Édition du vendredi 10 novembre 2023 |
Déchets
Consigne sur les bouteilles plastique : le gouvernement revient sur la parole donnée
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Alors que le ministre Christophe Béchu s'était très clairement engagé à renoncer à la mise en place d'une consigne sur les bouteilles plastique, le 27 septembre, les élus ont eu la stupéfaction de constater qu'il n'en est rien, et que la consigne figure noir sur blanc dans la dernière version du projet de cahier des charges des éco-organismes.Â
C’est bien connu : les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais tout de même, il faut une certaine audace pour déclarer, le 27 septembre, à la tribune des Assises des déchets à Nantes : « Nous n’allons pas mettre en place la consigne généralisée » ; et introduire celle-ci un mois plus tard, en catimini, dans le cahier des charges actuellement en consultation publique. C’est pourtant bien ce que le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a fait.
Trois ans de conflit
Pour comprendre l’affaire, il faut revenir un peu en arrière. Cela fait en réalité plus de trois ans, depuis 2019, que le débat sur la consigne des bouteilles en plastique fait rage. D’un côté, le gouvernement, qui semble être le porte-parole en la matière des industriels de la boisson ; de l’autre, l’ensemble des associations d’élus, le réseau Amorce et le Cercle national du recyclage. Le projet du gouvernement, qu’il tente par tous les moyens d’imposer depuis 2019, c’est de mettre en place un système de consigne, c’est-à-dire d’installer des dispositifs de collecte dans les commerces (hypermarchés par exemple), dans lesquels les consommateurs viendraient déposer leurs bouteilles vides en échange de quelques centimes.
Ce dispositif ne présente que des inconvénients et pour les collectivités, et pour les consommateurs. Pour ces derniers, le système serait socialement injuste : car le système de la consigne suppose qu’à l’achat, les bouteilles soient plus chères – le consommateur étant censé récupérer la différence en « rendant » la bouteille, ce que tous, loin de là, ne feront pas. Les consommateurs auraient donc à payer deux fois, une fois à l’achat, et la deuxième en s’acquittant de leur Teom ou Reom, qui servent à financer la collecte… notamment des bouteilles plastique.
Quant aux collectivités, elles sont perdantes sur tous les terrains. La mise en place d’une consigne aurait pour conséquence le risque d’assèchement de la collecte en bacs jaunes, alors que de très nombreuses collectivités ont fait de lourds investissements sur leurs centres de tri précisément pour pouvoir traiter efficacement les bouteilles plastique qui, en volume, représente une part considérable de la collecte. Les collectivités risquent donc de se retrouver avec des installations surdimensionnées. Par ailleurs, la mise en place de la consigne aurait pour résultat de diminuer le volume de bouteilles collectées, alors que ce gisement a une certaine valeur, qui permet aux collectivités de payer une partie du service public de traitement des ordures ménagères. En privant les collectivités de cette ressource, c’est tout l’équilibre économique de la filière qui est mis en danger, avec à la clé l’obligation, pour les collectivités, de devoir augmenter la Teom ou la Reom…
Les seuls gagnants, dans cette affaire, seraient donc les industriels, en particulier les grandes multinationales de l’agroalimentaire, qui y gagneraient la possibilité d’augmenter substantiellement leurs prix et de pérenniser le modèle économique de la bouteille plastique jetable à usage unique. D'ailleurs, dans tous les pays où elle a été déployée, la consigne s'est traduite par un accroissement sensible du nombre de bouteilles plastique consommées. Ces grandes firmes mènent depuis longtemps un lobbying acharné sur ce sujet, tant à l’échelle européenne qu’en France.
Retour sans préavis de la consigne
Après deux ans de résistance des associations d’élus et un rapport du Sénat dénonçant la consigne comme « une fausse bonne idée », le gouvernement a fait mine de reculer. Aux Assises des déchets de Nantes, fin septembre, Christophe Béchu reconnaissait, avec un certain sens de la litote : « Force est de constater que la mise en place d’une consigne généralisée et immédiate ne remporte pas la pleine adhésion. » Et il s’engageait donc, dans la foulée, à ne pas mettre en place la consigne.
Tout cela au moment où le cahier des charges des éco-organismes des emballages ménagers est en cours de finalisation. En effet, le précédent arrêté « portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets d’emballages ménagers », datant du 29 novembre 2016, arrive à échéance le 31 décembre. Il faut donc impérativement qu’un nouveau cahier des charges soit publié d’ici là, afin que les organismes puissent être agréés au 1er janvier 2024.
Le gouvernement a présenté un projet d’arrêté au Cnen (Conseil national d’évaluation des normes) le 7 septembre. Pas de trace de la consigne dans le projet d’arrêté, qui avait alors reçu un avis favorable des représentants des élus. Puis, le projet d’arrêté a été mis en consultation publique, le 3 novembre, en même temps qu’il était envoyé aux membres de la Cifrep (Commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs). Surprise : la consigne est de retour. Dans la présentation de la consultation publique, il est clairement écrit : « [L’arrêté] prévoit également que l’éco-organisme réalise avant le 31 décembre 2024 une étude portant sur les modalités pratiques et organisationnelles permettant la mise en œuvre éventuelle d’un dispositif de consigne pour recyclage des bouteilles plastique pour boisson à usage unique. »
Dans le projet d’arrêté lui-même, il est indiqué que cette étude « définit notamment les caractéristiques d'un maillage territorial des points de déconsignations de ces emballages et précise les investissements nécessaires à réaliser, ainsi que les modifications des soutiens financiers définis par le présent cahier des charges afin de garantir la bonne couverture des coûts des collectivités territoriales ». Voilà qui semble très précis pour un projet qui était, parait-il, abandonné.
Nouvelles pénalités financières pour les collectivités
Ce rajout de dernière minute, effectué sans même avoir la correction de prévenir les associations d’élus, a de quoi irriter celles-ci. D’ailleurs, lors de la réunion de la Cifrep qui a eu lieu hier, l’affaire est mal passée : tous les collèges, en dehors de celui de l’État, ont voté contre le projet d’arrêté, dont celui des consommateurs et celui des associations environnementales. Petit événement : même la DGCL (Direction générale des collectivités locales) s’est abstenue, ce qui veut dire que même certaines administrations centrales de l’État ne sont guère enthousiastes de cette réintroduction en catimini de la consigne par le cabinet du ministre. En réalité, seule la DGPR (Direction générale de la prévention des risques) a voté pour le texte. Elle pouvait difficilement faire autrement dans la mesure où c’est elle qui portait le texte.
Il faut également signaler un autre article du projet d’arrêté qui pose problème. L’article 10 introduit la notion de « pénalités financières » pour les collectivités (ou du moins, on suppose qu’il s’agit des collectivités, l’article étant juridiquement particulièrement mal rédigé) si leurs performances ne correspondent pas à celles fixées dans le cahier des charges. « Des objectifs cibles permettant d’apprécier la performance de collecte pour recyclage des bouteilles plastique pour boisson à usage unique de ces personnes pour les années 2024, 2025 et 2026 seront définis durant le premier semestre 2024 ». Ce qui interroge à plus d’un titre : cet arrêté, d’un point de vue juridique, est opposable uniquement aux éco-organismes, il ne peut donc en aucun cas être le véhicule d’une mesure imposant des pénalités aux collectivités, alors que la loi ne le prévoit pas.
Sans compter qu’introduire après l’examen par le Cnen des mesures potentiellement coûteuses pour les collectivités semble pour le moins hardi, dans la mesure où le rôle du Cnen est, précisément, de s’exprimer sur les normes et leur coût pour les collectivités.
Quoi qu’il en soit, le ministère semble décider à publier cet arrêté en l’état… quitte à le faire modifier après le 1er janvier 2024. S’il n’était pas publié en effet, cela poserait un problème majeur puisque les éco-organismes ne pourraient pas être agréés. Reste qu’on est en droit de se demander pourquoi le gouvernement ne publierait pas l’arrêté tel qu’il a été validé par le Cnen, ce qui semblerait, tout de même, un peu plus honnête.
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Développement économique
Réindustrialisation de la France : le gouvernement présente les 34 nouveaux territoires sélectionnésÂ
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Ce qui porte dorénavant à 183 le nombre de territoires labellisés « Territoires d'industrie ». Avec 630 intercommunalités engagées dans cette deuxième phase (2023-2027) du programme, cette nouvelle étape doit notamment permettre de recentrer les efforts sur « l'industrie verte ».
Les ministres chargés de l’Industrie et des Collectivités territoriales, Roland Lescure et Dominique Faure, ont présenté, hier, à Chalon-sur-Saône, le « Temps II » du programme « Territoires d’industrie », dont l’objectif est de réindustrialiser la France.
Annoncé en mai dernier par Emmanuel Macron, le président de la République avait indiqué avoir identifié « des territoires très en déprise sur lesquels on va mettre le paquet avec les Territoires d'industrie génération 2 pour aller plus avant en rouvrant des sites industriels ». « On va réenclencher une phase avec beaucoup des élus qui sont là pour avoir de la simplification et pour aller chercher, à l'échelle de chaque sous-préfecture, les projets dont on a besoin », avait-il expliqué, avant d'assurer que « la territorialisation de cette politique est absolument clé ».
La moitié des intercommunalités engagée
Arrivant à son terme, la première étape du programme, lancée en 2028, est ainsi prolongée jusqu’en 2027, dans une deuxième phase, et étendue à 34 nouveaux bassins d’activités. Ce qui porte dorénavant à 183 le nombre de territoires labellisés.
Parmi la trentaine de nouveaux, le ministre de l’Industrie a cité « Nantes, Concarneau, le bocage vendéen, Lille, Grenoble, Saint-Étienne » et comptabilisé « 630 intercommunalités, soit une sur deux, [faisant] désormais partie des 183 territoires d’industrie pour 2023-2027 ». Dans la phase précédente, ce sont 551 EPCI qui s’étaient engagés dans la démarche.
Vantant l'« excellent » bilan du programme dans la presse locale, Roland Lescure a rappelé que cette démarche s’est révélée « extrêmement efficace, parce que très décentralisée et très responsabilisante ». « Près de 2 milliards d’euros d’argent public, apportés par l’État, les collectivités et les grands opérateurs de financement dans ces territoires » ont ainsi été injectés, « complétés par des investissements privés ».
Au total, « plus de 7 milliards d’euros ont été investis », dont « 80 % des projets portés par des PME et ETI », pour soutenir 2 400 projets industriels. Sur le front de l’emploi, « la moitié des 100 000 emplois industriels recréés en France au cours des six dernières années l’ont été dans les « Territoires d’industrie, sans compter les emplois induits », a évalué le ministre. Et ce, « dans des territoires souvent très ruraux », souligne Dominique Faure dans le dossier de presse dédié.
Un redressement qui s’amorce, toutefois, après « 30 ans de désindustrialisation », comme le reconnaît lui-même le ministre de l’Industrie.
2 150 nouvelles actions de réindustrialisation
Alors que « beaucoup plus de candidats qu’il y a cinq ans » ont postulé à la deuxième phase du programme, les lauréats ont d’ores et déjà fait éclore 2 150 actions en faveur de la réindustrialisation.
Ceux-ci ont suivi quatre axes stratégiques majeurs principaux, qui ont « émergé comme des priorités majeures à l'issue de la première phase du programme ». Ainsi, les compétences (31 %), la décarbonation (23 %), le foncier (19 %) et l’innovation (18 %) sont au cœur de cette nouvelle phase.
Ces priorités doivent ainsi permettre de « renforcer la formation et le développement des compétences industrielles », d’« accélérer la transition vers une industrie plus respectueuse de l'environnement », de « favoriser la mise à disposition de terrains industriels » et de « stimuler l'innovation et la recherche ».
« Et cette fois nous avons réussi à mobiliser 500 millions d’euros sur cinq ans, provenant du Fonds vert », s’est félicité le ministre. Des crédits qui permettront d’accompagner, à hauteur de 100 millions par an, « les projets d’investissements industriels structurants et aux impacts positifs notamment en matière de transition écologique ». Les projets soutenus pourront relever des secteurs de la bioéconomie, des nouvelles mobilités durables, de la souveraineté alimentaire ou de recyclage de matériaux, par exemple.
Des chefs de projets dans chaque territoire
Ce nouveau « temps » du programme doit également permettre la mise à disposition de moyens en ingénierie et de renforcer le soutien en animation en dotant tous les territoires labellisés d’un chef de projet (dont le poste pourra être cofinancé par l’Etat) et en déployant des chefs de projets régionaux. « La première phase nous a montré que les projets qui marchaient le mieux étaient ceux qui étaient bien pilotés, à l’échelle du territoire. On généralise donc ce principe », a expliqué Roland Lescure.
Par ailleurs, 50 sites industriels « clés en main » devront être développés dans le cadre du projet France 2030 afin d’accueillir de nouveaux projets industriels. Contrairement à la première phase où les sites « clés en main » ne l’étaient pas vraiment tous, ils devront être « disponibles et adaptés pour recevoir rapidement une création d’usine ».
« Nous allons préparer des terrains dépollués, électrifiés, au clair sur les études d’impact environnemental et prêts à construire, de tailles variables, à disposition des porteurs de projets, dans chaque région », a précisé le ministre, qui prévoit de présenter la liste « à partir de décembre ». Pour trouver les terrains, il compte notamment s’appuyer sur les friches, mais aussi sur les « exemptions » du ZAN.
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Fonction publique territoriale
1 607 heures : la Cour des comptes attend toujours une « remise en ordre »
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La Cour des comptes vient de publier un « bilan d'étape » de la mise en oeuvre de la loi de transformation de la fonction publique. Elle pointe le « faible recours » à plusieurs dispositions prévues par ce texte et estime que l'harmonisation du temps de travail, dans la territoriale, n'est pas encore optimale.
La loi de transformation de la fonction publique a été promulguée le 6 août 2019. Un peu plus de trois ans après, la Cour des comptes a souhaité mesurer ses effets.
Contractuels
Premier constat : les employeurs « peinent à se saisir » des nouvelles possibilités qui leur sont offertes par la loi en matière de recrutement de contractuels. La loi de 2019 permet en effet le « primo-recrutement » de contractuels « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient », dans la fonction publique de l’État seulement. Les employeurs se sont peu emparés de cette possibilité, et il apparaît, jugent les magistrats financiers, que « le recours aux agents contractuels n’est pas la panacée à la faible attractivité de l’emploi public ».
Même constat sur la possibilité ouverte par la loi de recruter des emplois fonctionnels (emplois de direction) sous contrat : la loi a diminué le seuil autorisant cette pratique en le faisant passer de 80 000 à 40 000 habitants, sans que cela ait significativement fait décoller cette pratique. Entre autres, d'ailleurs du fait du manque d'appétence des salariés du secteur privé pour ces postes, vu le décrochage de salaire enrte privé et public.
Quant aux « contrats de projets » introduits par la LTFP, ils sont « très inégalement utilisés », remarque la Cour des comptes. Les contrats de projet, ou contrats de mission, « permettent aux employeurs publics de recruter des profils adaptés de toutes catégories (A, B et C) pour mener à bien un projet ou une opération spécifique s’inscrivant dans une durée limitée ». Dans la fonction publique territoriale, ces contrats de projet ont essentiellement été mobilisés pour le programme Petites villes de demain et le recrutement de conseillers numériques. La Cour des comptes note cependant que les pratiques sont « diffuses et disparates », et parfois hors des clous, avec par exemple « le recours à un seul contrat de projet pour l’accompagnement de trois projets distincts » ou encore « la conclusion de contrats de projet pour répondre davantage à la satisfaction d’un besoin permanent, ou à un accroissement d’activité, qu’à un besoin de réactivité et à l’utilisation de compétences utiles à la mise en œuvre d’un projet ».
1607 heures
Parmi d’autres sujets, la Cour se penche également sur la question du temps de travail dans la fonction publique territoriale, estimant que « la remise en ordre » est « toujours attendue ». On se rappelle en effet que la LTFP a mis fin à tous les régimes dérogatoires à la règle des 1607 heures dans la fonction publique territoriale (article 47). Une évolution qui a conduit à un certain nombre de conflits juridiques, certaines collectivités étant montées jusqu’au Conseil constitutionnel pour contester cette disposition – sans succès.
En avril dernier, selon la Cour des comptes, 83 % des collectivités du bloc communal « avaient défini par délibération les règles applicables en matière de temps de travail », dont « 91 % n’ont appelé aucun observation ».
Il reste qu’un certain nombre de communes sont extrêmement rétives à appliquer « de force » les 1607 heures – ou parce qu’elles refusent de revenir sur une forme d’acquis social, ou bien parce qu’elles estiment que des aménagements du temps de travail sont nécessaires à l’attractivité de la fonction publique territoriale, souvent peu attirante sur le plan salarial.
Certaines collectivités cherchent donc à utiliser divers moyens pour contourner la règle des 1607 heures, en profitant du fait que l’État n’a pas levé certaines « ambiguïtés », ce qui contrarie apparemment fortement la Cour des comptes. Celle-ci demande donc au gouvernement de « lever » ces ambigüités au plus vite. Les jours de fractionnement, par exemple, qui sont de droit dans certains cas, sont parfois « accordés collectivement et de manière systématique », ce qui permet, écrit la Cour, « de contourner le cadre légal des 1607 heures, sauf à supprimer deux jours de RTT ».
De même, la Cour reproche à l’État de ne pas avoir publié de décret « fixant les conditions d’octroi des ASA [autorisations spéciales d’absence] pour motifs liés à la parentalité ou à certains événements familiaux. En cette absence, malgré le rappel des règles applicables par la DGCL et les services de préfecture, certains employeurs publics locaux utilisent ainsi le levier des ASA pour abaisser en pratique la durée légale du travail ».
La Cour cite également un certain nombre de communes qualifiées « d’îlots persistants de résistance » – celles qui « refusent ostensiblement de modifier le temps de travail ou (…) contournent ouvertement la durée légale ».
En conclusion, la Cour des comptes appelle l’État à « la vigilance » : « La mise en œuvre globale et effective de l’harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale reste donc délicate à apprécier. Les différences de situation qui perdurent produisent en conséquence des inégalités de traitement des agents territoriaux assurant des missions équivalentes, nécessitant pour les services de l’État de dresser des bilans réguliers et de conserver une certaine vigilance dans le contrôle, pour limiter les risques de dérive ».
On peut cependant noter que ce rapport parait sévère avec les employeurs territoriaux, alors que la très grande majorité de ceux-ci cherchent à se mettre en conformité avec la loi. On ne peut pas en dire autant de la fonction publique de l’État, dont la Cour des comptes souligne que « les régimes dérogatoires n’ont pas été revus ». « En conséquence, la proportion d’agents de l’État travaillant moins de 1 607 heures demeure identique. Elle a même augmenté notamment pour tenir compte de nouvelles situations. »
Accéder au rapport de la Cour des comptes.
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Numérique
Intelligence artificielle : l'essor des jumeaux numériques en France
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Comment utiliser l'intelligence artificielle au service des territoires ? Depuis quelques années, des projets de jumeaux numériques se développent pour aider l'État et les collectivités à planifier la transition écologique. Des éclairages ont été apportés lors du Trip de l'Avicca.
De nombreux échanges autour de l’intelligence artificielle ont eu lieu jeudi lors du Trip (réunion annuelle) de l’Avicca. Il y a quelques semaines, les conclusions de la mission confiée à Valérie Nouvel sur les territoires connectés et durables ont été remises officiellement au ministre chargé du Numérique, Jean-Noël Barrot à l’occasion de l’Université du très haut débit à Bourges (lire Maire info du 18 octobre).
Le rapport pointe largement l’importance de développer des jumeaux numériques à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle locale. Rappelons que l'on appelle « jumeau numérique » la représentation virtuelle d'un produit, d'un processus, d'une personne ou d'un lieu physique, créé à partir de données collectées en temps réel et traitées par des algorithmes.
Le processus est déjà en marche. En effet, l’Institut géographique national (IGN) travaille sur la création d’un jumeau numérique à l’échelle nationale, en collaboration avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Des initiatives locales se développent aussi notamment à travers l’appel à projets « Territoires intelligents et durables (TID) ».
Concrètement, des problématiques liées à l’éclairage, l’eau, la prévention des risques, la performance énergétique, la gestion des déchets, peuvent se superposer sur un jumeau numérique d’un territoire donné « faisant de cet outil un support d’aide à la décision, d’allègement des procédures administratives, mais aussi de gestion prédictive », comme l’explique Valérie Nouvel dans son rapport.
Cinq ans pour construire le jumeau de la France
Le projet de jumeau numérique de la France est en train d’être conçu par l’IGN qui « se veut cartographe de l’anthropocène et produit des référentiels de données pour observer le territoire quasiment en continu », comme l’explique Raphaëlle Heno, pilote du programme Innovation à l’IGN.
Ce projet a pour ambition de construire en 5 ans le jumeau numérique de la France pour aider l’État et les collectivités à planifier la transition écologique. Concrètement, « on parle d’une réplique dynamique numérique en 3 dimensions (3D) du territoire et de services en ligne pour naviguer dans cette réplique et lancer des simulations. »
« Cette proposition de jumeau de la France ne va pas suffire pour relever la transition mais cette proposition d’un outil technologique organisationnel se veut fédérateur de données et de technologies pour être plus efficace collectivement », précise Raphaëlle Heno. Le principe est finalement de pouvoir « appréhender des dynamiques globales pour optimiser les ressources, les usages et dépasser le périmètre des métropoles afin de se donner les moyens d’analyser les phénomènes de façon décloisonnée ». Pour cette spécialiste du sujet, un jumeau national permettra aussi de « mieux comprendre les rétroactions des différents phénomènes envers les uns les autres ».
Un outil pour résoudre des problématiques concrètes
Ce jumeau numérique va bénéficier avant tout aux territoires et notamment en matière de prise de décision sur les projets liés à la transition écologique. Raphaëlle Heno prend l’exemple du déploiement des éoliennes terrestres qui font débat au sein des territoires. Le jumeau numérique peut aider à percevoir le potentiel d’une installation d’éolienne. En effet, cet outil d’intelligence artificielle pourra permettre de « disposer, selon les implantations proposées, des estimations de rendement ou encore du pourcentage d’artificialisation des sols ». Les potentiels impacts visuels ou sonores pourront aussi être représentés dans ce jumeau numérique.
Les élus pourront également s’appuyer sur cette réplique numérique pour faire de l’intermédiation dans des projets de méga-bassines – sujet ultrasensible dans certains territoires comme dans les Deux-Sèvres par exemple. Le jumeau permettra de « voir l’existant (ressource en eau, besoins tous usages) et de simuler le territoire avec et sans la mise en place de la bassine ».
Le jumeau numérique pourra aussi « aider les élus à répondre à des réglementations qui sont parfois des injonctions contradictoires comme le ZAN et à prendre des décisions plus rapides ou à éventuellement faire évoluer la réglementation par voie législative ».
Gestion de la donnée, diagnostic énergétique et propreté urbaine
L’appel à projets « Territoires intelligents et durables » est doublé d’un volet « Démonstrateurs d’IA frugale au service de la transition écologique dans les territoires » (DIAT) doté d’une enveloppe globale de 40 millions d’euros de France 2030. Bordeaux Métropole, GIP Vendée Numérique, la ville de Metz et la ville de Noisy-le-Grand sont les quatre premiers lauréats de cette première vague.
Cédric Seigneuret, directeur de l’association Géo Vendée, explique qu’en Vendée « on a tous de l’information sur le bâti mais c’est éparpillé. Nous avons besoin de les capitaliser pour aller plus loin et développer des cas d’usage ». Ce projet de mutualisation vise à produire « un cadastre solaire vendéen départemental mais aussi de l’utiliser pour identifier les ilots de chaleur, produire des simulations des périmètres d’inter-visibilité des éoliennes, etc ».
Pour Bordeaux Métropole et Noisy-le-Grand, les jumeaux numériques auront vocation à travailler sur les données des bâtiments pour définir des diagnostics énergétiques. « Nous avons décidé de développer un outil pour définir le gain énergétique dans un bâti après rénovation avec un logiciel qui va calculer les différentes rénovations possibles et donner de façon fiable le gain énergétique », raconte Christophe Trouillet, responsable aménagement numérique du territoire à la métropole. Pour Noisy-le-Grand, « le projet de jumeau numérique a pour but de réduire les consommations énergétiques et l’impact carbone des bâtiments publics, tout en optimisant les dépenses de rénovation ». « Nous n’allons pas mettre des capteurs sur tous les bâtiments mais plutôt essayé de créer des familles d’ouvrage », précise Johan Catouillard, DGA sécurité civile, patrimoine bâti, systèmes d’information et moyens matériels de la commune.
Plus original encore : le projet ViPARE de la ville de Metz qui propose de collecter les données pour analyser la propreté et la salubrité. « Le but est de coller au plus près des usages », explique Régis Gabriel, chef de service au pôle propreté urbaine de la ville de Metz. « L'objectif est de développer une application mobile intégrant une intelligence artificielle qui permettrait, sur la base de vidéos, de détecter et recenser plus rapidement et objectivement les déchets et salissures (tags, déjections canines) présents en ville, peut-on lire sur le site de la commune. Concrètement, les agents en charge de l'entretien des voiries, ou les citoyens directement, filmeront un certain nombre de rues, via l'application, de manière à obtenir une cartographie de l'état de propreté de la ville. Ces données seront analysées de manière à réduire la présence de déchets et à optimiser l'utilisation des moyens de nettoyage ».
La seconde vague de l’appel à projets en question se termine au 1er décembre prochain. « Ses participants sont invités à se réunir pour former des groupements et proposer des projets de démonstrateurs d'IA en conditions réelles ».
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Départements
Décentralisation : les départements en colère face à la menace de leur suppression
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Les départements, réunis en congrès à Strasbourg, se disent perplexes voire en colère face à la volonté d'Emmanuel Macron d'entamer un nouveau chapitre de la décentralisation pour simplifier le « millefeuille territorial », ce qui pourrait se traduire par la suppression de l'échelon départemental.
Le président de la République a concrétisé dimanche sa volonté de simplifier l’organisation territoriale du pays en mandatant le député Eric Woerth pour que l’action publique « gagne en efficacité » afin que les Français « puissent bénéficier de services publics à la hauteur de leurs besoins ».
Dans sa lettre de mission, il estime que l’organisation territoriale, « fruit de notre histoire », est devenue « trop complexe », que les Français « ne s’y retrouvent plus » et souhaite une réduction du « nombre de strates décentralisées, aujourd’hui trop nombreuses ». Des mots qui ont choqué les élus des départements, qui se sont sentis visés.
Issus de la Révolution française, essentiellement dotés de compétences sociales, les départements sont régulièrement menacés de disparition. En 2010 déjà, une loi prévoyait de remplacer les conseillers généraux et régionaux par des conseillers « territoriaux », une disposition finalement abandonnée avant d’être reprise aujourd’hui par Emmanuel Macron, tandis que Manuel Valls avait proposé en 2014 de rayer de la carte les conseils départementaux.
« Si on veut renforcer la République, c’est en s’appuyant sur le socle des communes et des départements. Quand je vois se rouvrir un débat sur la décentralisation en se posant la question du nombre de strates, je pense qu’on va droit dans le mur », a réagi jeudi François Sauvadet (UDI), président de Départements de France (DF).
Quarante ans après les grandes lois de décentralisation, les départements estiment que le sens originel de la décentralisation, à savoir plus de pouvoir politique donné aux collectivités, s’est perdu en route. « Alors que nous étions au départ dans une démarche ascendante de responsabilisation des collectivités, nous sommes devenus des agences d’exécution avec une somme de contrôles et un étranglement financier », fustige Jean-Léonce Dupont, président centriste du conseil départemental du Calvados, « très en colère » contre la « technocratie d’État ».
« Tarte à la crème »
« Après un nombre délirant de réformes institutionnelles depuis 2010, avec la création des métropoles puis des régions, cantons et intercommunalités XXL, les élus souhaitent aujourd’hui une pause », relève Arnaud Duranthon, maître de conférences à l’Université de Strasbourg et auteur d’une étude sur la décentralisation.
Le nouvel appel à supprimer une strate de collectivités se situe selon lui dans une approche « très technicienne » et « très instrumentale » du territoire, avec pour objectif principal « d’encourager la croissance économique » face à la globalisation des échanges.
Cette tendance, qui renforce le pouvoir des régions et des intercommunalités au détriment des communes et des départements, peut selon lui s’avérer « nocive » si elle « écrase les autres objectifs de politique publique ».
Les dernières réformes territoriales ont fait du département « la variable d’ajustement de la décentralisation en l’affaiblissant par la réduction de ses compétences, par la diminution de ses potentialités fiscales et en organisant sa concurrence par les métropoles et les régions », abonde Nelly Ferreira, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise.
Interrogés, les élus ne sont pourtant pas inquiets outre mesure. « Soit c’est une provocation, soit c’est un énième coup d’épée dans l’eau avec cette tarte à la crème du nombre des strates qui réapparaît », juge Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui ne voit d’ailleurs pas quelle majorité politique le président pourrait trouver au parlement.
« Quand le président est allé quémander le soutien des maires pour se sortir de la révolte des " gilets jaunes " ou que les préfets sont allés taper à la porte des départements pour les aider à lutter contre le Covid, on ne parlait pas du niveau des strates », ironise-t-il, jugeant plus essentiel de s’attaquer à l’enjeu de l’adaptation des politiques publiques au vieillissement de la population.
Pour Antoine Duranthon, il manque par ailleurs un « cap » à ce nouvel acte de décentralisation. « On nous a annoncé une réforme de la décentralisation, un chamboulement pouvant aller jusqu’à la suppression d’un échelon, mais aucune idée de la décentralisation idéale n’a été définie en amont », souligne-t-il.
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Journal Officiel du vendredi 10 novembre 2023
Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
Ministère de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique
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