Édition du vendredi 9 avril 2021

Catastrophes
Gel : une catastrophe agricole sans précédent ?
L'épisode exceptionnel de gel qui a frappé une partie du pays ces dernières 48 heures a littéralement détruit une partie importante des cultures dans de nombreux départements. Vigne, arboriculture, grande culture : ce sont des milliers d'agriculteurs qui ont perdu jusqu'à 100 % de leur récolte en quelques heures. 

Les crises succèdent aux crises, les catastrophes aux catastrophes. Après une année d’épidémie dont les conséquences humaines, économiques, sociales et démographiques sont incalculables, voilà qu’une poussée de gel en plein mois d’avril a jeté à bas, en quelques heures, des secteurs entiers de l’agriculture du pays. 

Gelée noire

Cela s’appelle une « gelée noire », ou, en termes plus scientifiques, une « gelée par convection ». Contrairement à la gelée blanche, lors de laquelle la rosée gèle, au petit matin, la gelée noire se produit lorsqu’une masse d’air froid, très sec, se répand, occasionnant une baisse de température de plusieurs degrés en quelques minutes et en pleine nuit. Lorsqu’elle arrive au printemps, alors que les bourgeons sont déjà formés, l’eau qui compose ceux-ci à 90 % gèle presque instantanément et détruit irrémédiablement le bourgeon. 
C’est ce qui s’est passé notamment dans la nuit de mercredi à jeudi sur toute une partie du pays. Comble de malchance, ce brutal coup de froid succède à une période de chaleur exceptionnelle à cette saison, qui a accélérée la sortie des bourgeons. 
Dans de nombreux départements, le froid a atteint des niveaux jamais vus en avril depuis qu’existent les relevés, c’est-à-dire parfois depuis un siècle. À Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence, le thermomètre est descendu à – 11,4 ° C ! Dans d’autres régions, le froid a été moins intense mais même une température de – 4 ° C suffit à « griller » les récoltes. 

95 % du pays concerné ?

Ce qui donne le caractère « exceptionnel, dramatique, inédit » de cet épisode, pour reprendre les adjectifs utilisés ce matin par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, c’est son étendue : « On parle de centaines de milliers d’hectares détruits », a déploré ce matin le ministre, dans de nombreux départements et plusieurs secteurs différents : la vigne et l’arboriculture, mais aussi « la grande culture », c’est-à-dire les céréales ou oléagineux – ce sont apparemment les cultures de betterave et de colza, en pleine floraison, qui ont été les plus touchées. 
Serge Zaka, docteur en agronomie à ITK, entreprise de services d'agriculture connectée, a publié ce matin des cartes et des chiffres évoquant « la catastrophe agricole due au gel la plus importante depuis la révolution agricole » (19e siècle), si l’on prend en compte « l’intensité, la surface et le nombre d’espèces concernées ». Pour lui, « plus de 95 % du pays » serait concerné par des destructions allant de 10 à 100 %.
Dans des régions aussi variées que le Nord, l’Île-de-France, toute la vallée du Rhône, la Gironde, l’Aude ou l’Hérault, certaines exploitations ont vu leur future récolte détruite à 100 %. « La profession est consternée », écrit ce matin la Chambre d’agriculture de l’Hérault dans un communiqué. « Les impacts sur la vigne sont énormes, de très nombreuses parcelles sont impactées à 100 %, les arboriculteurs sont également touchés de plein fouet, notamment, notamment sur les arbres à noyaux, ainsi que les pomiculteurs » [éleveurs de fruit à pépins]. » Même constat dans la Drôme et l’Ardèche, où des milliers d’hectares d’arbres fruitiers ne donneront « aucune production » cet été. En Gironde, 111 000 hectares de vignoble ont été « directement impactés » par des températures atteignant - 5 ° C. Si la Chambre d’agriculture affirme qu’il faudra plusieurs jours pour évaluer les conséquences, elle sait déjà que la récolte 2021 sera « sévèrement impactée », et certains vignerons du bordelais disent avoir « tout perdu ». 
Dans le nord du pays, les dégâts sont très importants également, à l’instar de la Seine-et-Marne, au sud-est de la région parisienne, où, selon la FNSEA locale, « poiriers, cerisiers et pruniers » ont été détruits « jusqu’à 100 % dans certaines exploitations ». La récolte de pommes serait compromise à 50 %. Sur la betterave, les agriculteurs perdront « entre 50 et 100 % de la production » selon les parcelles.
Sur twitter, ce matin, de nombreux agriculteurs, de toutes les régions, témoignent de chiffres similaires : dans le Limousin, le Mâconnais, les Corbières, ils parlent de destructions constatées ce matin allant de 50 à 100 %. 

Calamité agricole

Pour les vignerons, la catastrophe est d’autant plus difficile à vivre qu’elle fait suite à une année où les ventes se sont effondrées : entre les mois de fermeture des bars et restaurants, l’annulation des fêtes de mariage, des congrès, salons et autres rassemblements professionnels, les ventes de vin ont durement chuté cette année. Et beaucoup d’entre eux témoignent ce matin du fait qu’ils n’étaient pas assurés, ou bien parce qu’un tel aléa climatique est trop rare pour justifier la dépense, ou bien, tout simplement, parce qu’ils disent ne pas en avoir les moyens.
Tous les regards se tournent maintenant vers le gouvernement pour savoir les mesures d’urgence qui seront prises. Julien Denormandie a assuré ce matin que l’état de calamité agricole serait rapidement déclaré dans les régions frappées – ce qui ne résoudra pas les problèmes de tout le monde, puisque la viticulture, par exemple, n’est pas éligible à ce régime. 
Sans détailler encore les mesures envisagées – le ministère organise une réunion de crise ce matin –, Julien Denormandie a sonné la « mobilisation générale » aussi bien chez les assureurs que du côté des banques. Du côté de l’État, « tout ce que l’on pourra faire pour alléger les charges, on le fera », a assuré le ministre. 
Mais les conséquences de cet épisode seront considérables – y compris sur le plan social, dans la mesure où la destruction des récoltes va priver d’emploi, cette année, des milliers de travailleurs saisonniers. Dont ceux, nombreux, qui font les récoltes l’été et travaillent, l’hiver… dans les stations de ski, fermées cette année.  

Nécessaires investissements

Au-delà des aides ponctuelles pour permettre aux agriculteurs de tenir le choc, plusieurs élus et experts pointent le fait que ces épisodes se multiplient et qu’il convient aussi de réfléchir à plus long terme. Plusieurs dizaines de députés de circonscriptions viticoles ont signé, hier, une tribune commune pour affirmer que « ces accidents climatiques ne sont plus ponctuels mais deviennent récurrents ». Ils estiment donc qu’au-delà de la catastrophe actuelle, il va falloir « aider les vignerons à s’adapter à ces changements », à travers des investissements très lourds contre les aléas climatiques. Le ministre Julien Denormandie a rappelé, ce matin, que 100 millions d’euros du plan de relance étaient consacrés à ce sujet. 
Un travail de fond va également devoir être engagé sur la couverture assurantielle des agriculteurs, bien trop onéreuse pour de nombreux exploitants. Cette question fait actuellement l’objet d’une enquête du député LaREM du Val-de-Marne Frédéric Descrozaille, ancien directeur général d’Interfel (interprofession des fruits et légumes frais). Le député devrait rendre « avant l’été » un rapport au ministre de l’Agriculture pour proposer des solutions.
D’ici là, on en saura plus sur les conséquences économiques chiffrées de cette catastrophe… et sans doute sur le nombre d’agriculteurs que celle-ci va peut-être contraindre à rendre définitivement leur tablier. 




Voirie
Diagnostic obligatoire des passages à niveaux : le décret est paru
Deux ans et demi après la loi d'orientation des mobilités, qui impose la réalisation de « diagnostics de sécurité routière » des passages à niveau, le décret d'application est paru. Mode d'emploi.

C’est l’article 125 de la LOM (loi d’orientation des mobilités) qui impose que « les gestionnaires de voirie (…) réalise et mette à jour un diagnostic de sécurité routière des passages à niveau ouverts à la circulation ferroviaire, routière ou piétonne situés à l'intersection de leurs réseaux respectifs, qui peut comporter des recommandations. » Présenté devant le Conseil national d’évaluation des normes il y un an, et validé, avec quelques réserves, par les représentants des élus, le décret a été publié au Journal officiel du 7 avril.

Contexte

Les « gestionnaires d’infrastructures » concernés peuvent aussi bien être les maires que les présidents de conseils départementaux ou l’État, selon les voies concernées. Mais ce seront, en majorité, les maires, puisque selon le ministère chargé des Transports, 58 % des passages à niveau se situent sur des voies communales. 
Cela fait presque quinze ans que la question de la sécurité des passages à niveau est revenue sur le devant de la scène, après notamment le dramatique accident d’Allinges, où sept enfants avaient trouvé la mort. Plus récemment, en décembre 2017, à Millas, la collision entre un bus scolaire et un TER, provoquant la mort de six collégiens. 
Dans un rapport rendu en avril 2019 sur la sécurisation des passages à niveau, la députée des Pyrénées-Orientales Laurence Gayte constatait que malgré trois plans successifs (plan Gayssot en 1998, plan Bussereau en 2008, plan Cuvillier en 2014), la question de la sécurité aux passages à niveau ne progressait pas. Son rapport a mis en lumière « le manque de connaissance des risques attachés à certains passages à niveau non répertoriés comme dangereux », et la députée préconisait donc la généralisation d’un diagnostic pour l’ensemble des 16 500 passages à niveau. Cette obligation a été introduite dans la loi d’orientation des mobilités.

Ce qu’impose le décret

Le décret détaille le contenu du diagnostic des passages à niveau (PN), qui devra être remis à jour tous les cinq ans. Il devra notamment comporter « le relevé des caractéristiques du PN, l’analyse des caractéristiques géographiques des lieux, des conditions de visibilité, (…) l’évaluation des risques pour la sécurité de l’ensemble des circulations ». Ce rapport, élaboré « en coordination avec le gestionnaire d’infrastructure » (par exemple la SNCF), pourra « formuler des recommandations, assorties d’un calendrier estimatif ».
Le diagnostic pourra être fait avec l’aide d’un « prestataire public ou privé ». Le ministère a précisé, lors de l’examen de ce texte par le Cnen, que le Cerema allait fournir un « modèle de diagnostic » sur son site internet. 
Concernant les délais enfin, les PN qui ont déjà fait l’objet d’un diagnostic (environ 9 500) ne feront l’objet que d’une « mise à jour », qui devra intervenir entre cinq et deux ans après la parution du décret, selon l’ancienneté du diagnostic. Pour les PN qui n’ont fait l’objet d’aucun diagnostic, les gestionnaires de voirie auront un délai de trois ans (à partir du 1er avril 2021) pour l’établir. 

Les réserves des élus

Les représentants des élus au Cnen ont bien entendu dit partager « unanimement » leur soutien à l’objectif de sécurisation des passages à niveau. Mais ils ont rappelé que l’opération va avoir un coût non négligeable (estimé par le ministère à plus de 550 000 euros par an pour le bloc communal et les départements). Ce coût inclut notamment la formation par le Cerema des agents chargés de réaliser le diagnostic. Les élus ont demandé que le gouvernement réfléchisse à un accompagnement financier de l’État, qui pourrait passer par exemple par la prise en charge des frais de formation des agents territoriaux par celui-ci. Le gouvernement n’a pas accepté cette solution, proposant en revanche aux collectivités de « mutualiser » la formation, par exemple « en n’envoyant qu’un seul agent en formation qui sera chargé par la suite de former le reste du personnel, voire d’intervenir pour le compte d’autres collectivités ».
Les élus avaient également demandé qu’un délai de cinq ans, et non de trois, soit laissé aux gestionnaires dont les PN n’ont jamais fait l’objet d’un diagnostic – ce délai étant jugé « intenable ». Ils n’ont pas été suivi par le gouvernement. 

Télécharger le décret. 




Coronavirus
Vaccination : la barre des 10 millions de primo-vaccinés franchie, l'AMF revient à la charge sur la compensation des centres
Alors que 10 millions de Français ont à présent reçu une première dose vaccinale contre le coronavirus, l'association d'élus déplore que « la compensation prévue par les Agences régionales de santé (ARS) via le Fonds d'intervention régional n'est pas, à ce jour, à la hauteur des sommes engagées, est très variable selon les régions et tarde à être perçue par les communes ».

Avec « une semaine d’avance » sur les prévisions, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé, hier depuis un centre de vaccination de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), que 10 millions de Français avaient reçu une première injection d’un des vaccins contre le covid-19. 200 000 à 300 000 doses seraient ainsi injectées chaque jour. 
La France « vient de franchir les 10 millions de personnes qui ont reçu une première vaccination, c’est-à-dire que nous sommes à une semaine d’avance (sur) l’objectif que j’avais fixé. C’est une très bonne performance, la France vaccine beaucoup », s’est félicité le chef du gouvernement. « Et cela est dû à (…) tous ceux qui sont 7 jours sur 7 sur le pont au service de cette grande cause nationale qui s’appelle la vaccination et qui nous permettra de sortir de cette crise », a-t-il déclaré. Au mardi 6 avril (les chiffres n’ont pas été actualisés depuis), le tableau de bord de la vaccination indique, en revanche, que « seuls » 3 227 796 Français ont été complètement vaccinés avec les deux doses. Le Premier ministre entend bien remplir les objectifs de 20 millions de Français vaccinés (première dose) à la mi-mai et de 30 millions à la mi-juin. 
La Haute autorité de santé a, par ailleurs, annoncé, dans un avis publié ce matin, que les 533 302 personnes de plus de 55 ans, vaccinées avec AstraZeneca entre le 6 février et le 13 mars, recevront une deuxième dose d’un vaccin de type ARN messager comme Pfizer ou Moderna. Il s’agit pour une grande partie d’entre eux de personnels soignants. Depuis le 19 mars, en raison du lien confirmé entre l’injection du vaccin AstraZeneca et des cas de thrombose, seuls les plus de 55 ans peuvent être vaccinés avec le produit de la firme anglo-suédoise. 

Centres de vaccination : une demande de compensation intégrale par l’État des frais avancés par les communes

Voilà pour les dernières annonces. Sur le plan de la logistique, les maires sont toujours mobilisés aux côtés de l’État pour mettre en œuvre la stratégie vaccinale. Mais la compensation par l’État des frais avancés par le bloc communal « n’est pas à la hauteur » ou se fait encore attendre. « L’ensemble des dépenses, que ce soit pour organiser des centres de vaccination ou déployer des solutions pour favoriser la vaccination des plus fragiles a bien entendu été avancé sans délais par les communes et intercommunalités afin de ne pas retarder la mise en œuvre de la campagne de vaccination », assure l’AMF, dans un communiqué publié mercredi. 
Or « la compensation prévue par les Agences régionales de santé (ARS) via le Fonds d’Intervention régional n’est pas, à ce jour, à la hauteur des sommes engagées, est très variable selon les régions et tarde à être perçue par les communes. Outre la mise à disposition de locaux, les communes et intercommunalités ont engagé des moyens humains et matériels ; elles ont organisé des transports pour les personnes rencontrant des difficultés de mobilité et ont souvent été contraintes de renforcer leur accueil téléphonique afin d’absorber une montée en puissance des appels. »
A l’heure où le gouvernement vise une montée en charge de la vaccination pour un plus large public, souhaite un élargissement des horaires d’ouverture des centres, notamment les week-ends, et met en place de grands vaccinodromes, l'AMF rappelle, pour conclure, que les « dépenses occasionnées ne peuvent continuer à peser lourdement sur les budgets des communes » et souligne l’importance pour les élus locaux de « pouvoir compter sur une juste compensation de l’Etat, intégrant les dépenses d’investissement ainsi que les dépenses de personnel, que celui-ci soit mis à disposition ou recruté spécialement dans le cadre de la campagne de vaccination ».




Laïcité
Financement des lieux de culte : le gouvernement veut « protéger les maires des ingérences étrangères »
Le gouvernement a présenté hier, au Sénat, un amendement au projet de loi portant sur le respect des valeurs de la République, clairement inspiré par la polémique née à Strasbourg après le vote, par le conseil municipal, d'une subvention à une mosquée dirigée par une association controversée. L'amendement a été adopté. Explications. 

Dans un communiqué publié hier soir, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité de l’adoption « à l’unanimité » par le Sénat de son amendement « renforçant la transparence sur les avantages accordés par les collectivités locales en vue de la construction de lieux de culte ». 

Ce qu'il s’est passé à Strasbourg

Lors de la discussion de cet amendement, hier, en séance publique, il est clairement apparu que la polémique de Strasbourg était au cœur du débat. Certains sénateurs l’ont reproché à Gérald Darmanin (« on ne fait pas de bonnes lois à partir d’une revue de presse », a cinglé le socialiste Jean-Pierre Sueur), à qui le ministre a répondu que « l’actualité nous éclaire utilement : je n’imaginais pas que dans notre République, une collectivité locale (…) décide de subventionner une ingérence étrangère sur le sol de la République. »
Il faut donc rappeler ce qui s’est passé à Strasbourg : le 22 mars, le conseil municipal a voté une subvention de 2,5 millions d’euros pour permettre de relancer la construction de la future plus grande mosquée d’Europe, dans le quartier de la Meinau, la mosquée Eyyub Sultan, dont le chantier est à l’arrêt depuis cet hiver. Un tel financement, qui ne serait pas envisageable dans la plupart des communes du pays, est possible en Alsace-Moselle, concordat oblige. En soi, cette subvention n’est donc pas illégale. En revanche, ce qui pose problème au ministère de l’Intérieur, c’est que le projet de mosquée est porté par une association turque, Milli Görüs, considérée non seulement comme islamiste radicale mais également comme politiquement très proche du gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan. Cette association a refusé de signer la charte des principes pour l’islam de France et est considérée par les services de renseignements comme une organisation politique coupable « d’ingérence ». 
Cette délibération du conseil municipal de Strasbourg, dirigé par la maire écologiste Jeanne Barseghian, a provoqué la colère du ministre de l’Intérieur, qui assure que la maire avait été mise au courant par la préfète du caractère sulfureux de cette association. Le gouvernement a donc demandé à la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, de saisir le tribunal administratif de cette « délibération litigieuse », dont l’État « conteste la légalité ». Problème : on ne sait pas sur quel terrain juridique la « légalité » de la délibération peut être attaquée, le ministre de l’Intérieur ayant lui-même déclaré sur BFMTV, fin mars, qu’en Alsace une collectivité « a le droit » de prendre une telle décision. D’ailleurs, hier, au Sénat, le ministre a déclaré se faire « peu d’illusions » sur la décision du tribunal administratif dans cette affaire, « le droit actuel étant insuffisant ». 

Mécanisme d’information

Au Sénat, une partie du débat a porté sur la délibération de Strasbourg, avec une vive polémique entre la sénatrice EELV Esther Benbassa accusant le gouvernement de faire de « l’écolo-bashing » et affirmant que la maire de Strasbourg, « n’ayant pas de services de renseignements », ne pouvait connaître les activités de l’association en question ; et le ministre Darmanin, qui a soutenu que la maire avait été prévenue par la préfète et par lui-même, « personnellement ». 
La suite du débat a porté sur l’amendement lui-même. Celui-ci impose un mécanisme d’information obligatoire du préfet trois mois avant la conclusion de baux emphytéotiques administratifs par les collectivités locales « en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public, afin que le préfet puisse vérifier si l’association peut toujours être qualifiée d’association cultuelle ». « Un mécanisme similaire d’information préalable du préfet est prévu pour les garanties que les communes et les départements peuvent accorder aux emprunts contractés par les associations cultuelles pour financer la construction de lieux de culte », peut-on lire dans l’exposé des motifs. Ce dispositif serait étendu « à tout le territoire », y compris en Alsace-Moselle pour les garanties d’emprunt aux établissements publics du culte. 
Rappelons que les baux emphytéotiques et les garanties d’emprunt pour la construction de lieux de culte ne sont possibles, actuellement, que dans les territoires dits « en développement », c’est-à-dire ceux où l’augmentation rapide de la population nécessite la création de lieux de culte, comme l’a rappelé hier le sénateur de la Manche Philippe Bas. L’amendement propose l’extension de cette possibilité sur « tout le territoire », mais avec le « verrou » de l’information du préfet qui garantira « la qualité cultuelle de l’association ». 

Pas de contrôle de légalité a priori

Gérald Darmanin s’est longuement exprimé sur cet amendement, rappelant qu’il souhaitait, à l’origine, « que le maire soit dépossédé du permis de construire sur les lieux cultuels au profit du préfet ». C’est en effet ce qui figurait dans le projet de loi initial. Mais le ministre a changé d’avis (« à regret »), d’une part parce que « l’AMF ne le souhaitait pas  », et d’autre part parce qu’il « n’y a pas, en droit de l’urbanisme, de spécialisation, et cela aurait pu conduire à une censure du Conseil constitutionnel ». 
Le dispositif introduit par amendement permettrait, selon le ministre, que « avant le bail emphytéotique et la garantie d’emprunt, le préfet (puisse) retirer à l’association sa qualité cultuelle ». Ce qui permettrait de « ne pas toucher au droit des collectivités territoriales », sans instaurer « un contrôle a priori de légalité ». 
La plupart des sénateurs qui se sont exprimés ont affirmé leur soutien à ce dispositif, « profitable aux collectivités », « renforçant la protection des maires », « apportant une sécurité aux élus locaux ». 




Éducation
Langues régionales à l'école : une proposition de loi adoptée contre l'avis du gouvernement
Soutenue par Régions de France, la proposition de loi du député Paul Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion a été adoptée définitivement, hier, par le Parlement. Elle impose notamment aux communes dont les écoles publiques ne dispenseraient pas un enseignement des langues régionales la conclusion d'un accord avec les écoles privées sous contrat d'association.

« Le pourcentage des élèves qui apprennent des langues régionales est totalement insuffisant pour assurer leur pérennité ». Le classement « en grand danger » des langues régionales, comme le breton, par l’Unesco (bien que 50 % des langues entrent dans cette catégorie) a décidé le député Paul Molac (Morbihan, Libertés et Territoires) à déposer une proposition de loi relative à leur protection patrimoniale et à leur promotion. « Pas moins de quatre-vingt-deux langues minoritaires ou régionales en métropole et outre-mer », a compté Géraldine Bannier (Mayenne, Modem), coexistent en plus du Français dans notre pays.
Le texte a été adopté en deuxième lecture et, par conséquent, définitivement, hier, contre l’avis du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.

Enseignement immersif en langue régionale

Alors qu’à peu près « 8 % d’une classe d’âge en Bretagne apprend la langue bretonne avec la méthode de l’enseignement bilingue », « nous avons besoin d’appuyer sur l’accélérateur », plaide Paul Molac. Pour ce faire, le député mise sur « le développement de l’enseignement immersif en langue régionale, lequel dépasse la stricte parité horaire d’un enseignement dispensé pour moitié en langue régionale et pour moitié en français et a pour objet, bien évidemment, la maîtrise des deux langues », précise-t-il d’emblée en forme de réponse à ses détracteurs. « Le Conseil constitutionnel n’a jamais considéré que l’enseignement immersif en langue régionale porte atteinte au principe d’égalité devant la loi, ni au principe selon lequel le français est la langue de la République. Jamais ! ». « La notion de ''bonne connaissance de la langue française'' semble trop floue, d’autant que chaque réseau d’établissement scolaire associatif organise l’enseignement des langues régionales selon ses propres modalités et son propre degré d’immersion », a cependant regretté Stéphanie Atger (Essonne, La République en marche). Ce même « flou » a été dénoncé par Bastien Lachaud (Seine-Saint-Denis, La France insoumise). « Le français n’est pas une ''langue dominante'', comme le disent les rédacteurs, c’est la langue commune de la République ».
Jusqu’à présent, l’enseignement immersif en langue régionale est dispensé seulement dans les établissements scolaires privés. « Des expérimentations sont (pourtant) déjà menées depuis de longues années » (41 % des élèves du premier degré suivent un enseignement de basque et en basque, soit dans le système bilingue, soit dans le système immersif, grâce aux moyens mis à la disposition du ministère de l’Education nationale – 3 700 enfants bénéficient ainsi d’un enseignement en immersion), rétorque Michel Castellani (Haute-Corse, Libertés et Territoires). « Nous ne comprenons donc pas l’attitude du gouvernement, qui autorise des expérimentations en immersion au sein de l’école publique, mais qui a déposé un amendement tendant à supprimer l’article qui vise à sécuriser l’enseignement immersif en langue régionale ». Pour Jean-Michel Blanquer, « l’implantation d’un enseignement immersif ne peut être que l’exception : il ne saurait constituer la solution générale parce qu’il pourrait rompre avec la finalité bien comprise du bilinguisme, celle d’un enseignement conjoint du français et d’une langue régionale. »

Forfait scolaire

« De même, reprend Michel Castellani, nous ne comprenons pas la suppression en commission de l’article relatif à la prise en charge effective par les communes du forfait scolaire pour les écoles associatives immersives. Il s’agissait pourtant d’un engagement ferme pris par le Premier ministre en février 2019. » L’article 2  quinquies impose, en effet, aux communes « un forfait scolaire obligatoire (versé aux écoles sous contrat d’association) pour les enfants devant se rendre dans une commune voisine de celle où ils résident pour qu’une langue régionale leur soit enseignée ». « Un tel basculement modifierait en profondeur les règles existantes et doit donc être appréhendé au regard des réalités locales, car il pourrait mettre en difficulté certaines communes, notamment les plus petites », craint Géraldine Bannier. Ce forfait scolaire « entraîne la création d’une dépense obligatoire non négligeable, d’où l’hostilité très majoritaire qu’ont exprimée les associations de maires. Cette dépense obligatoire constitue un enjeu financier qui est aussi un enjeu d’autonomie des communes », confirme Jean-Michel Blanquer. « C’est de l’argent public qui ira à l’école privée », s’indigne, de son côté, Bastien Lachaud.
« Le forfait scolaire ne s’appliquerait que si la commune de résidence de l’enfant ne propose aucun enseignement de ce type, qu’il s’agisse de cours d’initiation, de sections bilingues ou d’apprentissage immersif.  Combien d’enfants seraient donc concernés ? Pour nous être renseignés, le total s’élèverait à 0,02 % des élèves, a répliqué Paul Molac. Dans les zones où cet enseignement (celui des langues régionales) est très répandu, les écoles d’un grand nombre de communes ont déjà développé des offres éducatives. Dans ce cas, les maires n’auront pas à s’acquitter de cette charge, qui s’élève à environ 150 euros par enfant, somme qui n’est donc, de toute façon, pas démesurée. Au contraire, cette mesure semble de nature à inciter les maires à réfléchir à l’enseignement des langues régionales. »
De son côté, l’AMF s’interroge sur la traduction concrète de cette disposition, notamment en cas de désaccord entre les parties, eu égard au principe de parité avec les écoles publiques. « En effet, concernant le dispositif applicable aux écoles publiques depuis la loi Notre, les services de l’Etat ont eu l’occasion de souligner une incertitude juridique s’agissant du règlement définitif des désaccords par le préfet ». L’AMF demande donc un « éclaircissement sur ce sujet aux conséquences financières non négligeables » pour un certain nombre de collectivités.

Les régions à la disposition des communes

Dans la foulée de l'adoption du texte, Régions de France a publié un communiqué élogieux. Elle s'est réjouie du maintien du principe de l’enseignement des langues régionales dans le cadre de l’horaire normal des cours afin de pouvoir le proposer à tous les élèves qui le souhaitent, de l’ajout de la possibilité de pouvoir appliquer la réglementation existante sur le département de Mayotte, « qui en est aujourd’hui injustement privé ». Mais aussi « des dispositions précédemment adoptées en 1ère lecture et au Sénat, notamment celles relatives à l’inscription effective des langues régionales dans le patrimoine de la France, mettant en application concrète l’article 75-1 de la Constitution, à l’inscription du rôle de l’Etat et des collectivités dans leur transmission et leur mise en valeur, à la légalisation définitive de la signalétique bilingue dans les services publics ainsi que les moyens de transport et enfin à la légalisation des signes diacritiques régionaux dans l’état-civil. »
Les Régions « vont maintenant assurer la mise en œuvre de cette loi historique sur le terrain, et tout particulièrement dans les lycées (et les collèges en Corse). Elles sont à la disposition des services de l’Etat, des communes et départements, des associations et des communautés éducatives pour mener à bien cette mission. »







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