Édition du vendredi 19 novembre 2021

Congrès des Maires de France
Devant le congrès des maires de France, Emmanuel Macron assume son bilan et ne lâche rien
Le président de la République a clôturé hier le 103e congrès des maires par un discours dans lequel il n'a, au fond, rien cédé aux demandes de l'AMF.

Tout avait pourtant bien commencé : pendant les premières minutes de son discours, le chef de l’État a exprimé sa « gratitude » aux maires pour leur attitude pendant la crise épidémique. « Il a fallu prendre des décisions rapides. Vous étiez là, aux côtés de l’État. À chaque étape vous avez été là, je vous en remercie, et ce ne sont pas des mots : notre capacité à tenir, ce fut la vôtre, avec vos élus et vos agents, qui ont joué un rôle irremplaçable aux avant-postes de cette bataille. Je vous dis la reconnaissance de la nation ».

Mais après ces mots aimables, le chef de l’État est resté particulièrement ferme sur ses positions, et n’a pas souhaité répondre favorablement y compris aux demandes les plus immédiates exprimées dans la résolution finale du congrès et dans le discours de David Lisnard. 

Plaidoyer pro domo

Le fond de son discours a consisté à dire que tout ce qui a été fait pendant le quinquennat était annoncé, et à l’assumer : « J’ai modestement tâché de faire ce que j’avais dit. » Le candidat Macron avait promis qu’il n’y aurait pas de nouveau « big bang » territorial, il n’y en a pas eu ; il s’était engagé à supprimer la taxe d’habitation, il l’a fait. Reconnaissant simplement qu’il ait pu y avoir « des malentendus au début », et avoir « beaucoup appris des maires » pendant la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a livré un plaidoyer pro domo en faveur de son action : programmes Action cœur de villes et Petites villes de demain, Agenda rural, fin des fermetures d’école sans l’accord du maire, relance de la construction ou de la rénovation des hôpitaux, fin du numerus clausus, « compensation à l’euro près » de la fin de la taxe d’habitation, le chef de l’État a égrené les mesures prises et fait mine de ne pas comprendre les craintes et les attentes des maires.

 Il a même ironisé sur les propos qu’André Laignel venait de tenir à la même tribune, faisant mine de louer « son esprit de mesure, sa justesse et son sens du détail », pour expliquer dans la foulée que toutes les revendications portées par la résolution finale n’avaient pas lieu d’être. Il s’est étonné de la défense par l’AMF de la taxe d’habitation, « un impôt formidable » puisque « l’État en était le premier contribuable », et a jugé « hypocrite » la position de l’AMF qui estime que cet impôt constitue un lien entre le contribuable et l’exécutif local. Emmanuel Macron, comme les années précédentes, s’est montré intraitable sur la question fiscale, préférant l’affectation aux collectivités de parts de la fiscalité nationale plutôt qu’une autonomie fiscale à laquelle il n’a jamais caché ne pas croire – estimant même que celle-ci est injuste puisqu’elle « creuse les inégalités entre les territoires ».

Le chef de l’État a y compris défendu mordicus les contrats de Cahors, auxquels son gouvernement lui-même a pourtant officiellement renoncé. 

« L’État c’est un tout »

Sur la décentralisation, le président de la République a eu – comme cela avait du reste été le cas lors de ses précédentes interventions devant les congrès des années précédentes – un discours assez jacobin, conforme au contenu de la loi 3DS telle qu’elle a été rédigée par son gouvernement : il faut plus de différenciation, plus de déconcentration, plutôt qu’une véritable décentralisation. Il a eu des mots très fermes sur ceux qui joueraient « les élus contre l’État », jugeant ce débat « mortifère » : « L’État, c’est un tout. Le gouvernement, le Parlement, les élus locaux – l’État, c’est tout cela. » Puis il a réitéré les propos qu’il avait tenus en 2018 sur sa vision de la décentralisation. « Nous avons trop souvent confondu la décentralisation avec les transferts de compétences. La décentralisation, cela suppose un véritable transfert de responsabilités », et ce n’est clairement pas ce que souhaite le chef de l’État. Ainsi, pour lui, la politique sociale a bien été transférée aux départements, mais il n’y a pas « 100 règles différentes » dans les 100 départements en matière sociale. « Personne ne veut que les règles soient différentes pour le handicap ou l’aide sociale à l’enfance. » 

C’est donc bien la différenciation de certaines politiques (« adapter nos politiques à la pluralité des territoires ») qui a la faveur du chef de l’État, plutôt que les transferts de « compétences du quotidien » souhaitées par l’AMF.

Sur deux sujets néanmoins, le chef de l’État a souhaité « aller vers une décentralisation bien plus massive » : le logement et la transition écologique. « Nous devons fixer des stratégies, des objectifs. Mais ce n’est pas la loi qui doit tout prévoir. » Cette « décentralisation plus massive » signifie pour lui que « les objectifs doivent rester nationaux et la traduction des politiques doit revenir à l’échelle de la commune, de la métropole, du territoire de vie de nos compatriotes ». Sans en dire plus sur la traduction concrète de cette intention. 

Bilan assumé

Le président de la République n’a cessé pendant son discours de répéter qu’il « souscrivait » aux propos de David Lisnard et André Laignel, tout en expliquant qu’ils étaient « dépassés ». Sur les transports, la sécurité, l’aménagement numérique du territoire, la politique de la ville, et même le logement, il a défendu le bilan et l’action de son gouvernement sans jamais reconnaître que les reproches exprimés par l’AMF puissent être fondés. S’il a reconnu que sur certains sujets, il fallait aller « plus loin et plus fort », par exemple sur la construction de logements ou le « décloisonnement entre la médecine de ville et l’hôpital », il a assumé l’entièreté du bilan de ces bientôt cinq années d’action à la tête de l’État. 

Quant aux revendications très concrètes et « immédiates » de l’AMF, exprimées juste avant par David Lisnard, le chef de l’État n’y a pas cédé, ou du moins pas clairement. Sur le droit d’opposition des maires à l’installation d’un champ d’éoliennes, c’est non. Emmanuel Macron a repris la position qui est celle de la majorité à l’Assemblée nationale : « l’avis » du maire sera bien demandé, mais son accord ne sera pas indispensable pour valider un projet. « Les documents lui seront soumis, il pourra poser des questions et donner son avis. »

Sur l’échéance du 22 février en matière de ZAN, enfin, délai que l’AMF demande de repousser, la réponse a été ambiguë… mais le chef de l’État n’a pas clairement affirmé que cette revendication serait exaucée, indiquant simplement « qu’aucun couperet » ne tomberait sur les maires. 

Emmanuel Macron a conclu son discours en saluant « l’engagement de cœur et d’âme » des maires et leur attachement à leur territoire. « Ne laissons rien entamer cet attachement », a conclu le chef de l’État, résumant la mission des décideurs politiques – qu’ils soient locaux ou nationaux – à « toujours expliquer à nos compatriotes les raisons que nous avons de vivre ensemble. Ces raisons-là sont plus fortes que tout. »




Congrès des Maires de France
David Lisnard demande à l'État de faire confiance aux collectivités
Nouvellement élu à la présidence de l'AMF, le maire de Cannes, David Lisnard, a appelé l'État, hier, lors de son discours de clôture, à « renoncer à la prétention d'être tout ».

« C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales mettent la liberté à portée du peuple ». C’est sur cette citation d’Alexis de Tocqueville que David Lisnard a ouvert son premier grand discours devant l’assemblée générale de l’AMF, déclarant vouloir placer la clôture du 103e congrès sous le signe « de la liberté et de la responsabilité ».

« Heureusement que nous étions là »

Après un nouvel hommage appuyé à François Baroin, dont il a salué « la pugnacité, le panache et l’élégance », et qu’il a nommé, « par acclamations », président d’honneur de l’AMF, David Lisnard est revenu sur la crise épidémique, avec une formule lapidaire : « Heureusement que nous étions là ! ». Saluant y compris les élus qui sont restés « fidèles au poste » plus longtemps que prévu, après le décalage du second tour des municipales au printemps 2020, le maire de Cannes a relevé que les maires, face à l’épidémie, sont allés « bien au-delà de leurs champs de compétence habituels ». Sans nier « la responsabilité écrasante » qui a été celle de l’État et la difficulté des mesures qu’il a dû prendre, David Lisnard a relevé que « seul le concours des collectivités territoriales a permis la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures ». Il a toutefois souligné les failles de la communication de l’État, « parfois même au détriment de l’État déconcentré lui-même » : « Combien de préfets, voire de ministres, ont découvert les mesures en même temps que nous ? »

Enjeux de santé publique

Le président de l’AMF a longuement insisté sur « l’urgence d’ouvrir un grand débat sur les grands enjeux de santé publique », à commencer par la gouvernance de celle-ci : sans mâcher ses mots, il a déclaré que « les maires ne doivent plus être potiches dans les conseils de surveillance des hôpitaux mais à nouveau présidents des conseils d’administration ». Dénonçant « l’inégalité profonde entre les habitants selon l’endroit où ils résident », en matière de santé, David Lisnard a appelé à ne pas se résigner à cette « tendance ». Il a proposé que le débat soit lancé avec « pragmatisme » et en application du principe de subsidiarité, en allant jusqu’à « poser la question », là où l’offre est insuffisante, de permettre aux collectivités de salarier elles-mêmes des médecins. 

Simplification et allégement

Comme cela a été dit dans la résolution finale, David Lisnard a affirmé que « la décentralisation recule ». « Nous sommes au bout du rafistolage », a asséné le maire de Cannes, constatant que « l’État n’est plus capable d’assurer un certain nombre de missions auprès de la population ». Il s’est livré à un éloge de la « proximité » : « Une certaine imprécation administrative consiste à penser systématiquement que plus c’est grand plus c’est efficace. C’est une vision dogmatique. Ce que démontre l’action quotidienne des maires, c’est que la proximité crée la responsabilité, et que la responsabilité crée l’efficacité. »
C’est la raison pour laquelle l’AMF appelle à « un nouveau souffle décentralisateur », c’est-à-dire « achever le transfert de responsabilité des politiques publiques du quotidien vers les collectivités territoriales ». « Pas par défiance vis-à-vis de l’État », mais « parce que la demande de libertés locales n’a jamais été aussi forte. L’État ne pourra pas retisser seul le lien de confiance qui a été abîmé durablement. » 
Le président de l’AMF a fait la liste de tous les sujets sur lesquels ces transferts de compétence pourraient s’opérer, en particulier la santé, le logement, le sport et la culture. Il a appelé à un effort de « simplification et d’allègement » des normes, au renoncement au recours systématique par l’État aux appels à projets dont la complexité juridique et administrative « élimine de facto la grande majorité des collectivités ». 

Revendications immédiates

Alors que beaucoup des mesures réclamées par l’AMF – et par Territoires unis – nécessitent une nouvelle loi, ce qui prendra nécessairement du temps et ne peut s’envisager que lors de la prochaine mandature, certaines autres mesures « pourraient être prises tout de suite, avant la fin du quinquennat ». Il en a énuméré quelques-unes, à commencer par les délais « intenables » imposés par la loi Climat et résilience sur le « ZAN » (zéro artificialisation nette). Le délai du 22 février risque de placer les élus « dans une impasse opérationnelle ». L’AMF demande donc son report. 
Autre demande pressante : le rétablissement de l’avis conforme du maire sur l’implantation des éoliennes. David Lisnard a provoqué les applaudissements de l’assemblée en notant que les ABF pouvaient « refuser le changement d’une fenêtre » sur un bâtiment, et qu’un même temps il sera imposé aux maires l’implantation d’un champ d’éoliennes. 
À plus long terme, le nouveau président de l’AMF a demandé « une profonde réforme de la fiscalité locale, un pacte financier et fiscal qui pourrait prendre la forme d’une loi de programmation », pour mettre fin « au dépouillement progressif des marges de manœuvre fiscales » des collectivités locales. 
À l’adresse du prochain président de la République, David Lisnard a voulu adresser « une sorte de feuille de route » appuyée sur ces principes de « subsidiarité, de responsabilité et de liberté ». L’AMF sera, quoi qu’il en soit, a-t-il conclu, « un partenaire loyal de l’État, exigeant et loyal car libre, parce que la loyauté n’existe que dans la liberté et non pas dans la vassalité. C’est la condition des relations de confiance que nous aspirons à établir ». Et de conclure : « Il suffirait que l’État renonce à la prétention d’être tout pour que, très vite, il cesse d’être seul. »




Congrès des Maires de France
Résolution finale du 103e congrès : l'AMF appelle à « un pacte républicain » avec l'État
Votée à l'unanimité par le bureau nouvellement élu ce 18 novembre, la résolution de l'assemblée générale du 103e congrès de l'AMF a mis l'accent sur la nécessaire évolution vers davantage de transferts de compétences aux collectivités.

La première réunion du nouveau bureau de l’AMF, élu la veille, a permis d’aboutir à une résolution générale votée à l’unanimité, ce dont s’est réjoui André Laignel, reconduit dans ses fonctions de premier vice-président délégué de l’association. Cette unanimité, qui a supposé de « pousser le dialogue », est pour lui un motif de « fierté », parce qu’elle illustre « la vitalité démocratique de l’association ».  
André Laignel a insisté, en présentant la résolution lors de la séance de clôture du 103e congrès, sur la nécessité vitale de « faire entendre la voix de l’AMF » lors des prochains mois, « décisifs », c’est-à-dire pendant la campagne présidentielle. Revendiquant volontiers le caractère « indocile » de l’association, il a rappelé que « sa seule ambition est de porter la voix des 34 970 maires de France ». Et cette année encore, « nous avons tant à dire », a martelé le maire d’Issoudun.

« La décentralisation recule »

André Laignel a égrené les multiples sujets sur lesquels l’association a tiré le signal d’alarme depuis longtemps : la santé, le logement, l’école, la transition écologique, les compensations « très insuffisantes » des pertes subies par les collectivités pendant la crise sanitaire via « le soi-disant filet de sécurité », le « sabordage du plan Borloo » sur les banlieues, la sécurité (domaine dans lequel « on assiste à un transfert de compétence sans transfert de moyens »). 
Toutes ces questions se résument à une seule, selon la résolution adoptée par l’association : « La décentralisation recule. » « Nos budgets deviennent des budgets annexes de celui de l’État », a répété André Laignel, la décentralisation est « moribonde » et l’État « a rayé le mot ‘’confiance’’ de son dictionnaire »

Grande loi de libertés locales

Une nouvelle étape de décentralisation s’impose donc pour l’AMF, qui « appelle de ses vœux une grande loi sur les libertés locales ».
Cette loi devra « donner sens à l’organisation décentralisée de la République » en « consacrant la commune comme cellule de base de la démocratie, comme clé de voûte de nos institutions républicaines (…) et en inscrivant la clause de compétence générale dans la Constitution »
Il s’agit de « remettre le maire au cœur des grandes décisions d’aménagement de son territoire, qu’il s’agisse du logement ou, par exemple, d’implantations d’éoliennes. La compétence en matière de PLU doit être réaffirmée comme une compétence communale par définition et intercommunale par exception », a poursuivi André Laignel sous les vifs applaudissements du grand auditorium. 
L’AMF appelle à « la fin des tutelles juridiques » en demandant la suppression du déféré préfectoral et en dénonçant la « dangereuse épée de Damoclès » pénale qui pèse sur les élus avec les textes sur le conflit d’intérêt et la prise illégale d’intérêt. 

Remettre à plat la fiscalité locale 

Cette nouvelle étape de la décentralisation devra bien évidemment « garantir l’autonomie financière et fiscale ». « C’est une question existentielle pour nous, car sans elle, nous sommes condamnés à être de simples sous-traitants de l’État ». L’AMF considère aujourd’hui que le principe d'autonomie financière, pourtant énoncé par la Constitution, n’est plus qu’un « principe bafoué ». Cela suppose de remettre à plat la fiscalité locale, « totalement illisible pour les citoyens, injuste à bien des égards et souvent inefficace ». L’AMF fait la proposition de dédier une fiscalité à chaque strate de collectivité – proposition qui était au cœur de la campagne de David Lisnard pour la présidence de l’association.
Cette nouvelle étape suppose également de « sanctuariser » les dotations, de les « indexer », mais aussi de les laisser « libres de toute affectation ». Contrairement à la DETR et à la DSIL aujourd’hui, dont le fléchage est à la main des préfets. Et pour que les choses soient claires, l’association souhaite qu’une loi de finances annuelle spécifique retrace l’ensemble des relations financières et fiscales avec l’État. « C’est la condition première d’une discussion sereine et transparente sur les ressources de nos collectivités. » 

Transfert des compétences

Le troisième grand principe qui devrait sanctuariser cette loi est, pour l’AMF, l’application de la subsidiarité, dont André Laignel a rappelé qu’il s’agit d’un principe constitutionnel. « Il nous faut ouvrir le chantier de nouveaux transferts de compétences aux communes pour que la proximité du service public devienne une règle d’or. » Autrement dit, les maires souhaitent pouvoir intervenir dans le domaine de la santé (gouvernance des hôpitaux, vaccination, lutte contre les déserts médicaux) et ont besoin pour cela d’un fondement juridique : « Le temps est venu de tirer les leçons de la crise et de donner aux maires une compétence claire sur la santé. » Le principe de subsidiarité devrait aussi pouvoir prendre corps dans les domaines du sport et de la culture, qui sont des « politiques publiques portées et financées quasi intégralement par les collectivités, et en particulier les communes », souligne la résolution. L’AMF souhaite aussi que soit enfin réglée la question de la compétence eau et assainissement, ironisant sur le fait que « les nappes phréatiques ont le mauvais goût de ne pas suivre la carte des périmètres administratifs des intercommunalités ».
 
Enfin l’AMF entend « tendre la main » et voir l’État « dépasser un climat stérile de défiance » à l’égard des maires de France. « Dialogue, négociation, confiance », c’est ce qu’elle espère du prochain mandat présidentiel. L’AMF présentera ses propositions aux candidats à l’élection présidentielle et souhaite acter un « Pacte républicain » avec eux « pour que la démocratie reprenne des couleurs, que la justice des territoires soit une grande cause de la nation tout entière ». « Ayons l’audace d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté », conclut l’association. 
 




Congrès des Maires de France
Finances locales : face aux situations « ubuesques », les maires réclament une « remise à plat » du système
Les élus ont fait part de leur impuissance devant la complexité du système et disent craindre « la disparition des communes » à cause des contraintes financières. « On est au bout du système », a abondé le député de la majorité Jean-René Cazeneuve.

Alors que la question des conséquences de la crise sur les budgets locaux continue d’être un sujet de désaccord entre l’exécutif et les maires, ces derniers ont fait part, hier matin, à l’occasion traditionnel débat sur les finances locales, de leur incompréhension et de leur exaspération devant les situations parfois « ubuesques » et les difficultés entraînées par le système de financement du bloc communal.

Effet de seuil et grandes conséquences

Effet de seuil, effet de critères, évolution démographique dérisoire, fluctuation négligeable du potentiel fiscal… Plusieurs élus ont manisfesté leur désarroi face à des évolutions souvent insignifiantes de la situation de leurs communes, mais qui entraînent pourtant de lourdes conséquences financières.

Une illustration parfaite avec ce maire des environs du Mans, élu d’une « commune pauvre, une commune de misère », au budget de fonctionnement de 230 000 euros. D’un côté, il a perdu la totalité de la dotation nationale de péréquation, soit 15 000 euros. « Tout simplement parce que depuis la loi Notre, il y a eu une course à l’augmentation des impôts et en augmentant très légèrement nos impôts locaux, on est sorti des 85 % d’effort fiscal… »

De l’autre, il ne bénéficie plus de la DSR cible, soit un manque à gagner de 25 000 euros « d’un seul coup ». « Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce que ma trajectoire démographique est passée de 503… à 499 habitants. Et à 499, on mesure votre pauvreté par rapport à l’ensemble des pauvres de moins de 500 habitants, et non plus à celle des communes de plus de 500 habitants. Donc, je ne suis plus pauvre, je suis riche ! », a-t-il ironisé.

Il a ainsi perdu 40 000 euros en quatre ans et se retrouvera en 2022 avec les « mêmes dotations qu’en 1997, au centime près ».

Un autre édile d’une « petite cité de caractère de l’Anjou » de 400 âmes se retrouve dans une situation similaire avec, outre une DSR cible en courant alternatif selon les années, une baisse de sa DSR, de son « fonds de compensation de la taxe professionnelle » ou encore de ses droits de mutation : « Résultat, en trois ans, c’est 30 000 euros en moins sur un budget de 350 000 euros ». « Avant, on pouvait encore emprunter et investir, ce n’est plus le cas dorénavant », a-t-il regretté, conjurant le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, de « cesser de prendre les maires pour des variables d’ajustement ».

Des difficultés qui ne « datent pas d’un an ou deux ans, mais de la création des dotations », a justifié l’ancien maire d’Annonay, reconnaissant qu’il y a toujours « mille effets de seuil possibles » qui ne sont pas atténués malgré la mise en place de mesures correctrices. Concernant le potentiel fiscal, il a également confessé que le principal problème n’a pas été résolu : « Réformer la manière de le calculer ».

Compensation de TH : des transferts vers des départements riches

Le maire de La Salvetat-Belmontet (840 habitants, Tarn-et-Garonne) a également soulevé un problème consécutif à la réforme de la taxe d’habitation. Dans son département qui n’est « pas très riche, sinon cela se saurait », il a ainsi pu observer une incongruité : « Comme les taxes n’y étaient pas très élevées initialement, nous avons 25 millions d’euros qui sortent du département et sont répartis vers d’autres… parfois plus riches ». 

Une « solidarité à l’envers » - que l’on retrouve sur tout le territoire - dénoncée cette semaine par la députée du Puy-de-Dôme, Christine Pires Beaune, lors des questions au gouvernement et à l’occasion de sa visite au congrès des maires, et qu’elle qualifie de « hold-up à bas bruit ».

Plus généralement, la maire de Youx (915 habitants, Puy-de-Dôme), Pierrette Daffix-Ray, a fait part de sa crainte de voir « la disparition des communes » par la voie financière. La contrainte financière, « c’est une façon de tuer, si vous ne pouvez plus financer vos écoles, vos routes, vous faites quoi ? A un certain moment, nos collègues vont lâcher, je le sens. On ne peut plus rien faire. On veut bien être à portée d’engueulades, mais ça ne suffit pas, on voudrait avoir quelques moyens ».

« On essaie d’être créatifs, on essaie d’être inventifs, mais au bout de 13 ans, personnellement, je n’ai plus d’idées, je ne sais plus comment résoudre le problème », a abondé Pauline Martin (Meung-sur-Loire, 6 500 habitants), assurant être « prise à la gorge » financièrement. « On se sent comme des sous-citoyens, on n’a plus du tout de capacité d’autofinancement, c’est une injustice totale, une iniquité », a fustigé de son côté le maire de Cernusson (350 habitants), Guy Dailleux.

Revoir le mode de calcul des dotations « de fond en comble »

« On est au bout du système », a confirmé le député de la majorité Jean-René Cazeneuve (Gers). Pointant « des cas plus ubuesques les uns que les autres », il a reconnu le « manque de lisibilité » et défendu le serpent de mer qu’est la réforme de la DGF. « Personnellement, je suis incapable d’expliquer pourquoi il y a telle ou telle variation […] Tout cela est totalement incompréhensible ! », a-t-il fulminé, assurant que cela doit être un enjeu de la prochaine campagne présidentielle alors que le chef de l’Etat avait promis de s’emparer du sujet en 2018.

A ses yeux, il faut donc « revoir de fond en comble la manière dont les dotations sont calculées », qualifiant au passage le fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR) de « bombe à retardement ». 

Toutefois, pas question d’intégrer la Dsil dans la DGF, a tempéré Olivier Dussopt (« ce n’est clairement pas à l’ordre du jour »), en réponse à la proposition d’Antoine Homé, coprésident la commission finances de l'AMF, au regard du taux d’exécution de cette dotation qui n’a atteint que « 10 % en 2019, 15 % en 2020 ». 

Pour Philippe Laurent, qui copréside aussi la commission finances de l'AMF, il faut « une remise à plat de l’ensemble du système », aussi bien « les dotations » que les « ressources fiscales » car aujourd'hui « on se contente de mettre des rustines sur des systèmes qui ne sont plus adaptés ». « Faut-il remettre en place des impôts locaux stricto sensu ou aboutir à un partage, non pas du produit de l’impôt, mais des bases de l’impôt national ? », s’est-il interrogé. De sorte qu’un certain nombre de collectivités puisse voter des taux additionnels. Et le maire de Sceaux de rappeler que « c’est un sujet éminemment politique. Celui qui lève l’impôt a le pouvoir politique. Il faut que l'on ait la responsabilité de lever l'impôt d’une manière ou d’une autre. Il y a un lien étroit entre le rôle institutionnel que nous jouons et notre capacité à lever l'impôt ; sinon nous devenons des sous-traitants et nos budgets deviennent des budgets annexes de l'Etat ».

Autonomie fiscale et « prise de risque »

Sur la question de l’autonomie fiscale, si Jean-René Cazeneuve s’est dit « favorable » à un pouvoir de taux attribué au bloc communal, Olivier Dussopt a rappelé que « cela peut impliquer une prise de risque » : « Soit on est dans un système qui peut être considéré comme centralisateur et jacobin, mais avec une forme de protection, soit on est dans le cas de l’autonomie fiscale totale, comme les provinces espagnoles, et dans ce cas il n’y a pas de filet de protection de l’Etat quand il y a un retournement de cycle économique ». Un discours repris quelques heures plus tard par le chef de l’Etat lors de son discours devant les maires. 




Congrès des Maires de France
Inégalités d'accès à l'éducation : les maires remontent le sujet en haut de la pile des priorités
« Si on veut faire passer des messages, c'est maintenant ! ». L'allusion aux rendez-vous électoraux à venir (présidentielle et législatives en 2022) est claire. L'invitation de Frédéric Leturque, maire d'Arras (62), à ses collègues ne leur a pas échappé. Ils ont été nombreux, mercredi, à venir poser quelques jalons lors du forum consacré aux moyens de lutter contre les inégalités d'accès des enfants à l'éducation.

Le sujet n’est pas mince. Comme l’a rappelé le sociologue Choukri Ben Ayed, « l’école française n’est pas mauvaise » mais elle fait partie de celles où « les écarts sociaux sont les plus élevés entre les plus riches et les plus pauvres ». Le système est donc « plutôt performant pour l’élite mais pas pour les élèves en grande difficulté ».

Agenda rural

Lutter contre les inégalités d’accès des enfants à l’éducation en milieu rural, cela passe par « rendre l’école rurale plus attractive ». Christian Montin, président de l’Association des maires du Cantal, croit pour cela dans les « conventions ruralité », signées entre l’État et des associations départementales des maires. « C’est un dispositif dérogatoire qui nous permet de réfléchir à ce que nous voulons comme école de qualité, et demander au ministère de nous donner les moyens pour cela ». Les acteurs locaux doivent davantage, selon lui, se saisir du potentiel offert par ce dispositif, l’école rurale ne devant pas se résumer à des ratios numériques.
L’école est « le sujet qui doit être un point déterminant de l’agenda rural », insiste Frédérique Leturque. Dans l'assistance, plusieurs élus d’outre-mer ont également rappelé la nécessité de mieux prendre en considération leurs difficultés liées à l’éloignement géographique et aux moyens dédiés à leurs écoles, par exemple pour financer les outils numériques.

Carte scolaire 

« Chaque année on repasse sur la table de jeu. L’Education nationale raisonne parfois de manière comptable mais il faut qu’elle investisse sur le contribuable de demain aussi ! ». C’est le sujet de la carte scolaire. Les maires demandent à ce que leurs investissements dans de nouvelles classes, équipements, écoles, ne soient « pas remis en question du jour au lendemain sous prétexte d’un petit effritement des effectifs », et soient sécurisés. Carte scolaire et sectorisation scolaire, voilà bien « deux thématiques récurrentes », relève Delphine Labails, maire de Périgueux (24).

Cités éducatives et territoires ruraux éducatifs

Les territoires éducatifs ruraux, font partie des expérimentations lancées en 2021. Présentés comme le pendant des cités éducatives qui sont elles expérimentées dans les quartiers prioritaires de la ville depuis quelques années. L’enjeu, dans les deux cas, est de « fédérer la communauté éducative » et de « sortir de nos silos respectifs », résume Marc Andreu-Sabater, maire de Vire Normandie (14). Pour Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes (78), l’une des premières communes à lancer sa cité éducative en 2018, « cela change tout quand on créé cette éducation de la confiance, apaisée, où l’enfant comprend que tous les acteurs sont là pour sa réussite et non pas pour lutter contre son échec ». Elle revendique ainsi qu’ « aucun enfant » de Chanteloup n’ait été « perdu pendant le premier confinement ». ». L’enjeu est d’accompagner l’enfant vers sa réussite plutôt que de lutter contre son échec.

« Tous ces dispositifs n’ont de sens que s’ils inscrivent dans durée », c’est le message des maires au gouvernement. Outre la stabilité des dispositifs, Frédéric Leturque considère que le maire doit jouer un rôle prépondérant sur son territoire, en tant que chef d’orchestre.

La solution, c’est aussi la mixité « dès l’âge de la maternelle »; interpelle une élue rurale lors des temps d’échange. Une intervention saluée d’applaudissements.

Restauration scolaire, activités périscolaires

Les maires disposent aussi de compétences qui sont autant de « leviers » auxquels ils croient pour « favoriser le développement de l’enfant ». Et « qui font que chacun peut apporter sa touche à cette politique publique », souligne Delphine Labails. À Poitiers (86), la municipalité mise sur les vacances, « un temps éducatif à part entière », défend la maire Léonore Moncond’huy. La ville a lancé un « plan vacances pour tous ». Et elle prépare pour février 2022, avec l’AMF, la première rencontre nationale de l’éducation populaire au regard de la pénurie des animateurs qui a été renforcée par la crise sanitaire.

Autre exemple avec la cantine. « Au travers de l’alimentation on questionne les rythmes, on redonne du temps à l’enfant, de ce temps de recréation essentiel pour se reposer avant de reprendre les apprentissages », assure Delphine Labails. Les enjeux sont autant de faire que ce soit un temps calme, de qualité et accessible à tous… À ce sujet, la Défenseure des droits Claire Hédon, a joué son rôle en rappelant aux maires que « dès lors que la cantine existe, elle doit être accessible aux enfants ». Une élue de Guyane a, elle, rappelé à ses collègues, que dans ce département français « tous les enfants ne vont pas à l’école ». Quant à la cantine… « Vous nous faites rêver ! Vos difficultés sont notre paradis ». 
 
 







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