, de revoir la méthode, « qui ne fonctionne pas ». Absence de concertation avec les territoires, non prise en compte des réalités et dynamiques locales, injonctions contradictoires, État aux abonnés absents dans l’accompagnement des collectivités, État incapable de définir les grands projets exemptés de comptage ZAN, qualité des sols oubliée … La liste des récriminations est longue.

Les sénateurs préconisent de « se mettre à hauteur des maires. L’État doit prendre acte des diversités locales. Il faut partir des besoins des territoires », insistent Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc. Par souci de stabilité normative, les sénateurs veulent d’abord « mettre la pression sur l’État », afin qu’il accompagne enfin les collectivités en financement et en ingénierie.

Mieux accompagner les collectivités

Ils appellent à ce que le contrôle de légalité des documents d’urbanisme fasse preuve d’une « tolérance de 20 % de dépassement de l’enveloppe d’artificialisation mentionnée dans la circulaire Castex du 31 janvier 2024 ». Le groupe de travail rappelle que « cette marge de tolérance doit s’appliquer, aux termes de la circulaire, lorsque des cibles territorialisées d’artificialisation sont fixées dans le fascicule du Sraddet (rapport de compatibilité). Si tel n’est pas le cas, elle doit trouver à s’appliquer a fortiori aux objectifs inscrits dans le rapport, conformément au rapport de prise en compte ».

Le soutien aux élus devrait aussi passer par la formation des élus par les préfectures, la nomination de référents ZAN dans les services de l’État, la mise en place de guichets uniques auxquels pourraient s’adresser les élus afin d’obtenir un éclairage sur des problèmes liés à l’artificialisation des sols à l’occasion de la modification de document d’urbanisme ou de toute opération d’aménagement, des foires aux question, etc.

Revoir le financement et la fiscalité

Une autre piste consiste à revoir le financement du ZAN et la fiscalité locale. Une mission d’information spécifique travaille depuis mars dernier sur le financement et rendra ses conclusions dans « deux à trois semaines ». Quant à la fiscalité locale, elle « a l’effet pervers » d’être « par essence artificialisante », assurent les sénateurs du groupe de travail. « Il faut impérativement que le coût d’artificialisation d’un sol naturel soit plus élevé que le coût de recyclage d’un sol déjà « artificialisé »», intiment-ils.

Temporairement, il serait aussi utile « de sortir », sous conditions, l’industrialisation et le logement social des objectifs ZAN, pour résoudre ces deux crises. La levée d’une telle dérogation pourrait par exemple être fixée à 2031.

Révision plus structurelle pour l’après-2031

Pour l’après 2031, les sénateurs imaginent des évolutions plus structurelles du cadre législatif et réglementaire du ZAN. Ils veulent ainsi réinterroger l’étape de la diminution de moitié de consommation des espaces à échéance de 2031 en ouvrant tout le champ des possibles : adaptation, report de l’échéance, suppression.

Ils proposent également de continuer à calculer les efforts de sobriété foncière en Enaf (espaces naturels, agricoles et forestiers) après 2031 car cela aurait le mérite de ne pas inclure les activités agricoles. Bien sûr, des garde-fous devraient être mis en place pour « ne pas bétonniser nos campagnes ». Les Enaf sont déjà une notion « complexe » à intégrer, il est inutile de rechanger de base de calcul pour l’après 2031, estiment les sénateurs du groupe de travail.

Faciliter la vie des maires

Toujours dans l’idée de faciliter la vie des maires, les sénateurs du groupe de travail souhaitent inverser la logique du ZAN pour qu’elle devienne « ascendante » et « concertée ». Ils s’appuient pour cela sur l’étude ZAN de l’AMF de juillet 2024 et reprennent à leur compte l’idée de l’association « de procéder par évaluation préalable des capacités des communes et intercommunalités de contribuer à l’atteinte d’un objectif national, compte tenu de leurs contraintes propres ».

Dans les semaines à venir, les sénateurs travailleront sur de nouveaux critères de territorialisation (partie réglementaire du code général des collectivités territoriales) car ceux d’aujourd’hui « sont diversement mis en œuvre ». Et lorsque les collectivités s’estiment lésées, elles n’ont que le contentieux pour contester. Ces nouveaux critères devront mieux prendre en compte les spécificités des territoires (montagne, littoral…), les différentiels de densité ou des dynamiques de peuplement et d’activité. 

Vers un nouveau texte de loi

Les membres du groupe de travail de suivi ZAN poursuivent les travaux et attendent évidemment beaucoup de la mission d’information sur le financement. Mais l’objectif est clair : il s’agit de revoir une troisième fois la législation en la matière via une proposition de loi. Le Premier ministre semble ouvert sur le sujet puisqu’il a indiqué dans son discours de politique générale vouloir « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation zéro artificialisation nette pour répondre aux besoins essentiels de l'industrie et du logement ».

Du côté des maires et présidents d’intercommunalités, l’AMF travaille ardemment le sujet, a rédigé des propositions et veut, elle aussi, « une autre loi ». L’association s’accorde sur l’objectif de 2050 mais appelle également à « changer totalement de méthode ». La Chambre des territoires et l’AMF sont d’accord sur l’essentiel.




Aide sociale
Régularisation, hébergement, accès aux soins : le Sénat alerte sur la situation des femmes sans abri
On compte de plus en plus de femmes parmi les sans-abri, vivant dans des conditions inhumaines. La délégation aux droits des femmes du Sénat vient de publier un rapport sur le sujet, invitant le gouvernement à se saisir urgemment du problème. Les conditions de prise en charge sont actuellement inadaptées.

« Les femmes à la rue sont de plus en plus nombreuses depuis dix ans, il y a une recrudescence inédite du phénomène », explique en conférence de presse Agnès Evren, sénatrice de Paris. Au total, 330 000 personnes, dont 40 % de femmes, sont sans domicile en France aujourd’hui. 

Face à cette explosion du nombre de femmes à la rue, la délégation aux droits des femmes du Sénat a mené des travaux pendant une dizaine de mois. Les quatre rapporteures ont présenté hier leurs conclusions et recommandations pour davantage accompagner ces femmes et familles à la rue.

Rendre visible l’invisible 

Au cours des auditions menées par la délégation, « les femmes sans domicile et a fortiori les femmes sans abri ont systématiquement été décrites comme "invisibles", soit qu’elles "passent inaperçues", qu’elles "se cachent" ou qu’elles soient "victimes d’une invisibilisation" ». Elles existent pourtant bel et bien. Les chiffres recueillis par les sénatrices sont précieux et montrent que ces femmes sont « victimes d’une spirale de précarité et de violences », comme l’indique Agnès Evren. 

Les sénatrices identifient d’abord « une prégnance d’événements douloureux et de violences dans le parcours antérieur des femmes sans domicile nées en France ». 36 % d’entre elles ont été victimes de violences dans leur enfance, 25 % ont été placées en famille d’accueil ou en foyer au titre de la protection de l’enfance et 15 % ont perdu leur logement à la suite de violences familiales. 

Une fois sorties de ce système, la violence continue : « Au bout d’un an passé à la rue, 100 % des femmes ont subi un viol. Pour elles, c’est un trauma parmi d’autres », a expliqué aux sénatrices Aurélie Tinland, médecin-psychiatre à l’AP-HM. 

Les femmes qui ont été contraintes de fuir leur pays représentent 50 % des femmes à la rue. Ces dernières se retrouvent très souvent « en situation d’exploitation domestique ou sexuelle à leur arrivée, puis à la rue si elles refusent une telle exploitation. » 

Par ailleurs, à cause de la saturation des services d’hébergement d’urgence, « environ 3 000 femmes et 3 000 enfants se retrouvent à devoir passer la nuit dehors » et ce chaque soir.  En effet, plus de la moitié des femmes et familles ne sont pas mise à l’abri en dépit de leur appel au 115. « La veille de la rentrée scolaire, 6 500 personnes sont restées sans abri parmi lesquelles 1 934 femmes et 2 073 enfants », a ajouté Laurence Rossignol, sénatrice du Val-de-Marne et co-rapporteure.

La mission recommande notamment d’améliorer l’accès aux professionnels de santé, en déployant la médiation en santé, des permanences d’accès aux soins, des équipes d’intervention mobile, la vaccination des primo-arrivantes par l’Ofii et de prendre en charge les violences sexistes et sexuelles en sensibilisant les travailleurs sociaux et les forces de l’ordre qui recueillent les plaintes.

« Il faut retrouver une politique du logement » 

Parmi la vingtaine de recommandations émises par les rapporteures, plusieurs portent sur une priorité indiscutable : trouver un toit à ces femmes. Si l’offre d’hébergement a été multipliée par deux en dix ans, atteignant 203 000 places dans le parc généraliste (centres d’hébergement et de réinsertion sociale, centres d’hébergement d’urgence et autres centres, hôtels sociaux) et 110 000 places dans le cadre du dispositif national d’accueil (DNA) des demandeurs d’asile, « le parc d’hébergement est aujourd’hui saturé, faute de solutions de sortie vers le logement, et ne remplit donc plus sa vocation de solution temporaire », pointent les sénatrices. 

La délégation propose donc de créer 10 000 places d’hébergement supplémentaires, « en mobilisant notamment l’habitat intercalaire » (des terrains ou des locaux vacants mobilisés sur des périodes de courte ou moyenne durée). Cette mesure avait été votée par le Sénat pour le budget 2024, rappelle Laurence Rossignol, mais avait été effacée par le 49.3. 

La mission incite également à « améliorer la qualité du parc d’hébergement en transformant les nuitées hôtelières en places pérennes et en assurant davantage de places non mixtes pour les femmes isolées, des places adaptées à toutes les configurations familiales et des lieux permettant de cuisiner, disposer d’une intimité et accueillir des enfants ».

« Il faut retrouver une politique du logement social digne de ce nom », a ajouté Laurence Rossignol, qui considère qu’il n’y en a plus « depuis des années » déjà. La délégation recommande d’accroître la construction de logements sociaux et de simplifier les procédures de construction de logements à bas loyers dans le secteur privé et de « renforcer les moyens des programmes spécialisés d’accès direct au logement pour les personnes les plus vulnérables, sur le modèle du dispositif Un chez-soi d’abord ».

La régularisation 

Les sénatrices se sont également attaquées à l’épineuse – mais très actuelle – question de la régularisation de ces femmes à la rue. « Beaucoup travaillent, ou ont un enfant né ou scolarisé en France. Elles ne sont donc pas expulsables mais n’ont pas de titre de séjour », explique Olivia Richard, co-rapporteure et sénatrice des Français de l’étranger.

Laurence Rossignol ajoute que de nombreuses femmes sont « maintenues » dans les centres d’hébergement car elles ne peuvent pas postuler à un titre de séjour régulier, « elles y sont depuis parfois plusieurs années mais sont interdites d’accès au logement social ».

La mission demande ainsi « au gouvernement de donner des instructions aux préfets pour que dans le cadre de la circulaire Valls, et du traitement au cas par cas des personnes en situation irrégulière, un effort particulier soit fait à l’égard des femmes sans abri ». Pour rappel, la circulaire Valls permet aux préfets de traiter des régularisations au cas par cas, en fonction de critères familiaux ou d’emploi. Selon Laurence Rossignol, les préfets en font actuellement un « usage malthusien ». 

Cependant, le gouvernement de Michel Barnier ne semble pas vouloir aller sur cette ligne politique. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau souhaite, a-t-on appris hier, abroger la circulaire Valls de 2012 et la remplacer par une autre. Si on ne parle pas de suppression de la mesure, les critères pour accéder à cette régularisation exceptionnelle seraient plus stricts. 
 




Finances locales
La Cour des comptes propose d'attribuer la DGF aux seules intercommunalités
Afin de réduire les inégalités entre collectivités, la Cour des comptes propose une « réforme systémique » de la DGF dont plusieurs propositions devraient faire bondir beaucoup d'élus locaux, au moment de la présentation du budget 2025.

Le Comité des finances locales (CFL) a tout juste enterré, en avril dernier, toute tentative de réforme de la DGF qui ne serait pas conditionnée à une augmentation de son montant globale que la Cour des comptes se saisit à nouveau de ce sujet brûlant. Au moment où le gouvernement présente son projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

Un énième soubresaut pour ce serpent de mer des finances locales, et pour lequel la Cour défend, dans son rapport publié hier, la mise en œuvre d’une réforme « systémique » de cette dotation versée aux communes, aux intercommunalités et aux départements, dont la répartition reste « marquée par de profondes inégalités ».

Injustices et complexité

On le sait, la DGF est « trop complexe pour tenter d’embrasser la diversité des situations locales ». Outre ses 18 composantes, elle comporte « des paramètres de calcul pour partie incomplets ou imprécis » pour la répartir équitablement entre collectivités : que ce soit, par exemple, les données de population ou encore le potentiel fiscal ou financier.

Bien que les inégalités entre collectivités s’atténuent, des iniquités et « injustices » persistent donc encore. « Des collectivités ayant un potentiel fiscal ou un revenu par habitant plutôt importants perçoivent toujours une DGF plus élevée que d’autres collectivités dont le niveau relatif de richesse est plus faible », constate ainsi la Cour, qui observe aussi que les montants de dotation forfaitaire versés à des collectivités dont la population, le potentiel fiscal et le revenu par habitant sont comparables peuvent être « hétérogènes ».

Rendre « plus efficace » la péréquation

Ces inégalités seraient, toutefois, « pour partie surmontables » en rendant plus efficace la péréquation, qui est « loin d’être cohérente ». Pour cela, la Cour préconise de « continuer à augmenter les dotations de péréquation », tout en les ciblant mieux « sur les collectivités pour lesquelles le besoin d’un concours de l’État (...) est le plus marqué ». 

Car, selon les magistrats, les ressources financières qui sont consacrées à la péréquation bénéficient à « des collectivités extérieures à leurs cibles désignées et sont saupoudrées entre un nombre excessif de collectivités ».

Pour y remédier, ils formulent plusieurs propositions particulièrement techniques. Pour eux, la fraction « bourg-centre » devrait, d’abord, « être versée aux seuls chefs-lieux de canton en vigueur, et non à ceux d’avant la réforme de 2013 qui en a réduit le nombre ».

Ensuite, la dotation nationale de péréquation (DNP) devrait être « supprimée », tout comme la fraction « péréquation » de la dotation de solidarité urbaine (DSR), et « les montants correspondants être réaffectés (notamment) à la fraction “cible” de la DSR » qui bénéficient aux 10 000 communes rurales les plus fragiles. Ce qui permettrait de « verser cette dernière à un nombre accru de communes ».

La nécessité d’une « nouvelle DGF »

Mais les magistrats financiers préviennent que « les disparités dans la répartition de la DGF [...] ne peuvent être corrigées dans le cadre de l'architecture actuelle » de la dotation globale de fonctionnement. Et ce, malgré la croissance des enveloppes de péréquation depuis 2013.

Pour cette raison, ils proposent de mener « une réforme systémique ». La nouvelle DGF voulue par la juridiction de la rue Cambon se diviserait ainsi selon deux « volets » : « une dotation forfaitaire "cible" » serait ainsi calculée en fonction des ressources des collectivités et « un complément sélectif péréquateur » calculé en fonction de leurs charges. 

Cette nouvelle DGF permettrait de soutenir les collectivités dont les ressources sont inférieures à un certain seuil. La seconde part de la nouvelle ressource prendrait en compte « les besoins de financement de charges propres aux caractéristiques de la population et du territoire des collectivités ».

Pour la répartition de la DGF, « seul un nombre réduit de données, authentifiées par des tiers de confiance, seraient prises en compte ». Il est à noter que les conséquences concrètes que pourraient avoir ces modifications sur les collectivités nécessiteraient « d’importantes études d’impacts difficiles à produire à court terme », souligne ce matin l'AMF.

Les magistrats estiment, par ailleurs, que le maintien de l’affectation de la DGF aux départements est « peu justifié » et proposent que celle-ci soit « intégrée à une dotation évolutive de l’État ou à une ressource fiscale qui seraient spécifiquement affectées au financement des dépenses sociales relevant des compétences des départements ». 

S'agissant de la DGF du « bloc communal », ils souhaitent qu’elle soit désormais versée aux intercommunalités. Pour cela, il compte favoriser cette pratique « par des incitations financières adaptées ». L’objectif est de « moduler la répartition de la DGF au plus près des situations individuelles des communes et renforcer la solidarité financière entre elles ». Une proposition pour laquelle s’est opposé le président des finances locales, André Laignel, il y a encore deux jours.

« Le projet d’unification de la DGF peut être une volonté partagée localement, que la loi le permet depuis 2010 et selon plusieurs options (totale ou partielle, critères de répartition imposés ou libres) », rappelle pour sa part l'AMF, qui note que, « pour autant, nous n’avons connaissance d’aucun exemple de communes et de communautés qui auraient engagé un tel processus ; ce qui témoigne de l’absence de volonté locale, même à titre expérimental, de ce processus ».

Une réforme financée par les collectivités

La Cour propose, enfin, d’étaler la mise en œuvre de la réforme afin d’en « lisser les effets dans le temps pour les collectivités « gagnantes » et les collectivités « perdantes », par exemple sur la durée du prochain mandat municipal ou départemental ».

Au regard du coût éventuel de la réforme pour l’État (de la compensation d’une partie des pertes de recettes des collectivités « perdantes », mais aussi de l’éventuelle « réindexation de la DGF sur l’inflation »), la Cour estime que celui-ci « devrait être financé par un ajustement à due concurrence des autres concours de l’Etat aux collectivités ». De quoi faire bondir les élus locaux puisque cette réforme devrait se faire « à coût constant pour les finances publiques ».

Un point déjà contesté par le CFL. Son président assurait ainsi, au printemps dernier, qu’une telle réforme de la DGF « est impossible à moyens constants » et même « totalement inenvisageable à moyens descendants » car « beaucoup de collectivités sont déjà en grande difficulté ». 

Pour cette raison, le CFL avait interrompu ses travaux sur le sujet, débutés en janvier - pour lesquels il avait été missionné par Emmanuel Macron, lors du dernier congrès des maires - en attendant un hypothétique abondement des crédits de la DGF dont, on le sait désormais, le montant 2024, un peu plus de 27 milliards d’euros, devrait être reconduit à l’identique l’an prochain

Télécharger le rapport.







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