Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 10 décembre 2018
Collectivités locales

Transparence de la vie publique et loi Sapin 2 : se préparer aux contrôles de l'Agence française anticorruption

« Je sais que les dispositions de la loi dite ‘Sapin 2’ (…) sont fatalement vécues (…) comme une contrainte de plus à assumer, avec des moyens sans cesse réduits. J’en ai pleinement conscience, mais je crois profondément que tout ce qui peut normaliser le fonctionnement d’une institution est de nature à protéger ceux qui la composent et, a fortiori, ceux qui la dirigent ». Ouvrant la journée du 21 novembre au 101e Congrès des maires, l’intervention du magistrat Charles Duchaine, président de l’Agence française anticorruption (AFA) créée par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 – et opérationnelle depuis l’été 2017 – relevait bien du « défi ». Dans un contexte peu propice, rassurer les élus sur ces nouvelles obligations et les convaincre d’en faire des opportunités d’afficher leur exemplarité s’apparentait à un exercice de voltige. « Tantôt niée, tantôt fantasmée » … mais toujours aussi taboue, la corruption n’en demeure pas moins un risque réel pour les acteurs publics locaux. Or la tâche reste immense : l’enquête réalisée par l’AFA, avec le concours de l’AMF, a révélé que près de 60 % des communes ayant répondu au questionnaire en ligne n’ont entrepris, jusqu’ici, aucune action anticorruption. De même que la formation spécifique en matière d’anticorruption ne concerne encore que 3,3 % des entités et ne s’adresse aux élus que dans 1,3 % des cas. Conclusion : la conscience de ce risque est réelle, mais la mise en œuvre des moyens de prévention et de recueil des alertes reste « partielle »  et « insuffisante ». En réponse à ce besoin, l’AFA a ainsi conçu, en accord avec le CNFPT et l’AMF, une formation spécifique – d’abord en ligne – à destination des élus et des agents territoriaux à compter de 2019.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements et sociétés d’économie mixte, mais aussi les associations et fondations reconnues d’utilité publique peuvent être dans le viseur de l’AFA sur « l’existence, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre (…) pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». En particulier, les communes de plus de 10 000 habitants (et les EPCI dont elles sont membres) sont tenues d’adopter des procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte, de même qu’un référentiel anticorruption.

Force de frappe
Ce mouvement en faveur de la transparence ne date pas d’hier, mais le législateur est de plus en plus exigeant : depuis la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, certains agents territoriaux sont tenus, au même titre que les élus, de remplir une déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale avant leur nomination. Avec la loi Sapin 2, une nouvelle étape a été franchie : contrairement à l’ex-service central de prévention de la corruption, l’AFA dispose d’une véritable « force de frappe », de par son indépendance, ses effectifs, son pouvoir général d'appui, de formation et de conseil auprès des acteurs publics – mais aussi son pouvoir de sanction pécuniaire à l’égard des grandes entreprises (et EPIC). D’autant que, dans le cadre de son pouvoir de contrôle du secteur public local, elle adopte une conception extensive de l’article 17 de la loi Sapin 2, qui fixe les modalités de mise en conformité applicables aux seuls acteurs privés (code de conduite et régime disciplinaire, référent déontologue, dispositif d’alerte interne, cartographie des risques, etc.). Les avis et recommandations de l’Agence doivent aussi être vus comme des « grilles d‘appréciation », selon l’analyse de l’ancien ministre Bernard Cazeneuve, lors d’une matinée de formation organisée par son cabinet d’avocats August Debouzy et l’EFE, le 7 décembre à Paris.

La rétention d’information, une mauvaise stratégie
Le contrôle effectif des acteurs publics a débuté en mars 2018 : quatorze entités sont pour l’instant concernées (deux régions, deux départements, une métropole, une SEM, cinq établissements publics, une association reconnue d’utilité publique et deux CHU). Associé du cabinet Debouzy, Me Brenot a délivré un certain nombre de conseils aux collectivités susceptibles d’être contrôlées : se préparer en se mettant en situation plutôt que de contester l’intervention de l’Agence, rester dans un esprit coopératif et entretenir une relation de confiance avec ses agents. La procédure débute par une demande écrite de communication de documents, dont une liste de personnes à interroger au sein de la collectivité (aucun PV d’audition ne sera dressé). À son issue, un rapport est transmis aux autorités qui sont à l’initiative du contrôle (l’Agence ou le préfet pour les collectivités). Au-delà de cet aspect procédural et fatalement anxiogène pour les élus locaux, les retombées positives liées à la mise en avant de leurs pratiques vertueuses – réelles mais souvent méconnues – ne sont pas à négliger. Après avoir insisté sur la priorisation des contrôles sur les organisations les plus lourdes et les mieux dotées, Charles Duchaine a d’ailleurs conclu par ces mots : « Je voudrais repartir d’ici avec l’assurance raisonnable de vous avoir convaincus (…), que l’adoption d’un programme anti-corruption atténue, par une saine organisation des structures et une meilleure division des tâches, les risques de corruption systémiques. » 
Caroline St-André

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