Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 29 février 2016
Santé publique

S'opposer au déploiement des compteurs Linky est « risqué », selon une analyse juridique

Comme l’annonçait la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) dans nos colonnes le 18 février, une analyse juridique vient d’être diligentée sur la question des compteurs Linky et la possibilité pour les maires de s’opposer à leur installation. La FNCCR a commandé cette analyse à un cabinet d’avocats suite à plusieurs arrêtés municipaux pris par des maires, notamment en Gironde et en Seine-et-Marne, pour empêcher l’installation de ces nouveaux compteurs « intelligents »  sur le territoire de leur commune. Le verdict du cabinet d’avocat est conforme à ce à quoi l’on pouvait s’attendre : il est fortement déconseillé aux maires de prendre de tels arrêtés.
Rappelons que les opposants aux compteurs Linky pointent trois problèmes potentiels : celui de l’exposition aux ondes électromagnétiques, celui d’un éventuel risque d’incendie provoqué par ces compteurs, et celui de l’atteinte à la vie privée des consommateurs.
Première question soulevée dans l’étude : la responsabilité d’une commune peut-elle être engagée en cas de problème lié à l’utilisation de Linky ? Pour les juristes, la réponse est clairement non : on est ici dans le cadre d’une concession de service public, avec d’un côté une autorité organisatrice de la distribution d’électricité ou AODE (la commune par exemple) et de l’autre un concessionnaire, appelé « GRD »  ou gestionnaire de réseau de distribution, en l’espèce, ERDF. La jurisprudence est formelle : « En cas de dommages causés par l’existence ou le fonctionnement des ouvrages concédés », c’est « la responsabilité du concessionnaire »  qui est engagée. Ce serait donc ERDF qui serait responsable de tout dommage. Seule exception : la responsabilité de l’AODE pourrait être engagée pour « faute », en cas de dommage, si elle « refuse ou néglige d’intervenir auprès du concessionnaire pour faire respecter les dispositions réglementaires ». En l’occurrence, ERDF a l’obligation de « faire procéder à des contrôles techniques »  et de « garantir le bon fonctionnement et la sécurité »  des installations. Il est donc conseillé aux communes de s’assurer du respect de ces obligations et de « solliciter des justificatifs », afin d’éviter d’être accusée de faute par la suite, en cas de problème.
Deuxième question : est-il possible, pour le client final comme pour l’AODE, de s’opposer au déploiement des compteurs ? Réponse des juristes : cette possibilité est « fortement limitée ». En effet, les directives européennes comme la loi française laissent peu de marge de manœuvre. Côté Europe, il est exigé que, là où les conditions du marché sont favorables – autrement dit, là où cela est rentable – « au moins 80 % des consommateurs devront être équipés de compteurs intelligents d’ici 2020 ». Dans la loi française, la loi sur la transition énergétique (LTE) de 2015 impose clairement le déploiement de Linky. Celui-ci est donc bien une obligation légale pour ERDF. Dès lors, l’entreprise est en droit de s’en prendre à tout client qui s’opposerait à la pose d’un tel compteur chez lui, et peut lui suspendre, voire lui résilier son contrat.
Côté AODE, guère plus de marge de manœuvre : un arrêté s’opposant au déploiement des compteurs Linky sur une commune peut être considéré comme « une faute contractuelle », puisqu’il empêcherait ERDF d’exécuter son service dans les conditions prévues par la loi. Elle pourrait également être considérée comme « un excès de pouvoir ». Le maire ne peut en la matière ni faire usage de son pouvoir de police générale, analysent les juristes, ni évoquer le principe de précaution. Sur ce dernier point en particulier, l’étude rappelle que le risque d’incendie pointé du doigt par les opposants à Linky ne peut être sérieusement invoqué : « Aucun élément circonstancié n’établit l’existence d’un risque, même incertain, d’incendie, de nature à justifier l’adoption de mesures de précautions ». Quant aux ondes électromagnétiques, plusieurs instances ont tranché sur ce sujet : le Conseil d’État (mars 2013) a estimé que « les rayonnements électromagnétiques émis par [les compteurs Linky] n’excèdent ni les seuils fixés par décret (…) ni ceux admis par l’Organisation mondiale de la santé ». L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) est parvenue aux mêmes conclusions, tout comme le Centre de recherches et d’informations indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques. L’Anses, qui estime que les rayonnements émis par les compteurs Linky sont bien inférieurs à ceux des téléphones portables, recommande néanmoins que leur conception évolue « vers des niveaux encore plus réduits ». On ne peut donc conclure, soulignent les juristes, que l’autorité publique ait « méconnu le principe de précaution ».
Sur le risque d’atteinte à la vie privée enfin, l’étude souligne qu’il a été « très tôt pointé du doigt »  y compris par la Commission européenne, et que « le législateur a alors adopté des mesures visant à encadrer la communication des données personnelles et assurer leur confidentialité ».
La conclusion est donc claire : les usagers comme les communes n’ont quasiment aucune marge de manœuvre pour s’opposer au déploiement des compteurs Linky. Néanmoins, « on ne peut qu’approuver »  la démarche de la FNCCR qui a mandaté un bureau d’étude pour procéder, une nouvelle fois, à une évaluation des risques d’incendie ou des risques sanitaires.
Rappelons que de son côté, l’AMF travaille avec les services de l’État, la FNCCR et ERDF afin de mettre en place une communication informative sur les compteurs Linky, dans le but d’aider les maires à répondre aux inquiétudes de certains de leurs administrés. Un point-info consacré à l'énergie abordera la question, au Congrès de l'AMF, le 1er juin à 15 h 30.
F.L.

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