Projet de loi Santé : les élus inquiets d'un manquede concertation
Le très attendu projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé a été présenté mercredi en Conseil des ministres par Agnès Buzyn. Il est la traduction législative des mesures annoncées en septembre par Emmanuel Macron avec l’objectif, notamment, de tenter de résorber les déserts médicaux.
Encore et à nouveau des ordonnances
Les premières mesures prévues dans ce texte sont la suppression du numerus clausus et du concours de fin de première année, afin d’en finir avec la réduction artificielle du nombre de médecins. Cette mesure, réclamée par tous les acteurs du secteur depuis longtemps, ne devrait toutefois pas porter ses fruits avant une dizaine d’années – le temps nécessaire à la formation complète de nouveaux médecins.
À l’article 5, autre mesure visant à pallier le manque de médecins : l’extension du recours aux médecins adjoints – des internes susceptibles d’assister les médecins en cas d’afflux exceptionnel de population. Jusqu’à présent, ce dispositif était réservé aux zones touristiques. Le projet de loi prévoit de l’étendre aux zones carencées du point de vue du nombre de praticiens.
La deuxième partie du texte est consacrée au « décloisonnement » entre médecins de ville, hôpital et services médico-sociaux. Le point essentiel est la création des « projets territoriaux de santé » : après établissement d’un « diagnostic territorial », la communauté professionnelle élabore un projet territorial qui décrit notamment « l’organisation de l’accès à la prévention, aux soins de proximité et aux soins spécialisés » sur tout le territoire concerné. Le projet de loi précise noir sur blanc que les collectivités territoriales doivent être « associées » à la définition de ces projets.
Par ailleurs, le texte prévoit d’autoriser le gouvernement à prendre toute une série d’ordonnances, dans le but de « renforcer et développer des établissements de santé de proximité ». Les ordonnances fixeraient notamment (sans discussion au Parlement donc) « les modalités de financement, d’organisation et de gouvernance » de ces établissements.
Les auteurs du projet de loi entendent également « renforcer la stratégie et la gouvernance au niveau des groupements hospitaliers de territoire ». Lors de l’examen de ce texte au Conseil national d’évaluation des normes, le 24 janvier, les représentants des élus avaient regretté que les maires et les présidents d’EPCI ne soient associés « qu’indirectement » à leur gouvernance et ont dit craindre « une réduction progressive de la place des élus locaux dans la détermination du projet médical commun ».
Le titre III du projet de loi traite du rôle du numérique dans le secteur de la santé, que le gouvernement souhaite « renforcer ». Il y est prévu que les usagers puissent tous accéder à leur dossier médical en ligne à partir de 2022 et il y est défini la notion nouvelle de « télésoins », complémentaire de la télémédecine. Le télésoin vise à mettre en relation à distance les patients avec les pharmaciens. L’article 14 encourage la « e-prescription », ou prescription dématérialisée. Sur ce sujet, si les élus au Cnen s’étaient dit « favorables » au développement de la télémédecine et du télésoin, ils avaient rappelé que ces pratiques demandent des investissements considérables et que cette réforme est « étroitement liée » à celle de la couverture numérique du territoire.
« Faites confiance aux territoires ! »
La veille de la présentation de ce texte, Agnès Buzyn avait reçu les représentants des collectivités territoriales (AMF, ADF et Régions de France) et la Fédération hospitalière française. Présente à cette réunion, la rapporteure de la commission Santé de l’AMF, Isabelle Maincion, maire de La Ville-aux-Clercs. « Il est ressorti de cette rencontre que tous les représentants des élus étaient d’accord sur un mot d’ordre : faites confiance aux territoires ! », rapporte ce matin Isabelle Maincion à Maire info. Si les élus se sont réjouis de la concertation qui a précédé la rédaction du texte, ils n’ont en revanche « hélas pas retrouvé cette concertation dans le texte lui-même ». Pour la maire, il manque en effet un volet de « concertation locale avec les élus locaux » dans ce projet de loi. Elle a rappelé au passage le souhait de l’AMF de voir rétablis les conseils d’administration des hôpitaux, car dans les actuels conseils de surveillance « les maires n’ont aucun poids ».
Les élus ont également dit à la ministre leur surprise de voir le sujet des hôpitaux de proximité « traité par ordonnance ». « Certes, la ministre nous a promis qu’on allait travailler ensemble… mais ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte. » Isabelle Maincion note, en général, un gros problème de manque de visibilité dans ce texte : « On sait qu’il va y avoir des hôpitaux qui vont être dégradés avec la mise en place des hôpitaux de proximité. Mais lesquels ? Où ? Nous n’avons pas la carte ! ».
Sur la question des groupements hospitaliers de territoire (GHT) mis en place en 2016, enfin, Isabelle Maincion déplore – en accord, dit-elle, avec l’ordre des médecins qui « constate la même chose » – que les « établissements supports jouent un rôle de pompe aspirante pour les médecins », ce qui dépouille, de fait, les établissements de taille plus modeste.
Le débat au Parlement va commencer début mars. Isabelle Maincion espère « un gros travail d’amendements » pour faire évoluer le texte, et se réjouir que la ministre ait proposé, lors de la réunion, la constitution d’un groupe de travail État-élus pour continuer de réfléchir ensemble.
Télécharger le texte présenté en Conseil des ministres et l'étude d'impact.
Télécharger le communiqué commun de l'AMF et de France urbaine sur l'offre de santé.
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