Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 12 juin 2017
Vie publique

Interdiction des recrutements familiaux dans les cabinets : les élus locaux demandent des clarifications

Pendant la séance du 8 juin du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), lors de laquelle les élus ont émis un avis défavorable sur le projet de décret relatif aux rythmes scolaires (lire Maire info de vendredi), un autre texte a été débattu, avec le même résultat : une majorité de représentants des élus locaux ont émis un avis défavorable à certaines dispositions du projet de loi ordinaire de François Bayrou sur « le rétablissement de la confiance dans l’action publique ».
Trois projets de loi (constitutionnel, organique et ordinaire) dont le dernier anciennement appelé projet de loi de « moralisation de la vie publique », ont été présentés jeudi 1er juin par le garde des Sceaux (lire Maire info du 2 juin). Le projet de loi ordinaire contient plusieurs mesures intéressant directement les élus locaux, comme l’interdiction de briguer plus de trois mandats « identiques et successifs », sauf dans les petites communes, ou l’impossibilité de recruter son conjoint et des membres de sa famille dans les cabinets des exécutifs locaux. Le CNEN n’était d’ailleurs consulté que sur ce dernier point (articles 3 à 6 du projet de loi ordinaire).
Sur le fond, les représentants des élus communaux au CNEN (ce sont Philippe Laurent et Antoine Homé qui sont intervenus au nom de l'AMF) ont fait part de leur regret que ces dispositions n’aient pas fait l’objet d’une « concertation préalable approfondie »  avec les associations nationales d’élus locaux, et ont critiqué le recours à la procédure d’urgence, pour un texte dont les objectifs sont si « ambitieux et complexes ». Ils ont aussi estimé que le nom même du projet de loi était « maladroit », en ceci qu’il semble faire en partie reposer le « rétablissement de la confiance »  dans la vie publique sur les épaules des élus locaux… alors que les maires sont les élus qui jouissent justement du plus de confiance de la part des citoyens. Les élus au CNEN ont fait mention de leur crainte que ce titre « n’encourage auprès de l’opinion publique une présomption de culpabilité à l’égard des élus locaux ».
Concernant le contenu des projets de loi, un seul point a été soumis et discuté au CNEN – celui qui concerne le recrutement de son conjoint et de membres de sa famille comme collaborateurs. En effet, le Conseil n’a eu à examiner que les articles 3 à 6 d’un seul des trois textes – le projet de loi ordinaire. Ce texte dispose (article 5) qu’il deviendrait interdit pour  « l’autorité territoriale »  de « recruter comme collaborateur »  son conjoint,  un membre de sa famille ou un membre de la famille de son conjoint. Le projet de loi précise qu’il ne s’agit pas seulement d’époux ou d’épouse mais de « conjoint, partenaire lié par un pacs ou concubin ».
La notion de « membre de sa famille »  étant assez floue, il reviendra au Conseil d’Etat, dans le décret d’application, de préciser jusqu’à quel niveau de parenté l’interdiction s’applique.
François Bayrou avait expliqué lors de sa conférence de presse que l’interdiction concernerait les « membres des cabinets des exécutifs locaux ». Problème : cette formule n’apparaît pas dans le texte, qui dit qu’il sera « interdit de recruter comme collaborateur »  un membre de sa famille. Les représentants des élus au CNEN ont donc expressément demandé que ce point soit « clarifié », « afin de circonscrire la réforme aux seuls collaborateurs de cabinet ». Dans la rédaction actuelle en effet, on pourrait penser que, par exemple, lorsqu'un membre de la famille du maire d’une petite commune rurale est secrétaire de mairie, elle serait visée par la mesure, ce qui paraît totalement inapplicable.
Deuxième demande de clarification : la question du licenciement. En effet, à l’article 6, le projet de loi précise que « un mois après la publication de la loi », le contrat de travail d’un collaborateur membre de la famille de l’élu doit être rompu, cette rupture prenant la forme d’un « licenciement pour cause réelle et sérieuse ». Et le texte précise : « Le délai qui court entre la présentation de la présente loi et le licenciement est réputé constituer la durée du préavis ». Sauf qu’en réalité, les choses ne sont pas si simples : la notion de membre de la famille ne sera définie que par le décret d’application, d’où un délai supplémentaire ; de plus  un salarié sous contrat de droit public, s’il a au moins deux ans d’ancienneté, bénéficie selon la loi d’un préavis de deux mois. La nouvelle loi dérogerait donc à ces dispositions. Dans quelles conditions ? Le texte présenté ne le précise pas. Les représentants des élus ont donc demandé des précisions juridiques sur ce point.
De même, des questions se posent sur les indemnités de licenciement, auxquelles s’ajoute le montant des allocations chômage, pour les collectivités et EPCI en auto-assurance. Le projet de loi dispose que ces sommes seraient « supportées par l’autorité territoriale ou l’établissement public ». Quel sera l’impact financier de ces mesures pour les communes et les EPCI ? C’est aujourd’hui pour le moins flou. Même si la mesure, comme on peut le penser, sera strictement circonscrite aux collaborateurs de cabinet, cela peut représenter un effectif non négligeable. Rappelons que les collectivités territoriales et leurs groupements ont droit à un certain nombre de collaborateurs de cabinet fixé en fonction de leur population : un pour les communes de moins de 20 000 habitants, et jusqu’à 20 et plus pour les villes de plus d’un million d’habitants.  Les EPCI ont droit à 16 collaborateurs de cabinet pour 5000, et 21 et plus pour ceux de plus de 10 000 habitants. En 2015, selon les chiffres fournis par le ministère de la Justice dans l’étude d’impact, les communes employaient 1474 collaborateurs de cabinet, et les EPCI 327. Avec les régions et les départements, on aboutissait alors à un total de 2242 collaborateurs, parmi lesquels certains (mais combien ?) peuvent avoir des liens familiaux avec l’autorité territoriale qui les a embauchés.
Le texte ne va pas repasser devant le CNEN. Toutes ces questions seront donc maintenant discutées au Parlement, probablement dès le mois de juillet.
F.L.

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