Édition du mercredi 2 octobre 2024

Gouvernement
Le Premier ministre veut bâtir un « nouveau contrat de responsabilité entre l'Etat et les collectivités ».
Lors de sa déclaration de politique générale, prononcée hier devant l'Assemblée nationale, Michel Barnier a dit vouloir s'appuyer sur les élus locaux pour mener plusieurs chantiers prioritaires. Mais l'un d'eux à de quoi inquiéter les collectivités : celui de la réduction des dépenses publiques, priorité de l'exécutif. 

Une double exigence (« réduire la dette budgétaire » et « la dette écologique »), une méthode (« écoute, respect et dialogue ») et cinq chantiers (améliorer « le niveau de vie des Français » ; favoriser l’accès aux services publics de qualité ; renforcer la sécurité au quotidien ; maîtriser la politique d’immigration ; promouvoir la fraternité) : tels sont les principaux points du discours de politique générale prononcé, mardi 1er octobre, par le Premier ministre. 

Résoudre la « dette budgétaire » et la « dette écologique » 

Devant l’Assemblée nationale, Michel Barnier a rappelé la « dette colossale » du pays (« 3 228 milliards d’euros ») qui génère « 51 milliards d’euros » d’intérêts, ce qui fait de la charge de la dette « le deuxième poste de dépense de l’Etat après l’Education nationale ». Le chef du gouvernement a pointé le déficit public « qui sera supérieur à 6 % du PIB » cette année et qu’il ambitionne de ramener « à 5 % du PIB en 2025 » et « sous le plafond de 3 % en 2029 ». C’est une précision importante, car elle constitue un recul par rapport aux objectifs fixés par Bruno Le Maire, qui souhaitait un retour aux 3 % pour 2027 – objectif jugé par beaucoup intenable. 

Pour le Premier ministre, le « remède » reposera « aux deux tiers » sur la réduction des dépenses en 2025 dans le cadre d’un « effort partagé » : « Nous ferons des choix avec les collectivités locales, pas sans elles ni contre elles », a souligné Michel Barnier, sans plus de précision. Les élus locaux devront sans doute attendre la présentation du volet « collectivités » du projet de loi de finances pour 2025, le 8 octobre, devant le Comité des finances locales (CFL), la veille de sa présentation en Conseil des ministres, pour découvrir la teneur de ces « choix »…  

Les deux autres remèdes évoqués par Michel Barnier sont « l’efficacité de la dépense publique » et la fiscalité. Sur ce dernier point, le chef du gouvernement a annoncé « une participation au redressement collectif des grandes et des très grandes entreprises » et une « contribution exceptionnelle » des « Français les plus fortunés ». 

La réduction de la « dette écologique » (l’autre exigence de l’exécutif avec celle de la dette budgétaire) passe sans surprise, selon le locataire de Matignon, par le développement des énergies renouvelables (et celui du nucléaire), Michel Barnier mentionnant la nécessité de « valoriser les initiatives des communes ». Un troisième plan d’adaptation au changement climatique, en cours de préparation, devrait formaliser les priorités du gouvernement. Le Premier ministre a aussi annoncé la tenue prochaine d’une « conférence nationale sur l’eau ».

Une « nouvelle contractualisation » avec les collectivités 

Le chef du gouvernement a évoqué une « nouvelle méthode » de travail qui reposera sur « l’écoute, le respect et le dialogue » permettant de trouver des « compromis » dans la mise en œuvre des politiques publiques, appelant à prendre « l’exemple souvent donné dans les collectivités locales ». Soulignant sa « très haute idée des collectivités dans la République », il veut bâtir « une contractualisation avec les collectivités locales et les élus locaux », un « nouveau contrat de responsabilité entre l’Etat et les collectivités ». Il a évoqué la possibilité de « renforcer [leurs] compétences », sa volonté de « passer en revue les projets d’action locale empêchés par la complexité règlementaire » afin de les débloquer. Il s’est engagé à « limiter au strict minimum les nouvelles normes ». Pour renforcer l’efficacité de l’action publique, Michel Barnier a indiqué qu’une instruction sera adressée aux préfets « pour leur permettre de déroger au cadre national à chaque fois que cela est utile ». 

S’agissant des Outre-mer, un comité interministériel se tiendra « au premier trimestre 2025 » pour « valoriser leurs ressources propres et lutter contre la vie chère ». Concernant la Nouvelle-Calédonie, en proie aux violences depuis près de cinq mois, le Premier ministre a annoncé le report des élections provinciales « jusqu’à fin 2025 » tandis que le projet de loi constitutionnel sur le dégel du corps électoral, à l’origine des violences, « ne sera pas soumis au Congrès ».

Cinq chantiers prioritaires

Michel Barnier a annoncé les « cinq chantiers prioritaires » de son gouvernement. Le premier concerne « l’amélioration du niveau de vie des Français » qui passe par le renforcement des dispositifs d’insertion professionnelle en lien avec les départements, la « revalorisation du smic de 2 % dès le 1er novembre », la relance de la construction de logement. Sur ce point, le Premier ministre a estimé qu’il faut « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée » la réglementation du zéro artificialisation nette (ZAN) face à la crise du logement (répondant au souhait de l’AMF), et « donner plus de pouvoir aux maires dans l’attribution des logements sociaux ». Le développement de solutions de transport dans les zones périurbaine et rurale est aussi une priorité « en soutenant les collectivités locales et les acteurs économiques ».   

Le deuxième chantier vise à renforcer « l’accès aux services publics de qualité » notamment dans le domaine de la santé, Michel Barnier s’engageant à « trouver des solutions de terrain » pour résoudre la crise de l’hôpital et lutter contre les déserts médicaux et la pénurie de soignants. « Nous proposerons la création d’un “programme Hippocrate”, par lequel je souhaite que les internes [étudiants], français et étrangers, s’engageraient volontairement, pour une période donnée et grâce à l’accompagnement de l’Etat et des collectivités, à exercer dans les territoires qui manquent le plus de médecins ». Il a aussi annoncé que la santé mentale sera la « grande cause nationale » en 2025.  Et évoqué le succès des maisons France services en indiquant que « ce qui marche sera généralisé ». 

« La sécurité au quotidien » est le troisième chantier du gouvernement : le Premier ministre a notamment annoncé la mise en place « sous l’autorité des préfets et des procureurs » d’un « plan d’action dans chaque département par la police et la gendarmerie nationale, en liaison avec les autres acteurs locaux de la sécurité, à commencer par les polices municipales ». Il a confirmé le déploiement de nouvelles brigades de gendarmerie. « Les Français, tous les Français, ont besoin d’être rassurés par la présence de nos forces. Elles seront encore plus visibles et présentes sur la voie publique », a-t-il souligné. Le chef du gouvernement veut « renforcer la politique de maîtrise de l’immigration » et « mieux intégrer les étrangers que nous choisissons d’accueillir » (quatrième chantier). 

Le cinquième et dernier chantier consiste à promouvoir « plus de fraternité » en favorisant pêle-mêle l’inclusion des personnes en situation de handicap, en « encourageant le bénévolat et la vie associative », en « développant une politique culturelle accessible à tous ». Michel Barnier a aussi indiqué que son gouvernement va « reprendre le projet de loi sur la fin de vie, en début d’année prochaine » dont l’examen a été interrompu par la dissolution. La « fraternité » pourrait également passer par le renforcement de la démocratie locale : le Premier ministre a ainsi suggéré d’organiser chaque année « une journée nationale de consultation citoyenne » qui « permettrait à toutes les collectivités de poser une question aux citoyens et d’ouvrir un débat ».




Associations
Après le discours de Michel Barnier, l'AMF demande du concret
Peu d'associations d'élus ont réagi, pour l'instant, au discours de politique générale de Michel Barnier. L'AMF salue certaines positions exprimées qui « rejoignent » les siennes, mais attend des précisions, tandis que Départements de France salue « un discours de vérité ». 

Le fait que le Premier ministre ait annoncé l’intention de faire ses choix « avec les collectivités, pas sans elles ni contre elles », ne peut évidemment que satisfaire les associations d’élus. Mais celles-ci attendent à présent que les promesses deviennent concrètes, ce qui se matérialisera, en premier lieu, dans le projet de loi de finances pour 2025.

L’AMF demande « des réponses claires »

L’AMF, dans un communiqué publié ce matin, se réjouit que Michel Barnier ait « souligné la nécessité de respecter les compétences des collectivités, voire de les renforcer », tout comme elle se félicite de constater que le Premier ministre partage les idées de l’AMF « sur l’importance de lever les blocages législatifs et règlementaires qui entravent l’action locale, de faire évoluer le dispositif du ZAN pour le concilier avec les objectifs de construction de logements et de développement économique, ou encore d’accorder aux maires davantage de pouvoir en matière de logement social ». 

Reste maintenant à voir « les modalités de concrétisation » de ces déclarations. L’AMF sera « particulièrement attentive » au projet de loi de finances qui doit être présenté la semaine prochaine. L’association rappelle son refus de toute « contrainte » imposée aux budgets locaux. Le terme de « contrats » utilisé par Michel Barnier (« nouveau contrat de responsabilités »), éveille forcément une certaine méfiance à l’AMF, rappelant les contrats de Cahors de triste mémoire. 

L’AMF regrette par ailleurs que la question des « transferts de charges opérés par l’État » n’ait pas été abordée, alors que ceux-ci « pèsent lourdement sur les finances des collectivités » (entretien des digues, gestion du trait de côte, ou « transferts de fait, comme en matière de sécurité »). 

Sur tous les sujets abordés par le chef du gouvernement (déserts médicaux, transition écologique, relance du logement…), l’AMF attends « des réponses claires sur les moyens juridiques et financiers dont (les maires) disposeront pour répondre aux attentes de leurs concitoyens ». Elle se dit « à disposition du Premier ministre et du gouvernement pour travailler ensemble ». 

Un modèle « à bout » pour Départements de France

Quant à l’association Départements de France (DF), elle a surtout retenu du discours du Premier ministre que celui-ci souhaite « porter une attention particulière aux plus fragiles » – les départements étant « en première ligne à leurs côtés ». Là encore, DF attend maintenant des mesures concrètes, notamment sur « le handicap, la pauvreté, les mineurs, les personnes âgées… ». 

Plus largement, les départements appellent le gouvernement à l’aide face « à l’intenable situation budgétaire à laquelle ils sont confrontés », rappelant les difficultés auxquelles ils font face pour construire leur budget 2025. « La situation d’un tiers (des départements) est catastrophique », prévient François Sauvadet, président de DF. Celui-ci appelle le gouvernement à « reconnaître les enjeux spécifiques et les énormes efforts » que les départements ont déjà consentis. 

Le président de DF rejoint le Premier ministre sur l’idée que le modèle social actuel, « construit sur une logique du toujours plus », est « à bout ». « Le modèle ne fonctionne plus et les départements sont piégés par un système dans lequel ils ne maitrisent ni leurs recettes, ni une part croissante de leurs dépenses », souligne François Sauvadet. Ce qui ressemble à une demande criante de remise à plat des règles de la décentralisation, qui ont été « dévoyées », conclut François Sauvadet. 

Notons que la Fédération française du bâtiment (FFB) se réjouit ce matin de l'annonce d'une exenstion du prêt à taux zéro à tout le territoire. « Ces premières annonces (...) constituent une vraie bouffée d’air pour le secteur. Elles arrivent au bon moment, alors que le marché du crédit immobilier se réouvre très progressivement.»  

Le Premier ministre s’est engagé à recevoir les associations d’élus pour discuter avec elle du présent et de l’avenir. Il faudra attendre encore quelques jours pour voir, dans le projet de loi de finances, si les promesses seront tenues. 




Commande publique
Commande publique : en 2024, les collectivités « tirent leur épingle du jeu »
Alors que la commande publique « recule fortement » cette année, les collectivités ont vu leurs achats légèrement progresser de 1,3 % au premier semestre, selon le baromètre publié par Intercommunalités de France et la Banque des territoires.

Au premier semestre 2024, la commande publique « recule fortement » par rapport à la même période l’an passé et subit une baisse de 5,3 %. Ce sont les premiers enseignements de la dernière édition du baromètre de la commande publique réalisé par Intercommunalités de France et la Banque des Territoires, fondé sur une analyse des appels d’offre conclus par les collectivités.

La commande publique représentait ainsi 45,9 milliards d’euros sur les six premiers mois de 2024, contre 48,4 milliards d’euros sur la même période en 2023. En cause, « le retour à des prix « normalisés » par rapport à l’inflation sur un certain nombre de dépenses » qui peut « en partie expliquer cette baisse », expliquent les auteurs du baromètre. 

Légère hausse pour les communes

« On constate également une baisse du nombre de marchés et dans le même temps, une hausse de leur coût moyen. Pour faire face à l’inflation, les acheteurs semblent confrontés à des choix. Les prix de l’énergie et des matières premières, qui ont connu une forte inflation, peuvent l’expliquer », détaillent-ils.

Mais, comme en 2023, les collectivités « tirent leur épingle du jeu » par rapport aux autres acteurs publics (- 8 %) et sont quasiment les seules à voir leurs achats légèrement progresser, à hauteur de 1,3 % en ne tenant pas compte de l’inflation.

Les communes, qui pèsent pour moitié dans la commande publique des collectivités, voient ainsi leur commande publique augmenter de 1,5 % au premier semestre, loin derrière les régions (+ 17,9 %) et les syndicats intercommunaux (+ 8,9 %). Ces derniers pèsent, toutefois bien moins : respectivement 5 % et 11 % de la commande publique des collectivités. Du côté des intercommunalités, les achats sont en légère baisse de 1,1 %.

Si les régions présentent « un profil atypique » qui s’explique par « des marchés dont les dates d’effets peuvent s’étaler sur plusieurs années », le bloc local (communes, intercommunalités et syndicats) a un « profil particulier », « presqu’à contretemps de la conjoncture économique », selon le baromètre.

Fait notable : après avoir vu leurs achats stagner en 2023, les départements accusent un « net repli » au premier semestre (-10 %), « en lien sans doute avec la chute des DMTO qui affaiblit fortement leur pouvoir d’achat ».

L’importance des marchés de travaux

En 2023, le montant de la commande publique avait progressé à hauteur de 4,4 % et s’était rapproché des niveaux d’achats réalisés avant la crise sanitaire de 2020. Cependant, cette évolution est à nuancer puisque la commande publique en 2023 semble avoir été « portée par l’inflation ».

En 2023, ce sont notamment les collectivités qui « tirent en avant les carnets de commandes des entreprises (+ 4,3 %) » tandis que l’État (-1 %) et les opérateurs publics (-5,3 %) sont « nettement moins dynamiques ». 

A noter que la moitié des achats publics (49 %) ont été attribués à des PME, tandis que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les microentreprises ont concentré respectivement 27 % et 16 % des marchés.

L’importance des marchés de travaux pour les collectivités est manifeste puisqu’ils représentent 53 % des achats, contre 47 % pour l’ensemble des acheteurs publics.

« Ce poids est encore plus important pour les communes : les marchés de travaux pèsent pour 61 % de leurs carnets de commande. Ils correspondent à des travaux neufs, d’entretien et de rénovation concernant l’ensemble des équipements et bâtiments publics dont les communes ont la charge : travaux de voirie, aménagements d’infrastructures et de réseaux... », expliquent les auteurs du baromètre.
 




DĂ©partements
Le Sénat dresse un bilan plutôt favorable de l'expérimentation sur la recentralisation du RSA
Depuis 2022, trois départements expérimentent la recentralisation du RSA, c'est-à-dire le transfert de cette compétence à l'État. La commission des finances du Sénat vient de publier un rapport d'information sur cette expérimentation, à mi-parcours.

Les départements  sont dans une situation financière délicate, qui se dégrade encore depuis la crise de l’immobilier. Alors que les dépenses des départements, notamment sociales, explosent, les recettes liées à la perception des DMTO (droits de mutation à titre onéreux) s’effondre, atonie du marché de l’immobilier oblige. 

Dans ce contexte, une expérimentation a été lancée pour décharger les départements de ce qui est leur principale dépense : le RSA. 

Conditions strictes

Le financement du RSA souffre d’un problème récurrent : le nombre de bénéficiaire augmente plus vite que les compensations versées par l’État aux départements. Résultat : le reste à charge pour ceux-ci devient de plus en plus important, et ce précisément au moment où les ressources se raréfient. 

Il a donc été décidé, dans la loi de finances pour 2022, d’expérimenter pendant cinq ans un retour de cette compétence dans le giron de l’État : les départements retenus pour l’expérimentation re-transféreraient le RSA à l’État, ainsi que les ressources dont ils bénéficient pour exercer cette compétence. L’expérimentation, décrite à l’article 43 de la loi de finances pour 2022 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000044794532, prévoit sur le plan financier un dispositif assez complexe : lorsqu’un département entre dans l’expérimentation, l’État « suspend » le versement des sommes versées auparavant au titre de la compensation de la décentralisation du RSA (fractions de TICPE). Si cette reprise ne suffit pas, l’État est en droit de reprendre aux départements concernés une somme supplémentaire prise sur les recettes de la taxe de publicité foncière et des DMTO. 

Ce dernier point a d’ailleurs, notent les sénateurs, fait hésiter un certain nombre de départements à se porter volontaires pour l’expérimentation, n’ayant pas très envie de risquer de se voir privés d’une partie des ressources des DMTO. 

La loi a fixé des conditions strictes pour pouvoir entrer dans l’expérimentation : avoir « un reste à charge au titre du RSA par habitant et une proportion de bénéficiaires du RSA dans leur population significativement plus importants que la moyenne nationale », et avoir « un revenu moyen par habitant significativement plus faible que la moyenne nationale ». 

Au final, seuls trois départements sont entrés dans le dispositif : la Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales, en 2022, et l’Ariège en 2023. Cela ne signifie pas que seulement trois départements entraient dans les critères, mais plutôt, comme le notent les sénateurs, que l’expérimentation n’a pas soulevé « un grand enthousiasme ». 

Quel bilan ?

Pourtant, à mi-parcours, il apparaît aux sénateurs que l’expérimentation est plutôt réussie. Dans les trois départements, les dépenses qu’ils effectuaient au titre du RSA étaient supérieurs à la reprise des ressources effectuées par l’État, ce qui a permis à la Seine-Saint-Denis, en 2023, un « gain net » de presque 44 millions d’euros (21,6 millions pour les Pyrénées-Orientales et 2,8 millions pour l’Ariège). 

Côté État, le coût de l’opération apparaît aux membres de la commission des finances du Sénat comme « très maîtrisé ». Il s’établit à 35 millions d’euros pour 2022 et 68 millions en 2023.

Les sénateurs notent que la recentralisation a permis, en l’espèce, une forme de partage des conséquences de la crise entre l’État et les départements : dans la mesure où l’État a repris une part des recettes des DMTO, et que celles-ci ont fortement diminué, l’État en assume les conséquences financières : « En d’autres termes, l’État subit désormais une partie de « l’effet ciseau », au profit des départements. » 

Quant à la gestion administrative du RSA ((instruction et attribution de la prestation, lutte contre la fraude, gestion des indus, sanction des manquements des bénéficiaires, etc.), l’État l’a entièrement confiée aux caisses de protection sociale (Caf et MSA). Les rapporteurs du Sénat estiment que cette délégation est « efficace » et qu’elle « constitue une clarification des rôles bienvenue entre l’État, les départements et la Sécurité sociale ». 

Dégagés d’un certain nombre de tâches et de contraintes qui ont été dévolues à l’État, les départements expérimentateurs ont pu davantage se focaliser sur « l’orientation des bénéficiaires du RSA », avec des résultats tangibles : « Les délais d’orientation ont diminué, permettant une entrée plus fluide dans l’accompagnement, et les réorientations (…) ont également connu une hausse ». 

Par ailleurs, les départements ont pu « réorienter » les marges de manœuvre financières regagnées vers les politiques de réinsertion. Par exemple, la Seine-Saint-Denis a en partie consacré ces nouvelles marges de manœuvre à la création de nouvelles structures, les Agences locales d’insertion. 

Et maintenant ?

Le bilan est donc manifestement positif. Reste à savoir, expliquent les sénateurs, comment « sortir par le haut » de l’expérimentation, qui prendra fin en 2026. Rappelons qu’en droit, une expérimentation de ce type ne peut avoir que deux issues (sans compter une possible prolongation) : la généralisation de la mesure expérimentée ou son abandon. Pour les sénateurs, l’option d’une « pérennisation de la recentralisation aux seuls départements expérimentateurs » serait « impossible ».

Si l’expérimentation devait se solder par un abandon, la situation serait très complexe – et « inédite » – pour les départements concernés, qui seraient contraints de subir une « re-décentralisation » de la compétence et de perdre les marges de manœuvre financières nouvelles gagnées depuis 2022-2023. Quid alors des politiques volontaristes engagées grâce à ces marges de manœuvre ? Par ailleurs, notent les sénateurs, « ce scénario pourrait conduire à ce que le droit à compensation des départements en 2026 serait moindre que le droit à compensation de l’État en 2022/2023 », ce qui serait très problématique.

Reste donc l’option de la généralisation, c’est-à-dire de recentraliser le RSA dans tous les départements. Les sénateurs ne semblent pas hostiles à cette solution, s’il est confirmé, en 2026, que les résultats ont été « très concluants ». Toutefois, une telle meesure « conduirait toutefois à un recul de la décentralisation et devrait nécessairement être concertée avec l’ensemble des départements, pour en définir les conditions acceptables par tous », concluent les sénateurs. 

Consulter le rapport.




Social
Politique d'hébergement des sans-abri : un rapport de la Cour des comptes pointe les manquements de l'État
Dans une publication dévoilée hier, la Cour des comptes alerte sur la nécessité pour l'État de renforcer le pilotage des structures d'hébergement. Elle dénonce aussi une « stratégie de court terme » qui détériore la qualité de l'offre pour les sans-abri.

En 2022, le nombre de personnes sans domicile fixe était de 330 000 – il a été multiplié par deux en dix ans. Pour faire face à cette « croissance continue », en dix ans, les crédits de l’État attribués à l’hébergement de ces personnes ont triplé, s’élevant à 3,2 milliards d’euros en 2023. 

Le parc d’hébergement atteint désormais 334 000 places et a, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, « vocation à assurer le droit à un hébergement d’urgence pour "toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale" ».

La politique publique liée à ces questions « se subdivise en un hébergement d’urgence de droit commun, qui comprend les deux tiers des places, et est piloté par la délégation à l’hébergement et à l’accès au logement - Dihal ; et l’hébergement spécifique aux demandeurs d’asile pour le dernier tiers, piloté par la direction générale des étrangers en France - DGEF. »

Malgré ces augmentations budgétaires et matérielles, la Cour des comptes estime que l’État mène une politique « sur le mode de la gestion d’urgences temporaires », « comme si les flux pouvaient s’inverser ou se tarir, alors qu’ils n’ont fait que se consolider et s’intensifier ». 

Dysfonctionnements financiers 

L’État « a privilégié le recours à la subvention annuelle plutôt qu’à la contractualisation pluriannuelle ou à l’autorisation d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) de nature plus pérenne ; le recours à des modes d’hébergement incluant moins d’accompagnement social ; et enfin des pratiques de sous-évaluation et de gel de crédits, systématiquement corrigées en fin de gestion faute de pouvoir véritablement maîtriser les déterminants de cette dépense. »

La Cour dénonce aussi un dégel tardif des dotations, en particulier concernant l’hébergement d’urgence, qui a notamment pour conséquence « un report de la charge de trésorerie sur les organismes du secteur de l’hébergement. De manière récurrente, les subventions sont en effet versées aux organismes gestionnaires en toute fin d’année, et ce de manière plus marquée encore que ne le sont les délégations de crédits. Le versement des crédits aux ESSMS, bien que strictement encadré par les textes, connaît un léger déport vers la fin d’année. »

Aussi, « l’insuffisance de la budgétisation initiale » mène à une « pratique récurrente de mobilisation par l’État de la trésorerie des organismes partenaires ». Cette inadéquation entre moyens et dépenses effectives est dénoncée chaque année par les associations. 

Les magistrats de la rue Cambon recommandent « d’inscrire et mettre à disposition, dès la loi de finances initiale, les crédits correspondant aux engagements d’hébergement de l’État » et d’ « appliquer le taux de réserve de 0,5 % aux crédits du programme 177 destinés au financement des structures d’hébergement d’urgence ». 

Un contrôle par l’État des gestionnaires à renforcer 

En dehors du cadre budgétaire, et « compte tenu de l’ampleur prise par cette politique », la Cour insiste sur le fait que les services de l’État doivent investir davantage dans la relation avec les organismes qui la mettent en œuvre cette politique « qu’il s’agisse de la stratégie, du pilotage budgétaire, des relations contractuelles ou du contrôle. »

Concrètement, l’État « ne s’est pas donné les moyens de suffisamment connaître la solidité et la qualité des prestations des organismes auquel il faisait appel et dont il a alimenté la forte croissance. Le paysage associatif qui assure l’hébergement pour son compte est partagé entre une multitude de petits acteurs locaux, et quelques grands organismes présents sur l’ensemble du territoire, et les contrôles organiques menés par la Cour révèlent, parmi ces grands organismes, un degré de maturité variable ». 

Le rapport soutient par exemple que la Dihal ne dispose « pas des outils de pilotage permettant de financer les établissements en s’étant assuré de leur efficience, l’administration a donc recouru à des modes assez frustes de gestion budgétaire, assumant une dégradation de la qualité de l’offre d’accompagnement social. »

En plus de s’engager en début d’année auprès des organismes sur un calendrier ferme de versement des subventions, les magistrats proposent de déployer une stratégie nationale de contrôle de ces derniers et de leurs établissements. Par ailleurs, la Cour estime qu’il serait opportun d’engager pour 2025 « une démarche de conventionnement triennal généralisée de ces établissements d’hébergement d’urgence » et de systématiser « le recours aux règles de la commande publique pour l’achat » de nuitées d’hôtel.

Enfin, selon la Cour des comptes, « l’action prioritaire à mener est la transformation, d’une grande partie des établissements d’hébergement d’urgence en établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ». Rappelons que la loi Élan a facilité la transformation de places d'hébergement d'urgence subventionnées en places de CHRS, sous condition de signature d’un contrat pluriannuel d’objectif et de moyens (CPOM). 

Consulter le rapport. 







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