Maire-info
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Édition du mercredi 10 mai 2023
Sécurité

Le gouvernement va désormais interdire a priori toute manifestation de l'ultra-droite

La tenue d'une manifestation de l'ultra-droite, samedi 6 mai, à Paris, a provoqué un débat jusqu'à l'Assemblée nationale, où le ministre de l'Intérieur a dû se justifier de l'autorisation de cette manifestation. Il a néanmoins annoncé qu'il demanderait désormais l'interdiction de tout rassemblement de la sorte, laissant aux tribunaux la charge de juger de la légalité de ces décisions. 

Par Franck Lemarc

Ce sont plusieurs centaines de militants, pour beaucoup cagoulés, qui ont défilé dans la capitale samedi dernier en brandissant des étendards frappés de la croix celtique, le symbole de l’Œuvre française, organisation fasciste créée par Pierre Sidos et dissoute en 2013. Cette manifestation a lieu chaque année, en commémoration de la mort d’un militant de l’Œuvre française le 7 mai 1994, tombé d’un immeuble en fuyant la police. 

Après la manifestation, les participants se sont retrouvés pour un concert de « rock aryen »  à Saint-Cyr-l’École, dans les Yvelines, dans une salle portant le nom de Simone Veil. La maire de Saint-Cyr-l’École, Sonia Brau, a indiqué que la réservation de cette salle s’était faite sous un faux prétexte et a saisi le procureur de la République de Versailles. 

Manifestation « inacceptable » 

La tenue de cette manifestation a choqué, en particulier dans un contexte où les préfets sont prompts à interdire des rassemblements que l’on appelle maintenant des « casserolades », visant à perturber les déplacements de membres du gouvernement pour protester contre la réforme des retraites. 

Ce débat a atteint l’Assemblée nationale, hier, lors de la séance de questions au gouvernement. La députée écologiste des Hauts-de-Seine Francesca Pasquini a interpellé le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur cette manifestation « terrifiante »  mais « autorisée et encadrée par la police », « car, selon le préfet de police de Paris, elle ne constituait pas un risque de trouble à l’ordre public ». La députée a conclu son propos en lançant au ministre : « Vous préférez vous en prendre à ceux qui battent le pavé à visage découvert pour défendre leur droit à la retraite et à la démocratie plutôt qu’à des néonazis ! » 

Gérald Darmanin s’est vivement défendu d’une telle intention, en déclarant d’emblée que cette manifestation était « inacceptable ». Il a indiqué avoir voulu, en janvier, faire interdire « une manifestation de la même mouvance », mais que le tribunal administratif de Paris avait « sommé »  la préfecture et le ministère de « la laisser se tenir ». 

L’état du droit

C’est exact : il s’agit d’une ordonnance du 7 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris, saisi en référé par l’association « Paris fierté »  – association prétendument « culturelle »  qui est, en réalité, un des avatars du groupe néonazi dissous Génération identitaire. Ce groupe organisait une manifestation « en hommage à Sainte-Geneviève, patronne de Paris », que le préfet de police avait interdite, au motif de risques de trouble à l’ordre public que les forces de l’ordre n’auraient pas été en mesure de contenir – notamment parce que d’autres manifestations à risque avaient lieu le même jour. 

Le juge des référés avait bien cassé l’arrêté d’interdiction, au motif que les risques de trouble à l’ordre public n’étaient pas « avérés »  et, surtout, que les forces de l’ordre étaient en mesure de les contenir. 

Dans ce type de cas, la justice se réfère à une jurisprudence très ancienne du Conseil d’État , dite « arrêt Benjamin », datant du 19 mai 1933. Pour mémoire, le maire de Nevers avait alors demandé l’interdiction d’une conférence d’un polémiste d’extrême droite, « le sieur René Benjamin », au motif que la tenue de ses conférences provoquait en général des troubles et des bagarres (quelques années auparavant, en 1927, un homme avait été tué lors des échauffourées provoquées par une conférence de René Benjamin, à Saint-Étienne). 

Le Conseil d’État avait cassé l’arrêté du maire de Nevers, avec un argument qui a fait, depuis, jurisprudence : « L'éventualité de troubles ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre. »  Autrement dit, si la puissance publique dispose de moyens permettant de « maintenir l’ordre », l’argument de troubles à l’ordre public ne peut, à lui seul, justifier la tenue d’un évènement qui relève de la liberté d’expression. 

Dans le cas de la manifestation d’extrême droite de janvier dernier, le tribunal administratif a utilisé le même argument : les autres manifestations qui devaient se dérouler ce jour-là à Paris (Gilets jaune, manifestations des Kurdes après l’attentat du 23 décembre 2022), n’aurait pas entraîné « une mobilisation telle des forces de l’ordre qu’elle aurait pour effet d’entraver les possibilités de surveillance par ces même forces de l’ordre de la manifestation organisée le 7 janvier 2023 »  par l’extrême droite. 

Rappelons que par ailleurs, un autre motif d’interdiction d’un événement est le risque « d’atteinte à la dignité de la personne humaine ». 

Interdiction a priori

Gérald Darmanin a donc rappelé devant les députés qu’en l’état du droit, et en s’appuyant sur la décision du tribunal administratif de janvier, le gouvernement n’était pas en mesure d’interdire cette manifestation. 

Les images de « ce qui a été constaté dans les rues de Paris »  – et, certainement, les remous politiques provoqués par cette affaire – ont toutefois convaincu le ministre de changer son fusil d’épaule à l’avenir. Désormais, instruction sera donnée aux préfets pour que « toutes les manifestations déclarées par des militants d’ultra-droite ou d’extrême droite ou leurs collectifs ou associations, à Paris comme partout sur le territoire national, fassent l’objet d’un arrêté d’interdiction ». Le gouvernement laissera ensuite aux tribunaux « juger, à la lumière de la jurisprudence, de la légalité de ces manifestations ». 
 

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